N°11 – Février 2020

LA LETTRE DU CABINET

N°11 – Février 2020

Droit de la commande publique

5 février 2020 - Précisions relatives au calcul de l’amortissement des biens de retour en cas de résiliation d’une convention de délégation de service public

Par un arrêt « Commune de Douai » rendu le 21 décembre 2012, l’Assemblée du Conseil d’Etat avait eu l’occasion de définir le régime des biens de retour à l’issue de l’exécution d’une convention de délégation de service public (n° 342788).

Ainsi, compte tenu du principe selon lequel les biens de retour doivent revenir gratuitement à la personne publique délégante à la fin de la convention, il avait été considéré qu’en cas de résiliation anticipée, le délégataire a la possibilité de demander l’indemnisation du préjudice subi à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, lorsqu’ils n’ont pas entièrement été amortis.

La Haute juridiction avait indiqué à cet égard que les règles d’indemnisation de ces biens de retour peuvent faire l’objet d’aménagements contractuels entre les parties.

Aux termes d’une nouvelle décision rendue le 27 janvier 2020, laquelle sera mentionnée dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat est venue préciser sa jurisprudence « Commune de Douai », en précisant les règles d’indemnisation des biens de retour lorsque la convention ne comprend aucune disposition relative à l’amortissement des biens de retour.

Ainsi, le Conseil d’Etat commence-t-il par rappeler le considérant de principe suivant :

« Lorsque la collectivité publique résilie une concession de service public avant son terme normal, le concessionnaire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour des biens nécessaires au fonctionnement du service public à titre gratuit dans le patrimoine de cette collectivité, lorsqu’ils n’ont pu être totalement amortis, soit en raison d’une durée du contrat inférieure à la durée de l’amortissement de ces biens, soit en raison d’une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement. Lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Dans le cas où leur durée d’utilisation était supérieure à la durée du contrat, l’indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Si, en présence d’une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l’indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus ».

Ce faisant, il considère qu’en l’espèce, la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a commis aucune erreur de droit en décidant d’indemniser le délégataire de Toulouse Métropole, la société Suez Eau France, en prenant comme référence la valeur nette comptable des biens de retour du fait de l’absence de stipulations contractuelles contraires.

Le Conseil d’Etat précise que cette référence de calcul doit être adoptée quand bien même les biens auraient pu être amortis avant la résiliation du contrat, grâce aux résultats de l’exploitation du service.

La Haute juridiction explique en outre que la durée excessive d’une convention de délégation de service public conclue antérieurement aux lois des 23 janvier 1993 et 2 février 1995 – lesquelles plafonnent à 20 ans la durée d’exécution de ce type de contrat – est sans incidence.

Partant, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi formé par Toulouse Métropole et confirme le droit à indemnisation de la société Suez Eau France.

CE, 27 janvier 2020, Toulouse Métropole, req. n° 422104

 

7 février 2020 - S’étant abstenu de demander des précisions sur le prix de son offre au candidat à l’attribution d’un marché public, le pouvoir adjudicateur est infondé à rejeter celle-ci au motif de son caractère anormalement bas

En vue de remplacer le système de sécurité incendie de plusieurs ouvrages publics, la commune de Nîmes a engagé une procédure adaptée en vue de l’attribution d’un marché public de maîtrise d’œuvre.

Ayant présenté une offre, la société XL Ingénierie a vu celle-ci être rejetée sans être classée, au motif de son caractère anormalement bas.

La société XL Ingénierie a sollicité du tribunal administratif de Nîmes la condamnation du pouvoir adjudicateur à réparer le préjudice subi du fait de son éviction de la procédure de passation du marché litigieux.

Les juges de première instance ayant rejeté cette demande, la société XL Ingénierie a interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Marseille.

Après avoir rappelé les dispositions prévues par l’article 5 du code des marchés publics alors en vigueur, les juges d’appel précisent que « l’existence d’un prix paraissant anormalement bas au sein de l’offre d’un candidat, pour l’une seulement des prestations faisant l’objet du marché, n’implique pas, à elle seule, le rejet de son offre comme anormalement basse, y compris lorsque cette prestation fait l’objet d’un mode de rémunération différent ou d’une sous-pondération spécifique au sein du critère du prix. Le prix anormalement bas d’une offre s’apprécie en effet au regard de son prix global ».

En l’espèce, la société XL Ingénierie conteste avoir reçu une demande de justification du prix de son offre de la part du pouvoir adjudicateur, cependant que ce dernier soutient avoir adressé cette demande par télécopie.

La cour administrative d’appel relève à cet égard que la pièce produite par la commune de Nîmes n’est autre que le document préparé pour l’envoi par télécopie, qui ne comporte d’ailleurs aucune mention et n’est accompagné d’aucune pièce attestant de sa transmission.

De plus, la cour administrative d’appel précise que le prix de 21.000 euros hors taxes proposé par la société XL Ingénierie dans son offre n’était inférieur que de 12 % au prix de 23.550 euros hors taxes de l’offre de l’attributaire – le prix inférieur proposé par la société XL Ingénierie s’expliquant par l’absence tant de charges immobilières que de charges sociales supportées par celle-ci.

Il est ainsi conclu que la ville de Nîmes ne pouvait valablement écarter l’offre de la société XL Ingénierie comme étant anormalement basse, et ce d’autant plus qu’elle a retenu une offre qui était déjà inférieure de 40 % à son estimation prévisionnelle.

La cour administrative d’appel étudie ensuite le préjudice supporté par la société XL Ingénierie du fait de la décision irrégulière prise par le pouvoir adjudicateur de déclarer son offre anormalement basse.

Elle considère sur ce point, qu’eu égard aux circonstances que le critère du prix n’était pondéré qu’à hauteur de 50 %, que le nombre de candidats était élevé et que l’appelante s’est abstenue de critiquer les mérites respectifs des différentes offres, la société XL Ingénierie ne justifie pas qu’elle aurait eu des chances sérieuses de remporter le marché.

Les juges d’appel concluent donc que la société XL Ingénierie a seulement droit à l’indemnisation des frais de présentation de son offre, évalués à 2.000 euros et augmentés des intérêts au taux légal.

CAA Marseille, 27 janvier 2020, Société XL Ingénierie, req. n° 18MA02886

12 février 2020 - Modification des règles de la commande publique par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire

La loi n°2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire a été publiée au Journal officiel du 11 février 2020. Plusieurs dispositions de cette loi viennent impacter les règles de la commande publique et modifier le Code de la commande publique.

Il sera tout d’abord relevé que cette loi prévoit en son article 55 l’obligation pour les acheteurs publics d’inclure, à compter du 1er janvier 2021, des clauses relatives à l’économie circulaire dans les achats publics dès lors que cela est possible :

« A compter du 1er janvier 2021, les services de l’Etat ainsi que les collectivités territoriales et leurs groupements, lors de leurs achats publics et dès que cela est possible, doivent réduire la consommation de plastiques à usage unique, la production de déchets et privilégient les biens issus du réemploi ou qui intègrent des matières recyclées en prévoyant des clauses et des critères utiles dans les cahiers des charges.

Lorsque le bien acquis est un logiciel, les administrations mentionnées au premier alinéa de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration promeuvent le recours à des logiciels dont la conception permet de limiter la consommation énergétique associée à leur utilisation ».

Toujours s’agissant des biens acquis par les acheteurs publics, l’article 58 de la loi précitée créé notamment, à compter du 1er janvier 2021, un taux compris de 20 à 100 % de biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées :

« I. – A compter du 1er janvier 2021, les biens acquis annuellement par les services de l’Etat ainsi que par les collectivités territoriales et leurs groupements sont issus du réemploi ou de la réutilisation ou intègrent des matières recyclées dans des proportions de 20 % à 100 % selon le type de produit.

  1. – En cas de contrainte opérationnelle liée à la défense nationale ou de contrainte technique significative liée à la nature de la commande publique, le pouvoir adjudicateur n’est pas soumis à l’obligation prévue au I.

III. – Un décret en Conseil d’Etat fixe la liste des produits concernés et, pour chaque produit, les taux pouvant être issus du réemploi, de la réutilisation ou du recyclage correspondant à ces produits ».

Ensuite, il convient de souligner que l’article 56 de la loi susvisée modifie le chapitre II du titre VII du livre Ier de la deuxième partie du code de la commande publique en intégrant un article L. 2172-5 dans le code rédigé de la manière qui suit :

« Lorsqu’ils achètent des constructions temporaires, les acheteurs ne peuvent exclure les constructions temporaires ayant fait l’objet d’un reconditionnement pour réemploi, sous réserve que leurs niveaux de qualité et de sécurité soient égaux à ceux des constructions neuves de même type. Ils tiennent compte des incidences énergétiques et environnementales de la construction sur toute sa durée de vie ».

Enfin, l’article 60 de ladite loi intègre un article L. 2172-6 au sein du code de la commande publique prévoyant que les achats de pneumatiques effectués par l’État, les collectivités territoriales et leurs opérateurs portent sur des pneumatiques rechapés :

« Dans un souci de préservation des ressources naturelles, les achats de pneumatiques effectués par l’Etat, les collectivités territoriales et leurs opérateurs portent sur des pneumatiques rechapés, sauf si une première consultation s’est révélée infructueuse. Les achats de pneumatiques portant sur les véhicules d’urgence ainsi que les véhicules militaires peuvent être dispensés des obligations prévues au présent article ».

Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire

26 février 2020 - Un candidat évincé à l’attribution d’un marché public ne peut prétendre obtenir une indemnité que si son éviction est irrégulière

Aux termes d’un arrêt rendu le 20 février 2020, la Cour administrative d’appel de Bordeaux est venue rappeler les modalités d’indemnisation d’un candidat évincé dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public.

Dans le cadre de la construction d’un bâtiment polyvalent à vocation périscolaire, une commune a lancé la passation d’un marché de travaux, en vertu d’une procédure adaptée, dont un lot portait sur l’ « isolation thermique extérieur ».

Un candidat évincé à l’attribution dudit lot a saisi le Tribunal administratif de Pau d’une demande tendant à l’indemnisation de son préjudice résultant de son éviction. Le Tribunal administratif ayant rejeté sa demande, la société évincée a interjeté appel.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux rappelle tout d’abord le principe selon lequel une entreprise qui a été irrégulièrement évincée de la procédure de passation d’un marché public ne peut prétendre à obtenir une indemnisation que si elle n’était pas dépourvue de toute chance de remporter le marché :

« lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l’absence de toute chance, il n’a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre, lesquels n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique » (CE, 18 juin 2003, Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe et autres, req. n°249630, voir encore plus récemment, CE, 14 octobre 2019, Société TCF, req. n°418317).

En l’occurrence, le juge administratif relève que toutes les offres remises par les candidats se sont vues attribuer la note de 0 sur 4 sur le critère tiré de la valeur technique. Le rapport d’analyse des offres précisant notamment qu’aucun candidat n’avait présenté des caractéristiques supérieures au devis descriptif quantitatif, de sorte que le classement a été effectué en vertu du seul critère tiré prix.

Le juge administratif considère que la méthode de notation retenue par l’acheteur public n’avait toutefois pas eu pour effet « ni de réduire la portée du critère déterminant pour le pouvoir adjudicateur […] ni d’éliminer l’offre économiquement la plus avantageuse », de sorte que le moyen tiré de la neutralisation du critère technique est rejeté.

Partant, dans la mesure où le candidat évincé ne parvient pas à démontrer que la procédure de passation querellée était irrégulière, la Cour administrative d’appel de Bordeaux rejette sa demande.

CAA Bordeaux, 20 février 2020, SARL les Peintures d’Aquitaine, req. n°18BX00552

28 février 2020 - Précisions sur la compétence d’un concessionnaire du service public de l’assainissement et gestionnaire des ouvrages publics afférents pour délivrer les autorisations d'occupation relatives à ce réseau public d’assainissement

Le Conseil d’Etat, dans sa décision Société Colt Technology Services du 24 février 2020, est venu préciser l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’occupation d’un réseau public d’assainissement.

Dans cette affaire, la Société Colt Technology Services occupait, en vue de l’exploitation d’un réseau de communications électronique, un réseau d’assainissement départemental raison pour laquelle le département lui réclamait une redevance.

Cette société, pour se décharger de l’obligation de payer cette redevance, arguait qu’il n’appartenait qu’au concessionnaire du service public départemental de l’assainissement d’octroyer les permissions d’occupation du domaine public constitué par le réseau départemental d’assainissement et de percevoir les recettes correspondantes.

Le juge de cassation rappelle pourtant « qu’il ne résulte d’aucune disposition ni d’aucun texte que la délégation à un tiers de la gestion du service public exploité au moyen d’un réseau public relevant du domaine public routier ou non entraîne nécessairement, dans le silence de la convention, le transfert au concessionnaire de la compétence pour autoriser l’occupation de ce réseau par les exploitants de réseaux ouverts au public visés au premier alinéa précité de l’article L. 45-9 du code des postes et communications électroniques, ainsi que pour fixer et percevoir les redevances correspondantes ».

Dans le cas d’espèce, il vient ainsi censurer sur le fondement de l’erreur de droit l’arrêt d’appel qui avait retenu, qu’en vertu du code des postes et communications électroniques, il n’appartenait qu’au concessionnaire du service public départemental de l’assainissement et gestionnaire des ouvrages publics nécessaires au bon fonctionnement de ce service en vertu d’un contrat d’affermage d’octroyer les permissions d’occupation du domaine public constitué par le réseau départemental d’assainissement et de percevoir les recettes correspondantes. Et ce d’autant plus qu’une clause d’un avenant à ce contrat rappelait bien la compétence du département pour toute utilisation du patrimoine qui ne répondrait pas aux nécessités du service public de l’assainissement.

CE, 24 février 2020, Société Colt Technology Services, req. n° 427280.

Droit de l'urbanisme et de l'aménagement

17 février 2020 - Le silence gardé sur une demande de permis portant sur une démolition soumise à permis en site inscrit vaut décision implicite de rejet y compris lorsque la demande en cause porte sur une construction

La société Le Toit Parisien a déposé, le 4 novembre 2014, une demande de permis de construire portant sur la démolition de deux bâtiments, la surélévation d’un bâtiment existant et la construction d’un nouveau bâtiment sur un terrain situé dans le 11ème arrondissement de Paris.

Après avoir déposé des pièces complémentaires suite aux sollicitations de la Ville, la société Le Toit Parisien a demandé à ce que lui soit délivrée une attestation de permis tacite.

Cette demande a été rejetée par la Ville, laquelle a informé à la société Le Toit Parisien de l’intervention d’une décision implicite de refus.

Cette dernière a alors saisi le tribunal administratif de Paris d’un recours tendant à voir annulée la décision de refus ainsi intervenue.

Le tribunal administratif n’a pas fait droit à cette requête, mais la Cour administrative d’appel de Paris a de son côté annulé la décision de refus.

Saisi d’un pourvoi introduit par la Ville de Paris, le Conseil d’Etat censure la Cour administrative d’appel de Paris.

Le Conseil d’Etat commence tout d’abord par citer les dispositions de l’article L. 451-1 du code de l’urbanisme aux termes desquelles « lorsque la démolition est nécessaire à une opération de construction ou d’aménagement, la demande de permis de construire (…) peut porter à la fois sur la démolition et sur la construction (…). Dans ce cas, le permis de construire (…) autorise la démolition », ainsi que celles de l’article R. 424-1 du code de l’urbanisme qui prévoient pour leur part qu’« à défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction déterminé comme il est dit à la section IV du chapitre III ci-dessus, le silence gardé par l’autorité compétente vaut, selon les cas : / (…) b) Permis de construire, permis d’aménager ou permis de démolir tacite. (…) » .

Et le Conseil d’Etat d’en terminer par le rappel des dispositions applicables en visant expressément les dispositions de l’article R. 424-2 du code de l’urbanisme qui prévoient que « par exception au b de l’article R. 424-1, le défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction vaut décision implicite de rejet dans les cas suivants : (…) / i) Lorsque le projet porte sur une démolition soumise à permis en site inscrit ».

Se fondant sur la combinaison de ces différentes dispositions, le Conseil d’Etat énonce qu’ « que le défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction vaut décision implicite de rejet lorsque la demande de permis de construire porte sur une démolition soumise à permis en site inscrit, y compris lorsque cette demande porte également sur une construction ».

Le Conseil d’Etat considère donc que la Cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l’article R. 424-2 du code de l’urbanisme ne visaient que les demandes de permis ou les déclarations préalables portant uniquement sur des travaux de démolition, et en en déduisant que le projet de permis de construire porté par la société Le Toit Parisien, s’il comportait des démolitions en site inscrit nécessitant l’accord de l’architecte des bâtiments de France, n’était pas un projet portant sur une démolition au sens du i) de l’article R. 424-2 du code de l’urbanisme.

Le Conseil d’Etat annule en conséquence l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris et renvoie l’affaire devant cette même juridiction.

CE, 12 février 2020, Ville de Paris, req. n°421949

 

21 février 2020 - Précisions sur le régime de la prorogation de la validité du certificat d’urbanisme

Après l’intervention d’un certificat tacite le 19 février 2012, le maire de la commune de Firmi a délivré à Mme A un certificat d’urbanisme positif le 29 mars 2012, précisant qu’elle pouvait mener une opération de construction de trois maisons individuelles et de rénovation d’une quatrième maison sur deux parcelles.

Cependant, par un arrêté du 18 juillet 2013, le maire de cette commune a refusé de proroger le certificat d’urbanisme.

Mme A a donc déféré cette décision à l’appréciation du juge administratif. Saisi de cette demande, le tribunal administratif de Toulouse l’a rejeté, cependant que la cour administrative d’appel de Bordeaux l’a accueillie en annulant l’arrêté du 18 juillet 2013.

C’est dans ce contexte que la commune s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.

Ce dernier commence par rappeler, aux termes de l’article L. 410-1 du code de l’urbanisme, que les dispositions prévues par cet article ont « pour effet de garantir à la personne à laquelle a été délivré un certificat d’urbanisme, quel que soit son contenu, un droit à voir sa demande de permis de construire, déposée durant les dix-huit mois qui suivent, examinée au regard des dispositions d’urbanisme applicables à la date de ce certificat, à la seule exception de celles qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique ».

La Haute juridiction précise également, au visa de l’article R. 410-7 du même code que, lorsqu’elle est saisie dans le délai réglementaire d’une demande de prorogation d’un certificat d’urbanisme, l’autorité administrative ne peut valablement refuser de le prolonger d’une année que si les prescriptions d’urbanisme, les servitudes administratives de tous ordres ou le régime des taxes et participations d’urbanisme qui étaient applicables au terrain à la date du certificat ont changé depuis cette date.

Et, au Conseil d’Etat d’indiquer au surplus qu’un tel changement est constitué en principe par l’adoption, la révision ou la modification du plan local d’urbanisme couvrant le territoire dans lequel se situe le terrain, à moins que la révision ou la modification de ce plan ne porte que sur une partie du territoire couvert par ce document dans laquelle ne se situe pas le terrain.

En l’espèce, pour annuler l’arrêté litigieux, les juges d’appel ont retenu que les règles d’urbanisme applicables au terrain n’avaient pas été modifiées.

Or, ce faisant, le Conseil d’Etat considère que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit, en ce qu’elle n’a pas relevé que la commune avait approuvé un plan local d’urbanisme le 9 mai 2012, lequel s’était substitué au plan d’occupation des sols précédemment applicable.

Le Conseil d’Etat casse donc l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux.

CE, 5 février 2020, Commune de Firmi, req. n° 426573

Droit des transports publics

10 février 2020 - Ouverture à la concurrence des services intérieurs de transports ferroviaire de voyageurs : l’Etat publie les appels à candidature pour les lignes Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon

Dans le cadre du quatrième « paquet » de textes de droit de l’Union européenne adoptés en 2016 relatifs au secteur du transport ferroviaire de voyageurs, le principe de la mise en concurrence des transports intérieurs a été retenu par le législateur européen.

Depuis le 24 décembre 2019, les autorités organisatrices peuvent ainsi choisir de recourir à l’attribution de contrats de service public par voie de mise en concurrence. Cette faculté se transformera en obligation pour les contrats qui seront attribués à compter de décembre 2023.

Alors que les services qui focalisent le plus l’attention des opérateurs et des médias sont les services relevant de la compétence des régions (les services de transport express régional, dits « TER »), l’Etat est également concerné par les contraintes issues du quatrième paquet ferroviaire pour les lignes de trains dits « d’équilibre du territoire » (lignes TET), dont une partie n’a pas été transférée par accord aux régions et relève toujours de sa compétence. Il s’agit de services d’intérêt national organisés en vertu de l’article L. 2121-1 du code des transports.

Après la publication d’un avis de pré-information le 14 janvier 2019, l’Etat a publié, le 28 janvier 2020, le dossier d’appel à candidatures pour l’attribution de l’exploitation de deux lignes relevant de cette compétence : les lignes Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon, la convention actuelle avec l’opérateur historique arrivant à échéance cette année.

L’Etat devient ainsi la première autorité organisatrice française à lancer officiellement une procédure de mise en concurrence pour l’attribution de services de transport intérieur de voyageurs.

Les missions confiées à l’exploitant dans le cadre du contrat de service public porteront notamment sur l’exploitation des deux lignes, l’entretien et la maintenance des biens affectés au service (notamment le matériel roulant), la gestion de la politique commerciale et tarifaire, ou encore de la billettique afférente aux services.

La date limite de remise des candidatures est fixées au 28 février 2020.

Publication de l’appel à candidatures pour la mise en concurrence des lignes Intercités Nantes – Bordeaux et Nantes – Lyon

24 février 2020 - Tarification des prestations régulées fournies dans les centres de maintenance : l’Autorité de régulation des transports ne valide qu’en partie les redevances soumises par SNCF Voyageurs et FRET SNCF pour l’horaire de service 2020

Les centres d’entretien du matériel roulant, anciennement exploités par l’EPIC SNCF Mobilités, ont été répartis, au 1er janvier 2020, entre SNCF Voyageurs (société commerciale qui a été, pour l’essentiel, substituée à SNCF Mobilités) et sa filiale FRET SNCF, opérateur de transport ferroviaire de marchandises.

Ces infrastructures revêtent, dans la perspective de l’ouverture à la concurrence, une place centrale, dans la mesure où leur utilisation sera nécessaire pour les opérateurs nouveaux entrants sur le marché. La circonstance qu’elles demeurent dans le giron de SNCF Voyageurs appelle ainsi une régulation d’autant plus vigilante et exigeante des conditions d’accès à ces installations et aux prestations régulées qui y sont rendues, afin de garantir autant que possible l’absence de discrimination dans l’accès à ces installations entre l’opérateur historique et les nouveaux entrants.

En vertu de l’article 3 du décret n° 2012-70 du 20 janvier 2012, ces prestations sont, en principe, fournies en contrepartie de redevances ne dépassant pas le coût de leur prestations majoré d’un bénéfice raisonnable, étant précisé que, dans certains cas particuliers, des tarifs peuvent être établis sur devis selon des principes tarifaires prédéfinis.

L’exploitant doit être « en mesure de prouver à l’Autorité de régulation des transports et aux candidats que les redevances qu’il facture (…) sont conformes » aux règles tarifaires définies à l’article 3 du décret susvisé. C’est notamment à l’aune de la capacité des exploitants à procéder à cette démonstration que l’Autorité de régulation des transports (ART) se prononce sur les projets de tarification qui lui sont soumis.

Pour l’horaire de service 2020, SNCF Mobilités avait, avant sa transformation, saisi l’ART d’une demande d’avis conforme portant sur les tarifs envisagés pour les prestations régulées rendues dans les installations de services au titre, d’une part, de l’ « Offre de Référence Maintenance de SNCF Voyageurs » et du « Document de Référence de Maintenance de FRET SNCF pour l’horaire de service 2020 ».

Dans son avis n° 2020-011 du 30 janvier 2020, si l’ART a approuvé les tarifs des produits et consommables fournis dans les installations de services, elle s’est prononcée défavorablement tant sur la tarification des prestations de maintenance légère que de maintenance lourde.

S’agissant de la maintenance légère, l’ART relève que les tarifs dont elle était saisie ne sont pas ceux appliqués en interne par SNCF Mobilités et que les unités d’œuvres retenues pour l’élaboration des tarifs ne font par conséquent, pour une grande partie, pas l’objet d’un suivi systématique et fiable. L’ART rappelle que le principe fondamental de non-discrimination implique l’élaboration de tarifs applicables à la fois aux opérateurs externes et au sein du groupe public ferroviaire.

Elle relève également que les tarifs ont été élaborés au terme d’un exercice de péréquation nationale, sur la validité duquel elle s’interroge notamment dans la perspective de l’ouverture à la concurrence qui exige de déterminer la maille géographique pertinente s’agissant de l’élaboration des tarifs régulés proposés dans ces installations.

S’agissant de la maintenance lourde, l’ART relève en particulier l’absence de justifications fournies sur les coûts des services rendus, les échanges avec SNCF Mobilités au cours de l’instruction ayant, au demeurant, fait apparaître des méthodologies d’élaboration de tarifs hétérogènes pour des prestations similaires, trahissant le manque de fiabilité des données utilisées pour l’élaboration des tarifs.

Le contenu des réserves émises par l’ART impose ainsi à SNCF Voyageurs et FRET SNCF d’entreprendre des efforts significatifs, dont l’ampleur pourrait compromettre la possibilité de les accomplir à l’horizon des premières mises en concurrence qui seront effectuées par les autorités organisatrices.

Avis n° 2020-011 du 30 janvier 2020 portant sur la fixation des redevances relatives aux prestations régulées fournies par SNCF Voyageurs et FRET SNCF dans les installations de service des centres d’entretien pour l’horaire de service 2020

 

Droit de la fonction publique

3 février 2020 - Précisions sur la conciliation entre la liberté d’expression dont dispose un agent exerçant des fonctions syndicales et le respect de ses obligations déontologiques

Aux termes d’une décision en date du 27 janvier 2020, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se prononcer sur la conciliation de la liberté d’expression d’un agent exerçant une fonction syndicale, et le respect de ses obligations déontologiques.

Dans cette affaire Madame. A, adjointe administrative territoriale de 2ème classe employée par la commune de Beaumont-sur-Oise, et représentante du personnel au comité technique, s’était vue infliger une sanction d’exclusion temporaire de deux jours.

Cette sanction avait été prise suite au comportement adopté par cet agent, et aux « propos irrespectueux et agressifs » qu’elle avait tenu, lors d’une réunion du comité technique de la Commune, à l’égard de la directrice générale des services.

Madame A. avait alors contesté la décision prise le 7 avril 2015 par laquelle le maire de Beaumont-sur-Oise avait prononcé à son encontre la sanction d’exclusion temporaire de fonctions de deux jours.

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise et la Cour administrative d’appel de Versailles ayant rejeté ses recours, Madame A a alors saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi.

Si le Conseil d’Etat insiste sur le fait que « les agents publics qui exercent des fonctions syndicales bénéficient de la liberté d’expression particulière qu’exigent l’exercice de leur mandat et la défense des intérêts des personnels qu’ils représentent », il tempère néanmoins cette liberté en précisant que celle-ci « doit être conciliée avec le respect de leurs obligations déontologiques ».

Et la Haute juridiction d’ajouter qu’« en particulier, des propos ou un comportement agressifs à l’égard d’un supérieur hiérarchique ou d’un autre agent sont susceptibles, alors même qu’ils ne seraient pas constitutifs d’une infraction pénale, d’avoir le caractère d’une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire ».

Au vu des faits reprochés à l’agent, le Conseil d’Etat retient que « qu’en jugeant que ces propos [irrespectueux et agressifs] et ce comportement étaient susceptibles de justifier, même s’ils étaient le fait d’une représentante du personnel dans le cadre de l’exercice de son mandat et alors même qu’ils ne caractériseraient pas une infraction pénale, une sanction disciplinaire, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ».

Aussi, et après avoir également relevé que la Cour administrative d’appel de Versailles n’avait pas commis d’erreur de qualification juridique des faits en retenant l’existence d’une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi de Madame A.

CE, 27 janvier 2020, Mme. B c/ Commune de Beaumont sur Oise, req. n° 426569

 

 

Droit de la construction

19 février 2020 - Un enduit de façades constitue un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil

  1. X a, en qualité de maître d’ouvrage, entrepris la réalisation de travaux d’enduit de façades, pour lesquels il s’est adjoint les services de M. Y, assuré en responsabilité décennale auprès de la société Areas Dommages.

Des fissures étant apparues, M. X a, après expertise, assigné M. Y et son assureur aux fins de l’indemnisation des préjudices subis.

Par un arrêt rendu le 5 novembre 2018, la Cour d’appel de Toulouse a non seulement condamné in solidum la société Areas Dommages et M. Y à régler à M. X la somme de 52.792,76 euros au titre des désordres affectant les façades, mais de surcroit condamné la société Areas Dommages à garantir M. Y des condamnations prononcées à son encontre.

Pour ce faire, les juges d’appel avaient notamment retenu la responsabilité décennale de l’entrepreneur en considérant que l’enduit litigieux était un élément d’équipement, notamment compte tenu de sa fonction d’imperméabilisation.

Saisie de ce litige par pourvoi formé par la société Areas Dommages, la Cour de cassation rappelle, au visa de l’article 1792 du code civil, qu’un enduit de façades constitue un ouvrage lorsqu’il a une fonction d’étanchéité.

Partant, un tel enduit ne saurait constituer un élément d’équipement, quand bien même il a une fonction d’imperméabilisation, et ce dès lors qu’il n’est pas destiné à fonctionner.

Or, en retenant que l’enduit litigieux constituait un élément d’équipement et était à ce titre susceptible d’ouvrir droit à garantie décennale dans la mesure où ce désordre trouvait son siège dans cet élément d’équipement et avait pour effet de rendre l’ouvrage dans son entier impropre à sa destination, les juges d’appel ont méconnu l’article 1792 du code civil.

Dans ces conditions, la troisième chambre civile casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel et renvoie les parties devant la Cour d’appel de Bordeaux.

Cass., 3e civ., 13 février 2020, n° 19-10249