N°1 – Avril 2019

LA LETTRE DU CABINET

N°1 – Avril 2019

Droit de la commande publique

1 avril 2019 - Le code de la commande publique entre en vigueur aujourd’hui et, préalablement, le décret rectifiant des erreurs affectant le texte initial est paru au Journal officiel du 31 mars 2019, accompagné des arrêtés et avis constituant les 21 annexes du code. La veille, une ordonnance était déjà venue rectifier la partie législative du même code

Ordonnance (rectificatif) :

Décret (rectificatif) :

Arrêtés :

Avis :

3 avril 2019 - Le maître d’œuvre doit valider, via le portail « Chorus Pro », les factures des entreprises intervenant dans les marchés publics de travaux

Pour faciliter la gestion de la facturation des marchés publics conclus par l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics, l’ordonnance n° 2014-697 du 26 juin 2014 relative au développement de la facturation électronique a prévu que les titulaires et les sous-traitants admis au paiement direct doivent transmettre leurs factures sous forme électronique, via le portail de facturation « Chorus Pro ».

Le décret n° 2016-1478 du 2 novembre 2016 relatif au développement de la facturation électronique a précisé que l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics acceptent les factures électroniques, sous réserve de comporter les mentions obligatoires.

Récemment, la Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l’Economie, des Finances, de l’Action et des Comptes Publics a indiqué que, dans le cadre des marchés publics de travaux, le maître d’œuvre est chargé du contrôle des factures émises par les titulaires et leurs sous-traitants admis au paiement direct.

Ainsi, « même en l’absence de mention spécifique dans le marché de maitrise d’œuvre, sur l’intervention du MOE dans Chorus Pro, celui-ci est nécessairement tenu de récupérer les demandes de paiement des entreprises dans Chorus Pro et de les déposer, avec son visa, dans ce circuit dématérialisé, sous peine de ne pas permettre le traitement des factures et d’être tenu pour responsable du non-respect des délais de paiement qui en résulterait ».

Pour plus de simplicité, la DAJ rappelle les différentes actions incombant au maître d’œuvre sur Chorus Pro :

  1. Ouvrir un compte sur Chorus Pro
  2. Récupérer les projets de décomptes mensuels
  3. Préparer l’état d’acompte mensuel et l’adresser au maître d’ouvrage
  4. En fin de marché, réceptionner et valider le projet de décompte final envoyé par le titulaire
  5. Transmettre le décompte général au maître d’ouvrage

A cet égard, la DAJ a préparé à destination des maîtres d’œuvre, un tutoriel ainsi que des formations gratuites en ligne :

https://www.economie.gouv.fr/daj/daj-facturation-electronique-des-marches-publics-travaux-maitres-d-oeuvres-doivent-intervenir

15 avril 2019 - Le mode de communication qui ne garantit ni l’intégrité ni la confidentialité des offres est susceptible d’avantager un concurrent, si bien qu’il cause nécessairement grief à tous les candidats

Ayant soumissionnée à une consultation portant sur la conclusion d’un accord-cadre mis en œuvre par la société La Poste en sa qualité d’entité adjudicatrice, la société Francotyp-Postalia France a vu son offre rejetée.

La société Francotyp-Postalia France a formé un référé précontractuel en invoquant, d’une part, la méconnaissance par l’entité adjudicatrice de l’obligation de recourir à une plateforme sécurisée, ainsi que le prévoyait le règlement de consultation, et, d’autre part, un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

A la faveur d’une ordonnance rendue le 28 juillet 2017, le Président du tribunal de grande instance de Paris a refusé de faire droit aux prétentions de la demanderesse.

Cette dernière a alors formé un pourvoi contre cette ordonnance.

Par un arrêt rendu le 27 mars 2019, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé en deux temps cette ordonnance, aux visas de l’article 6 de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics ainsi que des articles 13 et 14 du décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 relatif aux marchés passés par les entités adjudicatrices mentionnées à l’article 4 de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés.

Ainsi, la Haute juridiction a d’abord censuré la décision rendue par le juge du référé précontractuel sur le fondement de l’article 14 du décret n° 2005-1308, lequel précise que « toutes les mesures techniques nécessaires, notamment, au cryptage et à la sécurité des données, doivent être prises de telle façon que personne ne puisse avoir accès aux données transmises par les candidats avant les dates limites de réception des candidatures et des offres et que toute violation de cette interdiction soit facilement détectable, ce qui exclut, en procédure formalisée, le recours à un simple courrier électronique ».

Ensuite, rappelant que le juge des référés avait refusé de faire droit au moyen de la société Francotyp-Postalia France portant sur la méconnaissance par la société La Poste de ses obligations de publicité et de mise en concurrence motif pris qu’elle avait « pu déposer son offre dans les mêmes conditions que ses concurrents », la chambre commerciale a précisé que « lorsque l’entité adjudicatrice recourt à un mode de communication qui ne garantit pas l’intégrité et la confidentialité des offres, le manquement à cette obligation, en ce qu’il est susceptible d’avantager un concurrent, cause nécessairement grief à tous les candidats ».

Cour de cassation, chambre commerciale, 27 mars 2019, n° 17-23104 

19 avril 2019 - L’obligation d’allotissement ne s’applique pas aux marchés publics globaux de performance

Evincée d’une procédure concurrentielle avec négociation lancée par la Région Réunion en vue de la conclusion d’un marché public global de performance ayant pour objet la conception, la réalisation, la maintenance et l’exploitation technique d’une infrastructure de communications électroniques à très haut débit sur le territoire de l’Ile de la Réunion, la société Réunicable a saisi le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion d’un référé précontractuel tendant à l’annulation de la procédure de passation de ce marché.

Considérant que le pouvoir adjudicateur avait méconnu l’obligation d’allotissement, le juge des référés a fait droit à cette demande par ordonnance en date du 23 novembre 2018

Saisi par pourvoi formé par la société Orange, attributaire de ce marché public global, le Conseil d’Etat a censuré cette ordonnance pour erreur de droit.

En effet, sur le fondement des articles 32, 33, 34 et 35 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, la Haute juridiction a jugé que « l’obligation d’allotissement énoncée par l’article 32 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 ne s’applique pas aux marchés qui entrent dans l’une des trois catégories mentionnées à la section 4. Par suite, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de La Réunion a commis une erreur de droit en jugeant que les marchés publics globaux de performance étaient soumis à une obligation d’allotissement et en annulant, pour ce motif, la procédure de passation du marché litigieux faute pour celui-ci d’avoir été alloti. La région Réunion est dès lors fondée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ».

Décidant de régler l’affaire au fond en application des dispositions prévues par l’article L.821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat a rejeté l’ensemble des moyens d’annulation de la procédure présentée par la société Réunicable devant le juge des référés.

CE, 8 avril 2019, Société Orange, req. n° 426096 

26 avril 2019 - Le changement de composition de la commission chargée de négocier avec les candidats à l’attribution d’une concession en cours de procédure ne constitue pas un manquement au principe d’égalité de traitement des candidats

Ayant candidaté à une consultation lancée par la Commune de Cannes en vue de l’attribution de l’exploitation du lot de plage artificielle n° C23, située sur la plage Bijou, la société Bijou Plage a vu son offre rejetée.

Sur le fondement de l’article L.551-1 du code de justice administrative, la société Bijou Plage a formé un référé précontractuel afin de voir annuler la procédure de passation en ce qu’elle concernait ce lot.

A la faveur d’un arrêt rendu le 8 avril dernier, le Conseil d’Etat a in fine refusé de faire droit à cette demande et a, pour ce faire, censuré pour erreur de droit l’ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal administratif de Nice le 30 octobre 2018.

Faisant application des dispositions prévues par l’article L.821-1 du code de justice administrative, la Haute juridiction a décidé de régler l’affaire au fond.

Et, après examen de l’ensemble des moyens soulevés en première instance par la société Bijou Plage, le Conseil d’Etat a jugé qu’aucun de ceux-ci n’étaient fondés. Toutefois, parmi les moyens soulevés par la société demanderesse, deux peuvent retenir notre attention.

Premièrement, s’agissant du moyen tiré de ce que les documents de la consultation ne précisaient pas les caractéristiques minimales à respecter, le Conseil d’Etat a considéré que la commune n’avait commis aucun manquement à son obligation de transparence et d’égalité de traitement entre les candidats admis à la négociation, puisque « seuls les éléments exigeant une réponse de la part des soumissionnaires faisaient l’objet de la négociation, les autres points correspondant par déduction aux caractéristiques minimales non négociables de la concession ».

En outre, relevant qu’il « était loisible » au Maire de la Commune de Cannes « de confier à une commission composée d’élus et d’agents de la ville le soin de mener une négociation avec les différents candidats » « alors qu’il n’y était pas tenu », la Haute juridiction a jugé que la seule circonstance que certains membres de ladite commission n’ont pas assisté à l’entretien de négociation avec la société Bijou Plage ne suffit pas à caractériser une méconnaissance du principe d’égalité de traitement entre tous les candidats.

Secondement, la Haute juridiction concède que la Commune de Cannes a commis un manquement en retenant comme sous-critère d’appréciation des offres l’estimation du montant de leur chiffre d’affaire pendant toute la durée de la concession. En effet, un tel sous-critère s’avère irrégulier dans la mesure où il « repose sur les seules déclarations des soumissionnaires, sans engagement contractuel de leur part et sans possibilité pour la commune d’en contrôler l’exactitude, n’est pas de nature à permettre la sélection de la meilleure offre au regard de l’avantage économique global pour l’autorité concédante ».

Cependant, le Conseil d’Etat précise que l’irrégularité de ce sous-critère n’a pas été susceptible de léser la société Bijou Plage, eu égard à l’appréciation décroissante des critères opérée par la Commune de Cannes.

CE, 8 avril 2019, Commune de Cannes, req. n° 425373

Droit de l'urbanisme

5 avril 2019 - La commune demeure seule responsable des irrégularités commises par le commissaire enquêteur durant l’enquête publique préalable à la révision de son plan local d’urbanisme

Par un arrêt qui sera mentionné dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a considéré, le 13 mars 2019, qu’une commune dont le plan local d’urbanisme avait été annulé par le juge administratif en raison des irrégularités commises par le commissaire enquêteur lors de l’enquête publique est infondée à engager par la suite la responsabilité de l’Etat du fait des carences précisément commises par le commissaire enquêteur.

Sur le fondement des dispositions prévues par les articles L.123-6, L.123-10, R.123-19 du code de l’urbanisme dans leur rédaction alors applicable, ainsi que des articles L.123-3, L.123-4, L.123-14, R.123-10 et R.123-22 du code de l’environnement dans leur rédaction alors en vigueur, la Haute juridiction a rappelé ce qui suit : « le plan local d’urbanisme soumis à enquête publique est élaboré à l’initiative et sous la responsabilité de la commune. La mission du commissaire-enquêteur consiste à établir un rapport adressé au maire relatant le déroulement de l’enquête et examinant les observations recueillies et à consigner, dans un document séparé, ses conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables ou non au projet. Le commissaire enquêteur, qui conduit ainsi une enquête à caractère local, destinée à permettre non seulement aux habitants de la commune de prendre une connaissance complète du projet et de présenter leurs observations, suggestions et contre-propositions, mais également à l’autorité compétente de disposer de tous les éléments nécessaires à son information et ainsi de l’éclairer dans ses choix, doit être regardé comme exerçant sa mission au titre d’une procédure conduite par la commune. Si le commissaire enquêteur est susceptible de prendre en compte tous les éléments révélés par l’enquête publique, y compris ceux qui ne concernent pas directement la commune, il n’en exerce pas pour autant sa mission, comme le soutient la commune requérante, au nom et pour le compte de l’Etat. Le fait que la commune ne puisse ni procéder elle-même à sa désignation ni décider du montant de sa rémunération est destiné à garantir l’indépendance du commissaire enquêteur ainsi que son impartialité à l’égard de la commune, qui assume la charge des frais d’enquête, notamment le versement de son indemnité. Si, à la date des faits en cause, aucune procédure n’était prévue pour permettre au maire, constatant une irrégularité dans le rapport ou les conclusions du commissaire enquêteur, d’en saisir le président du tribunal administratif, il lui appartenait en revanche de ne pas donner suite à une procédure entachée d’irrégularités et d’en tirer les conséquences en demandant soit au commissaire enquêteur de corriger ces irrégularités soit de mettre en œuvre une nouvelle procédure en saisissant à nouveau le président du tribunal administratif pour qu’il procède à la désignation d’un nouveau commissaire enquêteur ».

En l’espèce, suivant l’annulation de la délibération par laquelle le conseil municipal de la commune de Villeneuve-le-Comte avait approuvé son plan local d’urbanisme par le Tribunal administratif de Melun, motifs pris des irrégularités commises par le commissaire-enquêteur dans l’examen des observations recueillies pendant l’enquête publique ainsi que dans la présentation de ses conclusions, la commune avait demandé au préfet la réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi en raison des fautes commises par le commissaire enquêteur. Tant le Tribunal administratif de Melun que la Cour administratif d’appel de Paris ont rejeté les prétentions de la commune.

En considérant que « la responsabilité de l’Etat ne pouvait être engagée en raison des irrégularités commises par le commissaire enquêteur lors de la mission qu’il a réalisée dans le cadre de l’élaboration du projet de plan local d’urbanisme de la commune », le Conseil d’Etat a jugé que les juges d’appel n’avaient commis aucune erreur de droit, et ce, quand bien même l’adoption du plan local d’urbanisme par la commune de Villeneuve-le-Comte serait une condition préalable à la réalisation du projet de Village-nature, lequel avait été classé par l’Etat « opération d’intérêt national » et « projet d’intérêt général ».

CE, 13 mars 2019, Commune de Villeneuve-le-Comte, req. n° 418170

 

30 avril 2019 - Inconstitutionnalité des dispositions du code de l’urbanisme relatives à la caducité de la requête introductive d'instance en l'absence de production des pièces nécessaires au jugement

Portent une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif les dispositions de l’article L.600-13 du code de l’urbanisme relatives à la caducité de la requête introductive d’instance en l’absence de production des pièces nécessaires au jugement.

Les dispositions de l’article L.600-13 du code de l’urbanisme, dans leur version issue de la loi n°2017-86 du 27 janvier 2017, permettent au juge administratif de déclarer caduque une requête en matière de contentieux de l’urbanisme dès lors que son auteur n’a pas produit, dans un délai déterminé et sans motif légitime, les pièces nécessaires au jugement de l’affaire.

Saisi par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles les dispositions de l’article L.600-13 du code de l’urbanisme portant sur la caducité de la requête introductive d’instance en l’absence de production des pièces nécessaires au jugement.

Après avoir précisé que le législateur avait entendu, en instituant cette caducité, « limiter les recours dilatoires », et poursuivre « un objectif d’intérêt général », le Conseil Constitutionnel retient néanmoins que ladite caducité, « qui a pour effet d’éteindre l’instance, est susceptible de porter atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif ».

Il précise tout d’abord que « la notion de « pièces nécessaires au jugement d’une affaire » est insuffisamment précise pour permettre à l’auteur d’une requête de déterminer lui-même les pièces qu’il doit produire », et que « le juge administratif peut, sur le fondement des dispositions contestées, prononcer la caducité de la requête sans être tenu, préalablement, ni d’indiquer au requérant les pièces jugées manquantes ni même de lui préciser celles qu’il considère comme nécessaires au jugement de l’affaire ».

Et le Conseil Constitutionnel de préciser, dans un second temps, que « si la déclaration de caducité peut être rapportée lorsque le demandeur fait connaître, dans un délai de quinze jours, un motif légitime justifiant qu’il n’a pas produit les pièces nécessaires au jugement de l’affaire dans le délai imparti, elle ne peut en revanche être rapportée par la seule production des pièces jugées manquantes ».

Enfin le Conseil Constitutionnel insiste sur le fait que « dès lors que la caducité a été régulièrement prononcée, le requérant ne peut obtenir l’examen de sa requête par une juridiction », et « ne peut introduire une nouvelle instance que si le délai de recours n’est pas expiré ».

Aussi le Conseil Constitutionnel considère-t-il que les dispositions de l’article L.600-13 du code de l’urbanisme portent au droit à un recours juridictionnel effectif une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi.

Conseil Constitutionnel, décision n° 2019-777 QPC du 19 avril 2019

https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/2019777QPC.htm

 

Droit de la construction privée

23 avril 2019 - La prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves

Au visa de l’article 1792-6 du code civil, la troisième chambre de la Cour de Cassation a eu l’occasion de préciser « qu’en vertu de ce texte, la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves ».

La Cour d’appel de Limoges avait retenu que la réception tacite ne pouvait être retenue que si la « preuve [était] rapportée d’une volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter l’ouvrage sans réserves ».

La troisième chambre civile censure la Cour d’appel, considérant que « la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves ».

Civ.3°, 18 avril 2019, M. & Mme.X, req. n° 18-13.734 

Droit de la fonction publique

24 avril 2019 - La demande présentée par un fonctionnaire territorial tendant à ce que sa maladie soit reconnue comme imputable au service n’est soumise à aucun délai

Par jugement du 19 septembre 2016, le Tribunal administratif de Versailles avait rejeté la demande formée par un fonctionnaire territorial portant, d’une part, sur l’annulation des décisions prises par le conseil général des Yvelines refusant de reconnaître l’imputabilité au service de son état de santé et de prolonger son placement en congé de longue durée, et, d’autre part, sur l’injonction au département de statuer à nouveau sur sa demande et de reconnaître l’imputabilité au service de son état de santé en lui accordant une prolongation de son congé de longue durée.

Saisie de ce contentieux par appel formé par le fonctionnaire territorial, la Cour administrative d’appel de Versailles a sollicité l’avis du Conseil d’Etat aux fins de savoir si la présentation, par un fonctionnaire territorial, d’une demande de congé longue durée à raison d’une maladie contractée en service conformément aux dispositions de l’article 23 du décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 peut être formée sans délai, ou au contraire, s’il convient de se conformer au régime applicable aux fonctionnaires de l’Etat, lequel prévoit que la demande d’imputabilité doit être présentée dans un délai de quatre ans suivant la date de la première constatation médicale de la maladie.

Après avoir rappelé les dispositions respectivement prévues par l’article 32 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l’organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d’aptitude physique pour l’admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, puis par celles prévues par l’article 23 du décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 pris pour l’application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l’organisation des comités médicaux, aux conditions d’aptitude physique et a régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux, le Conseil d’Etat relève que le décret du 14 mars 1986 « a été pris pour l’application des articles 34 et 35 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat », si bien que ses dispositions ne peuvent s’appliquer qu’aux fonctionnaires de l’Etat.

La Haute juridiction conclut donc que la demande d’imputabilité au service de la maladie contractée par un fonctionnaire territorial peut être formée sans condition de délai :

« 4. Les fonctionnaires territoriaux sont régis, s’agissant de l’organisation des comités médicaux, des conditions d’aptitude physique et du régime des congés de maladie, par les dispositions du décret du 30 juillet 1987 pris pour l’application des articles 57 et 58 de la loi du 26 janvier 1984. Aucune disposition de ce décret ni aucun autre texte réglementaire ou principe général ne rend applicables aux fonctionnaires territoriaux les dispositions de l’article 32 du décret du 14 mars 1986 relatives au délai de quatre ans dans lequel la demande tendant à ce que la maladie soit reconnue comme ayant été contractée dans l’exercice des fonctions doit être présentée par le fonctionnaire. Ce délai de quatre ans ne peut, en conséquence, être opposé aux fonctionnaires territoriaux qui demandent, en application de l’article 23 du décret du 30 juillet 1987 cité au point 2, à ce que leur maladie soit reconnue comme ayant été contractée dans l’exercice de leurs fonctions ».

 

CE, Avis, 5 avril 2019, req. n° 426281 

Droit public général

8 avril 2019 - Liaison du contentieux et date d’appréciation de la recevabilité d’un recours indemnitaire tenant à la condition de l’existence d’une décision de l’administration

Par un avis en date du 27 mars 2019 le Conseil d’Etat est revenu sur les règles de liaison du contentieux indemnitaire.

Après avoir rappelé qu’aux termes de l’article R.421-1 du code de justice administrative, « lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle », le Conseil d’Etat est venu apporter plusieurs précisions quant à la recevabilité d’un recours indemnitaire.

Le Conseil d’Etat énonce tout d’abord « qu’en l’absence d’une décision de l’administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d’une somme d’argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif même si, dans son mémoire en défense, l’administration n’a pas soutenu que cette requête était irrecevable, mais seulement que les conclusions du requérant n’étaient pas fondées ».

L’apport de l’avis du Conseil d’Etat réside du reste essentiellement sur la détermination de la date à laquelle l’existence d’une décision de l’administration doit être appréciée.

Et le Conseil d’Etat de préciser que « la condition de recevabilité de la requête tenant à l’existence d’une décision de l’administration s’apprécie à la date de son introduction », mais « doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l’administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle ».

Il s’en infère logiquement que « l’intervention d’une telle décision en cours d’instance régularise la requête, sans qu’il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l’administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l’absence de décision ».

CE, Avis, 27 Mars 2019, D. c/ CHU de Reims, n°426472

 

10 avril 2019 - Adoption de la proposition de loi pour sécuriser l’actionnariat des entreprises publiques locales en première lecture par le Sénat

Le 4 avril 2019, le Sénat a adopté en première lecture la proposition de loi tendant à sécuriser l’actionnariat des entreprises publiques locales.

Une action législative était attendue depuis la décision rendue par le Conseil d’Etat à ce sujet en novembre dernier, source d’incertitudes juridiques.

Pour rappel, aux termes d’une appréciation stricte, la Haute juridiction avait considéré, sur le fondement des articles L.1531-1, L.1521-1 et L.1524-5 du code général des collectivités territoriales, que la participation d’une collectivité territoriale à une société publique locale ou à une société d’économie mixte locale n’était possible qu’à condition que cette première détienne l’ensemble des compétences correspondant à l’objet social de la société :

« 4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, hormis le cas, prévu par l’article L. 1521-1 du code général des collectivités territoriales, où l’objet social de la société s’inscrit dans le cadre d’une compétence que la commune n’exerce plus du fait de son transfert, après la création de la société, à un établissement public de coopération intercommunale, la participation d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales à une société publique locale, qui lui confère un siège au conseil d’administration ou au conseil de surveillance et a nécessairement pour effet de lui ouvrir droit à participer au vote des décisions prises par ces organes, est exclue lorsque cette collectivité territoriale ou ce groupement de collectivités territoriales n’exerce pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société » (CE, 14 novembre 2018, Société d’exploitation mutualisée pour l’eau, l’environnement, les réseaux, l’assainissement dans l’intérêt du public (SEMERAP), req. n° 405628).

Or, cette proposition de loi vise à lever les doutes quant à la légalité des sociétés publiques locales et des sociétés d’économie mixte locales déjà constituées en prévoyant, notamment, que « la réalisation de l’objet de ces sociétés concourt à l’exercice d’au moins une compétence de chacune des collectivités territoriales et de chacun des groupements de collectivités territoriales qui en sont actionnaires ».

Les sénateurs précisent également que les différentes missions conférées à ces sociétés « doivent être complémentaires ».

Le Sénat témoigne ainsi de sa volonté de rassurer les sociétés publiques locales ainsi que les sociétés d’économie mixte déjà constituées, en ce que l’article 4 de cette proposition de loi indique que « sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les dispositions de la présente loi s’appliquent aux sociétés mentionnées aux articles L. 1521-1 et L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales et à larticle L. 327-1 du code de lurbanisme constituées antérieurement à sa date de publication ».

Cette proposition de loi devrait être étudiée en commission des lois à l’Assemblée nationale le 30 avril prochain, et en séance publique le 9 mai.

Lien vers la proposition de loi

Lien vers l’arrêt du Conseil d’Etat du 14 novembre 2018 

17 avril 2019 - La mention « satisfaction totale ou partielle » communiquée avant l’audience par le rapporteur public aux parties au titre du sens de ses conclusions est insuffisante

Le 28 mars dernier, le Conseil d’Etat a censuré l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Douai au motif du défaut de précision du sens des conclusions communiqué par le rapporteur public aux parties avant la tenue de l’audience.

En effet, après avoir rappelé les dispositions de l’article R.711-3 du code de justice administrative, la Haute juridiction indique que « la communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de mettre les parties en mesure d’apprécier l’opportunité d’assister à l’audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu’elles peuvent y présenter après les conclusions du rapporteur public à l’appui de leur argumentation écrite et d’envisager, si elles l’estiment utile, la production, après la séance publique, d’une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l’audience, l’ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d’adopter, à l’exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s’impose à peine d’irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public ».

Ainsi, en l’espèce, en ayant porté à la connaissance des parties le sens des conclusions qu’il s’apprêtait à prononcer lors de l’audience dans les termes « satisfaction totale ou partielle », le rapporteur public n’a pas satisfait aux exigences prescrites par l’article R.711-3 du code susvisé. Le Conseil d’Etat précisant à cet égard qu’une telle mention « ne permettait pas [aux parties] de connaître la position du rapporteur public sur le montant de l’indemnisation qu’il proposait de mettre à la charge de l’Etat ».

CE, 28 mars 2019, Mme E., req. n° 415103