4 mars 2020 - Dans l’hypothèse où l’autorité concédante pourrait être amenée à commander des prestations supplémentaires en cours d’exécution du contrat sans toutefois être en mesure d’en déterminer le volume exact, elle est fondée à prévoir un critère reposant sur la comparaison des prix unitaires
Par un appel d’avis public à la concurrence en date du 11 février 2019, la commune de Saint-Julien-en-Genevois a lancé la passation d’une concession de services portant sur la mise à disposition, l’installation, la maintenance, l’entretien et l’exploitation commerciale d’abris voyageurs et de mobiliers urbains, qu’elle a attribué à la société Girod Médias.
La société JCDecaux France, candidate évincée, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble d’un référé précontractuel, tendant d’une part à ce qu’il soit enjoint à la commune de lui communiquer les notes respectivement obtenues par son offre ainsi que par celle de l’attributaire, et d’autre part d’annuler la procédure de passation.
Le juge des référés du tribunal administratif a fait droit à cette demande par une ordonnance rendue le 15 novembre 2019.
Il a en effet relevé que le règlement de la consultation prévoyait la possibilité de commander des prestations supplémentaires, évaluées par le critère n° 8 « coûts supplémentaires pour la commune », pour lesquelles les candidats étaient invités à remplir le tableau annexé au bordereau des prix unitaires en indiquant un prix unitaire.
Néanmoins, en ne fixant aucune limite quantitative pour ces prestations supplémentaires, le juge des référés a jugé que la commune n’avait pas suffisamment défini l’étendue de ses besoins et s’était réservée une marge de choix discrétionnaire dans l’appréciation de ce critère, lequel ne garantissait donc pas l’égalité de traitement des candidats et la transparence de la procédure.
Cependant, par un arrêt rendu le 26 février 2020 et mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État n’a pas suivi cette interprétation. Aux termes de celui-ci, la Haute juridiction a rappelé que l’autorité concédante, qui estime qu’elle pourra être placée dans la nécessité de commander des prestations supplémentaires au cours de l’exécution du contrat sans toutefois être en mesure d’en déterminer le volume exact, a la faculté de prévoir lors de la mise en concurrence un critère fondé sur la comparaison des prix unitaires proposés par les candidats pour ces prestations.
Or, en l’espèce, le tableau annexé au bordereau des prix unitaire permettait justement de comparer les prix unitaires des différentes offres.
Le Conseil d’Etat censure donc pour erreur de droit l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble et décide de régler l’affaire au fond, en application des dispositions prévues par l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sans qu’il soit besoin de revenir sur l’ensemble des autres moyens développés par la société JCDecaux France, qui sont tous écartés par le Conseil d’État, il sera indiqué que ce dernier a validé la pondération du critère n° 8 à hauteur de 34%, estimant que la personne publique a la possibilité « d’attacher une importance particulière aux conditions financières dans lesquelles des prestations supplémentaires seraient susceptibles d’être commandées », sans risquer de commettre une erreur manifeste d’appréciation.
Et, pour finir, la Haute juridiction rejette également le moyen fondé sur l’offre anormalement basse de la société Girod Médias, au motif que le régime juridique applicable à de telles offres n’est pas applicable en tant que tel aux concessions.
CE, 26 février 2020, Commune de Saint-Julien-en-Genevois, req. n° 436428
11 mars 2020 - Remboursement des avances à la suite de la résiliation d’un marché
Aux termes d’une décision du 6 mars 2020, le Conseil d’Etat est venu préciser qu’à la suite de la résiliation d’un marché, le maître d’ouvrage peut obtenir le remboursement de l’avance qui a été versée à son sous-traitant, sous réserve des dépenses exposées ainsi que des prestations effectivement exécutées, sur le fondement des règles de la commande publique.
Dans cette espèce, un centre hospitalier avait conclu un marché de conception-réalisation avec la société A. pour la construction d’un nouvel hôpital. Ce centre hospitalier avait accepté la société S. en qualité de sous-traitant pour l’exécution d’une partie d’un lot relatif à la » menuiserie extérieure brise soleil » et avait agréé ses conditions de paiement pour un montant maximum de 2 056 253,86 euros HT.
La société S. avait obtenu, à sa demande, une avance forfaitaire de 20% du montant sous-traités correspondant à un montant de 446.207,09 euros TTC.
Toutefois, à la suite d’une cession partielle des actifs de la société A. aux profits de la société SY, le Centre hospitalier a constaté l’absence de reprise du chantier. Aussi, par un courrier du 31 août 2011, le centre hospitalier a informé la société S., sous-traitante, de la résiliation du marché aux torts de la société SY.
Dans ce contexte, le Centre hospitalier a émis un titre de recette réclamant à la société S. la somme correspondant au remboursement de l’avance accordé, à savoir 446.207,09 euros TTC.
La Cour administrative d’appel de Bordeaux a toutefois rejeté la demande de la société S. tendant à l’annulation du titre exécutoire émis.
Plus précisément, pour rejeter la requête, la Cour administrative d’appel a considéré que, dans la mesure où la société S. n’avait pas exécuté les prestations qui lui avaient été confiées, ne serait-ce que partiellement, le Centre hospitalier ne pouvait dès lors obtenir le remboursement de l’avance qu’il avait versée à la société S. par précompte sur les sommes dues au sous-traitant sur le fondement du code des marchés publics alors applicable.
Toutefois, la Cour administrative d’appel de Bordeaux avait considéré que le Centre hospitalier pouvait émettre des titres exécutoires en se fondant sur le fondement de l’enrichissement sans cause.
Dans son considérant de principe, le Conseil d’Etat énonce qu’en cas de résiliation d’un marché, avant que l’avance ne puisse être remboursée par précompte sur les prestations dues, le maître d’ouvrage peut obtenir le remboursement de l’avance versée au titulaire du marché ou son sous-traitant sous réserve des prestations prévues et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisée :
« lorsque le marché est résilié avant que l’avance puisse être remboursée par précompte sur les prestations dues, le maître d’ouvrage peut obtenir le remboursement de l’avance versée au titulaire du marché ou à son sous-traitant sous réserve des dépenses qu’ils ont exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées. En cas de résiliation pour faute du marché, le remboursement de l’avance par le sous-traitant ne fait pas obstacle à ce que celui-ci engage une action contre le titulaire du marché et lui demande, le cas échéant, réparation du préjudice que cette résiliation lui a causé à raison des dépenses engagées en vue de l’exécution de prestations prévues initialement au marché ».
Il est notable de relever que le Conseil d’État fonde ici son raisonnement sur les principes énoncés par les articles 87, 88 et 115 du code des marchés publics – applicable dans cette espèce – tout en rappelant que ces principes ont été repris en substance par le code de la commande publique.
En l’occurrence, le Conseil d’État considère que la Cour administrative de Bordeaux a commis une erreur de droit dans la mesure où le fondement du remboursement des avances par le sous-traitant, en raison d’une absence totale ou partielle de réalisation de ses prestations, repose bel et bien sur les dispositions tirées du code des marchés publics alors même que le marché résilié n’aurait pas été exécuté.
CE, 6 mars 2020, Société Savima, req. n°423443
16 mars 2020 - Le maître d’ouvrage est infondé à engager la responsabilité décennale du maître d’œuvre pour un désordre localisé et de faible ampleur
En vue de la consolidation de la structure du bâtiment du centre socio-culturel d’une part et de l’aménagement d’un pôle musical au deuxième niveau de ce centre d’autre part, la commune de Nueil-les-Aubiers a confié une mission de maîtrise d’œuvre comportant deux phases au groupement constitué par la société d’architecture Luc Cogny – mandataire –, la société Bureau technique du Poitou, la société ACE, la société Acoustex Ingénierie, et le Centre de recherche et diagnostic.
La seconde phase des travaux a été réceptionnée sans réserve le 28 juin 2010.
Néanmoins, prétextant la mauvaise qualité acoustique de deux salles de musique du pôle musical et du niveau élevé du bruit résultant de leur utilisation, la commune de Nueil-les-Aubiers a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers en vue de la désignation d’un expert.
Et, postérieurement au dépôt du rapport d’expertise, la commune a sollicité du tribunal administratif la condamnation solidaire du groupement, ainsi que des assureurs respectifs de chacun de ses membres à lui verser la somme de 252.012,58 euros correspondant au préjudice subi en raison des désordres affectant le pôle musical, sur le fondement de la responsabilité décennale.
Saisie de ce litige suite au rejet de la demande de la commune de Nueil-les-Aubiers par les juges de première instance, la cour administrative d’appel de Bordeaux commence par rappeler qu’en application de la garantie décennale des constructeurs, ces derniers sont responsables de plein droit pendant le délai de dix ans de la totalité des désordres apparus postérieurement à la réception, sous réserve qu’ils compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination.
En l’espèce, il résulte du rapport d’expertise que deux salles de répétition sur les cinq salles de musique aménagées dans le cadre de la seconde phase du marché de maîtrise d’œuvre présentent des défauts d’isolation acoustique, qui seraient, d’après la commune, non conformes aux objectifs dont elle avait exigé le respect à la maîtrise d’œuvre. Elle souhaitait en effet que plusieurs salles de musique puissent être utilisées de manière concomitante avec isolation phonique entre chacune de ces salles et vis-à-vis des autres étages du centre culturel, afin de permettre les répétitions sans perturber non seulement le fonctionnement de ce centre, mais de surcroît la tranquillité des riverains.
Or, l’expertise a révélé que la pression acoustique dans ces deux salles est supérieure aux niveaux sonores fixés par le décret du 31 août 2006, alors applicable.
Toutefois, l’expert a également considéré que l’impossibilité d’utiliser ces deux salles de musique comme le maître d’ouvrage l’espérait n’est que partielle dans le temps et dans l’espace, sans que l’utilisation normale de ces salles ne soit remise en cause. Et, de surcroît, si le rapport d’expertise a retenu leur impropriété à destination, celle-ci ne résulte que du seul fait qu’il incombe aux musiciens utilisateurs de la salle de répétition de l’orchestre municipal de limiter eux-mêmes les émissions sonores, cependant que la salle de répétition de musique amplifiée peut être utilisée conformément à sa destination.
Ainsi, à l’instar du tribunal administratif, la cour administrative d’appel de Bordeaux juge que les nuisances sonores ne sont pas des désordres susceptibles de rentrer dans le champ d’application de la garantie décennale, eu égard à leur caractère localisé et à leur faible ampleur.
Par ailleurs, les juges d’appel considèrent comme tout autant infondée la recherche de responsabilité des membres du groupement de maîtrise d’œuvre par la commune pour les nuisances sonores subies par les habitants de la maison mitoyenne du centre culturel. En effet, et ainsi qu’il l’a été expliqué supra, la salle dédiée à la musique amplifiée peut être utilisée conformément à sa destination, à condition d’utiliser un appareil permettant de limiter le niveau sonore des répétitions. Et, en tout état de cause, les études réalisées par le bureau d’études acoustiques ne démontrent pas que les nuisances sonores résultant des répétitions de musique amplifiée excéderaient le niveau moyen de pression acoustique maximal fixé à 105 dB(A) par le décret du 15 décembre 1998 relatif aux prescriptions applicables aux établissements ou locaux recevant du public et diffusant à titre habituel de la musique amplifiée.
En conséquence, la cour administrative d’appel de Bordeaux rejette l’appel formé par la commune de Nueil-les-Aubiers.
CAA Bordeaux, 10 mars 2020, Commune de Nueil-les-Aubiers, req. n° 17BX03727
20 mars 2020 - Mesures prises pour prévenir la défaillance d’entreprises causée par la crise sanitaire du Covid-19
Saisi le 17 mars 2020 d’un projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, le Conseil d’Etat a rendu, le 18 mars 2020, un avis.
Parmi les différentes mesures prises pour faire face à l’épidémie de coronavirus, figurent des aménagements des règles de la commande publique.
Ainsi que le précise le Conseil d’Etat, « le projet de loi habilite, en troisième lieu, le Gouvernement à modifier les obligations des entreprises à l’égard de leurs clients et fournisseurs, notamment en termes de délais et pénalités et de nature des contreparties ».
S’agissant spécifiquement des contrats publics et de la commande publique, ainsi que cela ressort de l’avis, le projet de loi prévoit « l’adaptation des règles de délais de paiement, d’exécution et de résiliation prévues par les contrats publics et le code de la commande publique, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles ».
Le Conseil d’Etat souligne que le projet « permet encore, au bénéfice des petites et moyennes entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie, diverses mesures relatives à l’étalement du paiement des factures d’eau et d’énergie ».
Connaissance prise de ces mesures, le Conseil d’Etat « estime que l’intérêt général qui s’attache à la prévention de la défaillance d’entreprises causée par la crise sanitaire actuelle est susceptible de justifier une atteinte aux contrats en cours ».
Jeudi 19 mars 2020, le Sénat a adopté le projet de loi, par 252 voix pour et 2 contre, et le projet de loi organique, par 238 voix pour et 2 voix contre, d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.
27 mars 2020 - Articulation entre l’application de la force majeure et des mesures prévues par l’ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 pour faire face aux difficultés d’exécutions contractuelles rencontrées dans les contrats publics
Dans le contexte d’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter sa propagation, les autorités contractantes et les opérateurs économiques peuvent rencontrer des difficultés dans l’exécution de leurs contrats.
Afin de les soutenir, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a autorisé le gouvernement à prendre, par ordonnance, toute mesure pour adapter les règles de passation, délais de paiement, d’exécution et de résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles prévues par le code la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet.
C’est sur le fondement de cette habilitation législative que le gouvernement a adopté l’ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19.
L’ordonnance n°2020-319 met à disposition des autorités contractantes et opérateurs économiques impactées par l’épidémie et les mesures qui ont été adoptées pour éviter sa propagation, un panel de mesures juridiques qui ont vocation à leur permettre de modifier les conditions d’exécution des contrats publics.
Elles permettent également, à notre sens, d’étendre le champ d’application de la force majeure dont les conditions d’admission peuvent s’avérer restrictives.
En effet, si comme le demandait le gouvernement, il était recommandé aux acheteurs publics, « eu égard au caractère exceptionnel de la crise, de ne pas hésiter à reconnaître que les difficultés rencontrées par leurs co-contractants sont imputables à un cas de force majeure. » (Direction des Affaires Juridiques – Fiche sur la passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire), les caractéristiques de la force majeure ne sont pas toujours évidentes à démontrer.
Elle implique un évènement « irrésistible » qui peut être compliqué à caractériser voire inadapté pour faire face aux difficultés de certaines entreprises dont l’exécution des obligations n’est pas rendue impossible mais difficile ou plus onéreuse en raison des mesures adoptées pour faire face à l’épidémie (voir en ce sens CE 5 novembre 1982, Société Propétrol, req. n° 19413 et CE 16 juin 1989, Société SPIE-Batignolles, req. n° 39242).
L’ordonnance n° 2020-319 crée ainsi un dispositif similaire à la force majeure dans son régime et dont les conditions d’applications sont assouplies pour permettre aux autorités contractantes et aux opérateurs économiques de faire face aux difficultés qu’ils rencontrent dans l’exécution de leurs contrats du fait de l’épidémie de covid-19. Elle permet dès lors de protéger les entreprises :
Dans le premier cas, les titulaires peuvent demander une prolongation du délai d’exécution contractuelle prévu et dans le second, ils ne sauraient être sanctionnés, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir leur responsabilité contractuelle engagée pour ce motif.
L’on précisera, au regard de l’article 1er de ladite ordonnance qui pose un principe de nécessité des mesures adoptées, que ces mesures appliquées pour soutenir les entreprises (en prolongeant le délai d’exécution contractuellement prévu ou en n’appliquant aucune sanction) devront être justifiées et proportionnées par rapport à la situation dans laquelle se trouvent les contractants du fait de l’épidémie et des mesures prises pour limiter sa propagation.
En définitive, les difficultés des opérateurs économiques dont l’exécution des obligations n’est pas rendue impossible mais difficile ou plus onéreuse en raison des mesures adoptées pour faire face à l’épidémie sont désormais prises en compte et se voient appliquer un régime proche de celui de la force majeure existant pour les contrats publics.
Pourtant la mise en place de ce régime exceptionnel n’exclut de faire jouer d’autres mesures que l’ordonnance n’envisagerait pas et notamment la force majeure si les parties le souhaite (pour permettre par exemple une suspension des contrats). Ce régime a effectivement pour vocation de protéger plus largement (et simplement) les entreprises touchées par l’épidémies et les mesures adoptées par éviter sa propagation et non de remplacer les régimes de protection des contractants public déjà existants.
13 mars 2020 - Services de transport ferroviaire librement organisés (SLO) : publication des premières décisions de l’ART sur l’incidence financière des SLO sur les contrats de service public en cours
A compter de l’horaire de service 2021, les entreprises ferroviaires disposeront d’un droit d’accès à l’infrastructure ferroviaire en vue d’y exploiter des services de transport intérieurs de voyageurs.
La libéralisation de ces services est susceptible de porter atteinte à l’équilibre économique de conventions de service public existantes portant sur l’exploitation de services de transport organisés par les autorités publiques organisatrices de la mobilité.
La directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012 (art. 11, notamment) et le règlement d’exécution (UE) 2018/1795 du 20 novembre 2018 prévoient la possibilité de limiter les SLO dans l’hypothèse où il peut être démontré, en vertu d’un test d’équilibre économique conduit par l’autorité de contrôle (en France, l’Autorité de régulation des transports (ART)), que l’exploitation effective de ces services serait de nature à compromettre l’équilibre économique d’un contrat de service public qui porte sur la même liaison (ou à laquelle le SLO est substituable).
La procédure et les critères de ce test d’équilibre économique ont été définis par le règlement d’exécution susvisé, les articles L. 2121-12 et L. 2133-1 du code des transports, et les dispositions du décret n° 2018-1275 du 26 décembre 2018. Ils ont été précisés par les lignes directrices adoptées par l’ART le 6 juin 2019.
Ce test se décompose en cinq étapes :
aux termes desquelles l’incidence est évaluée, sans qu’un seuil chiffré ait été déjà préétabli par l’ART, à partir duquel l’incidence serait réputée « considérable » ;
Dans plusieurs avis en date du 9 janvier 2020, publiés le 24 février 2020, l’ART a fait effectivement application de cette procédure de test économique, au sujet de services notifiés par la société Flixtrain.
Les régions Hauts-de-France, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et – conjointement à celle-ci – Bourgogne-Franche-Comté, avaient saisi l’ART de demandes de test d’équilibre économique concernant plusieurs services notifiés par la société Flixtrain.
Les décisions rendues par l’ART livrent de premiers enseignements sur la mise en œuvre de cette procédure de test économique.
L’on précisera que l’une des demandes – celle de la région Hauts-de-France, portant sur une liaison Paris-Bruxelles, passant par Saint-Quentin – a été rejetée faute de contrat de service public en vigueur au titre duquel le test pourrait être conduit (décision n° 2020-004).
Les demandes présentées respectivement par la région Occitanie (liaison Paris-Toulouse – décision n° 2020-001) et les régions Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes (liaison Paris-Lyon – décision n° 2020-003) ont conduit l’ART à conclure à l’absence d’incidence financière considérable et, par conséquent, à ne pas restreindre l’accès à l’infrastructure ferroviaire à la société Flixtrain pour l’exploitation des services considérés.
Le premier enseignement à retirer de ces deux décisions est que, conformément à la lettre des textes, l’incidence financière du SLO est appréciée au regard de l’intégralité du contrat de service public existant, ce qui limite encore – en comparaison avec l’examen qui était conduit s’agissant des SLO de transport routier de voyageurs – la probabilité que cette incidence soit regardée comme « considérable » au sens des textes. L’on rappellera, en effet, qu’à l’heure actuelle, les conventions TER conclues par les régions portent, en règle générale, sur l’ensemble de leur ressort territorial. Ces contrats portent ainsi sur des enjeux financiers très substantiels (plusieurs centaines de millions d’euros, en règle générale) peu exposés à une perturbation considérable par l’organisation d’un SLO déterminé, qui ne viendra concurrencer qu’une part limitée des services couverts par le contrat de service public.
Cette première circonstance pourrait conduire les autorités organisatrices à réfléchir à un allotissement contractuel des services. Il s’agit, aussi bien, de protéger l’exploitation actuelle des lots considérés que de préserver l’attractivité des lots qui pourraient être mis en concurrence à l’avenir : l’existence de SLO pourra, en effet, peser notablement sur la rentabilité des services conventionnés, ce qui pourra se traduire en un renchérissement, pour les autorités organisatrices, de ces services, voire en un désintérêt des opérateurs pour leur exploitation à l’occasion de mises en concurrence.
Le second enseignement est donné par les ratios d’incidence financière qui ont conduit l’ART à dénier l’existence d’une incidence financière « considérable » au sens des textes. Il convient évidemment d’être prudents s’agissant du caractère réplicable de ces ratios, mais ces premières illustrations donnent un premier ton.
S’agissant de la liaison Paris-Toulouse, l’ART a constaté, au terme de l’approche maximaliste susvisée, une incidence financière de 0,15 % (pour l’ensemble du périmètre et de la durée de la convention considérée).
S’agissant de la liaison Paris-Lyon, le caractère « non considérable » de l’incidence financière a été retenu :
En conséquence de ces estimations, l’analyse sur le quatrième critère n’a pas dépassé le stade de l’approche maximaliste : au terme de celle-ci, l’ART a conclu à l’absence d’incidence financière considérable.
Il y a fort à parier – ou à craindre, pour les autorités organisatrices – qu’au regard de la structuration actuelle des conventions TER, ces deux décisions augurent d’une particulière difficulté, pour les AOM, à faire reconnaître l’existence d’une incidence financière considérable et, donc, à parvenir à restreindre les SLO notifiés par des entreprises ferroviaires.
Décision n° 2020-002 du 9 janvier 2020
Décision n° 2020-003 du 9 janvier 2020
Décision n° 2020-004 du 9 janvier 2020
25 mars 2020 - Règles applicables dans les transports publics collectifs routiers, guidés et ferroviaires de voyageurs visant à lutter contre la propagation du virus covid-19
Le décret n°2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, publié au JO du 24 mars 2020, est venu préciser, dans ce contexte de crise sanitaire, les règles applicables dans les transports publics collectifs routiers, guidés et ferroviaires de voyageurs.
Aussi, conformément aux termes de l’article 6 du décret précité, il y a lieu de relever que tout opérateur de transport public collectif routier, guidé ou ferroviaire de voyageurs est tenu de mettre en œuvre les mesures qui suivent :
En outre, on relèvera que cet arrêté précise qu’en cas de manquement aux règles susvisées, une interdiction de service de transport sur toutes les lignes concernées pourrait être prononcée.
En pareille hypothèse, la décision d’interdiction doit indiquer le service concerné, les motifs qui justifient l’interdiction, la durée ainsi que les conditions et mesures nécessaires pour le rétablissement du service.
Il est enfin précisé que l’interdiction est décidée par le préfet de région dans laquelle le service est organisé dans le cas où le service est conventionnée avec une région ou Ile-de-France Mobilités ou avec une autorité organisatrice de la mobilité.
Dans les autres cas, l’interdiction est prononcée par un arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et des transports.
2 mars 2020 - Légalité d’une décision de radiation des cadres pour abandon de poste prononcée à l’encontre d’un agent reconnu apte à reprendre ses fonctions, et qui n’a pas rejoint son poste à l’issue du délai qui lui avait été imparti par une mise en demeure
La Cour administrative d’appel de Douai a eu l’occasion de se prononcer sur la légalité d’une décision de radiation de cadre pour abandon de poste.
Dans cette affaire, M.A, ouvrier professionnel qualifié, affecté à l’établissement d’hébergement pour personnes âgés dépendantes du centre hospitalier du Quesnoy, a bénéficié d’un congé de maladie du 15 mai 2015 au 31 juillet 2015 pour une lombo-sciatique.
Le médecin agréé qui a procédé le 28 juillet 2015, sur demande du Centre Hospitalier, à une contre visite de l’agent, a considéré que l’agent était apte à reprendre son travail dès le lendemain.
Suite à cette contre visite, M.A a produit un nouvel arrêt de travail du 29 juillet 2015 au 29 août 2015 pour la même pathologie, sans toutefois faire état de circonstances nouvelles tirées d’une aggravation de son état de santé ou d’une nouvelle affection.
C’est dans ce contexte que le directeur du centre hospitalier a, par courrier en date du 31 juillet 2015, mis en demeure M. A. de rejoindre son poste au plus tard le vendredi 7 août 2015 à 13h.
L’agent n’ayant pas déféré à la mise en demeure qui lui avait été adressée, le Centre Hospitalier a adopté, le 7 août 2015, une mesure de radiation de cadre pour abandon de poste.
Le tribunal administratif de Lille ayant rejeté la requête de M. A tendant à l’annulation de la décision du 7 août 2015, et à l’indemnisation de ses préjudices, cet agent a interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Douai.
La Cour administrative d’appel rappelle tout d’abord qu’« une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l’agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié qu’il appartient à l’administration de fixer. Une telle mise en demeure doit prendre la forme d’un document écrit, notifié à l’intéressé, l’informant du risque qu’il encourt d’une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable. Lorsque l’agent ne s’est ni présenté, ni fait connaître à l’administration aucune intention avant l’expiration du délai fixé par la mise en demeure, et en l’absence de toute justification d’ordre matériel ou médical, présentée par l’agent, de nature à expliquer le retard qu’il aurait eu à manifester un lien avec le service, cette administration est en droit d’estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l’intéressé ».
Les magistrats insistent dans un second temps sur le cas particulier des agents qui se trouvent en position de congés maladie et précisent que « l’agent qui se trouve en position de congé de maladie est regardé comme n’ayant pas cessé d’exercer ses fonctions. Par suite, il ne peut en principe faire l’objet d’une mise en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service à la suite de laquelle l’autorité administrative serait susceptible de prononcer sa radiation des cadres pour abandon de poste ».
Et la Cour de nuancer s’agissant des agents qui ont été reconnus aptes à reprendre leurs fonctions lors d’une contre visite : « il en va toutefois différemment lorsque l’agent, reconnu apte à reprendre ses fonctions lors d’une contre-visite médicale, se borne, pour justifier sa non présentation ou l’absence de reprise de son service, à produire un certificat médical prescrivant un nouvel arrêt de travail sans apporter, sur son état de santé, d’éléments nouveaux par rapport aux constatations sur la base desquelles a été rendu l’avis lors de la contre-visite médicale ».
Dans le cas d’espèce soumis à son examen, la Cour a considéré que M.A devait « être regardé comme ayant rompu le lien qui l’unissait au centre hospitalier ».
Les magistrats relèvent en effet que si M. A a produit un certificat médical du 30 mars 2016 précisant qu’il « n’était pas en état physique de reprendre une activité professionnelle à la période du début du mois d’août », ce certificat médical « ne fai[sai]t état d’aucun élément nouveau par rapport aux constatations faites par le médecin agréé ».
La Cour écarte donc les moyens tirés de l’erreur de droit et de l’erreur d’appréciation, et rejette, par conséquent, la requête d’appel de l’agent.
CAA Douai, 25 février 2020, M. A c/ Centre Hospitalier du Quesnoy, req. n°18DA01299.
18 mars 2020 - Une commune est fondée à refuser le recrutement d’un candidat qui a passé avec succès l’ensemble des épreuves, lorsque les mentions portées sur le bulletin n°2 de son casier judiciaire ne sont pas compatibles avec l’exercice des fonctions
Malgré la circonstance qu’il ait passé avec succès les épreuves du test pour le recrutement d’adjoint technique, M. C a été informé par la ville de Paris qu’il ne pouvait être donné une suite favorable à son recrutement, au vu des mentions portées sur le bulletin n°2 de son casier judiciaire. En effet, en application de l’article 5 de la loi du 13 juillet 1983, ces mentions sont considérées comme incompatibles avec l’exercice des fonctions auxquelles M. C postulai
M. C a donc déféré à la censure du juge administratif la décision prise par la ville de Paris. Le tribunal administratif de Paris ayant rejeté sa demande d’annulation, M. C a interjeté appel.
L’appelant soutenait, en premier lieu, sur le fondement des dispositions prévues par l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration, que la décision prise par la ville de Paris aurait dû être motivée. Les juges d’appel ont néanmoins considéré que si la réussite du test pour le recrutement d’adjoint technique permettait effectivement le recrutement de M. C au poste envisagé, elle ne créait à son profit aucun droit à la nomination dans ces fonctions. Ainsi, la décision de refus du recrutement de M. C n’est pas une décision refusant un avantage dont l’attribution constitue un droit pour la personne qui en remplit les conditions, si bien que cette décision n’avait pas à faire l’objet d’une motivation au sens de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration.
En second lieu, M. C prétendait que la décision de la ville de Paris était entachée d’erreur manifeste d’appréciation. La cour administrative d’appel de Paris relève cependant que, par jugement du 16 octobre 2014 du tribunal de grande instance de Bobigny siégeant en formation correctionnelle, M. C a été condamné à un an d’emprisonnement pour transport, détention et acquisition non autorisés de stupéfiants et à une interdiction de séjour de deux ans dans la commune de Saint-Denis. Ainsi, eu égard à la nature, à l’importance et au caractère récent de cette condamnation, les juges d’appel estiment que la ville de Paris a pu décider, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que les mentions portées sur le bulletin n°2 du casier judiciaire de M. C n’étaient pas compatibles avec les fonctions exercées par un adjoint technique.
La cour précise-t-elle encore que le fait que le TGI ait placé M. C sous surveillance électronique à compter du 19 mai 2017 au vu des efforts d’insertion qu’il a entrepris est sans incidence, eu égard à la nature et à l’importance de la condamnation prononcée à son encontre.
De même, est sans incidence la circonstance que le TGI ait accepté, par jugement du 19 juin 2018, que la mention de la condamnation prononcée à l’encontre de M. C soit exclue du bulletin n°2 de son casier judiciaire, dans la mesure où ce jugement est intervenu postérieurement à la décision prise par la ville de Paris.
Dans ces conditions, la cour administrative d’appel de Paris rejette l’appel formé par M. C.
CAA Paris, 11 mars 2020, M. C, req. n° 18PA01715
3 mars 2020 - Le maître d’ouvrage qui n’a pas la qualité de professionnel dispose d’un délai de 8 jours à compter de la remise des clés pour solder le prix des travaux, sauf à ce que des réserves aient été identifiées à la réception
En qualité de maître d’ouvrage, des particuliers ont conclu un contrat de construction d’une maison individuelle avec fourniture de plan avec la société Logemaine.
Alors que la réception des travaux est intervenue le 1er août 2011, cette dernière, qui n’avait pas été réglée, a assigné les maîtres d’ouvrage le 23 mars 2015 en paiement du solde du prix des travaux.
Constatant que la réception de l’ouvrage avait donné lieu à l’expression de réserves qui n’avaient pas été reprises dans le délai de la garantie de parfait achèvement, la cour d’appel d’Angers a considéré que l’action en paiement engagée par la société Logemaine, qui doit être exercée dans un délai de deux ans conformément à l’article L. 137-2 du code de la consommation, était prescrite.
Saisie de ce litige, la Cour de cassation rappelle, aux visas des articles L. 137-2 du code de la consommation – aujourd’hui codifié à l’article L. 218-2 du même code – et R. 231-7 du code de la construction et de l’habitation, dans sa rédaction en vigueur lors de l’assignation, le principe selon lequel le maître d’ouvrage qui ne se fait pas assister par un professionnel pour la réception des travaux doit régler le solde au constructeur dans un délai de 8 jours suivant la remise des clés consécutive à la réception, si aucune réserve n’a été formulée, ou, dans cette hypothèse, à la levée des réserves.
Or, en l’espèce, en ne relevant pas que le solde du prix des travaux n’est dû au constructeur qu’à la levée des réserves, les juges d’appel ont méconnu les textes susvisés.
Partant, l’action entreprise par la société Logemaine n’étant pas prescrite, la troisième chambre civile casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Angers.
Cass., 3e civ., 13 février 2020, n° 18-26194
30 mars 2020 - Toute clause qui a pour effet d’exclure la garantie décennale des constructeurs est réputée non écrite
Par acte notarié, M. et Mme Z ont vendu leur maison d’habitation à M. et Mme X, dans lequel il avait été expressément stipulé que celle-ci était raccordé à un système d’assainissement individuel en bon état de fonctionnement.
L’acte de vente précisait également que les acquéreurs prenaient acte de cette situation et voulaient en faire leur affaire personnelle sans aucun recours contre quiconque.
Cependant, ayant constaté des dysfonctionnements du réseau d’assainissement, M. et Mme X ont assigné, sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil, l’entrepreneur qui avait réalisé l’assainissement, aux fins d’indemnisation des préjudices subis.
Saisie de ce litige, la cour d’appel d’Amiens a considéré, par un arrêt rendu le 7 juin 2018, que M. et Mme X étaient irrecevables, au motif que l’acte de vente avait exclu tout recours contre quiconque de la part des acquéreurs concernant le raccordement au réseau d’assainissement.
La Cour de cassation casse et annule cet arrêt aux visas de l’article 1792-5 du code civil.
En effet, aux termes de ces dispositions, « toute clause d’un contrat qui a pour objet, soit d’exclure ou de limiter la responsabilité prévue aux articles 1792, 1792-1 et 1792-2, soit d’exclure les garanties prévues aux articles 1792-3 et 1792-6 ou d’en limiter la portée, soit d’écarter ou de limiter la solidarité prévue à l’article 1792-4, est réputée non écrite ».
Or, en l’espèce, la troisième chambre civile relève que la clause figurant dans l’acte de vente et dont les juges d’appel ont fait application avait justement pour effet d’exclure la garantie décennale des constructeurs. En application de l’article 1792-5 du code civil, une telle clause devait nécessairement être réputée non écrite.
Dans ces conditions, la Cour de cassation renvoie l’affaire devant la cour d’appel d’Amiens, pour qu’elle y soit jugée de nouveau.
Cass., 3e civ. 19 mars 2020, n° 18-22983
9 mars 2020 - Appréciation in concreto du caractère régularisable de l'implantation irrégulière d'un ouvrage public
Le Conseil d’Etat, dans sa décision Mme B du 28 février 2020, réaffirme les conditions dans lesquelles le juge doit apprécier si un ouvrage irrégulièrement implanté doit ou non être détruit. Il avait déjà eu l’occasion de les formuler dans le cadre d’une décision Syndicat Départemental de l’électricité et du gaz des Alpes-Maritimes (CE, 29 janvier 2003, Syndicat Départemental de l’électricité et du gaz des Alpes-Maritimes, req. n° 420769) dont le considérant de principe est repris :
« lorsque le juge administratif est saisi d’une demande d’exécution d’une décision juridictionnelle qui juge qu’un ouvrage public a été implanté de façon irrégulière, il lui appartient, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’exécution de cette décision implique qu’il ordonne le déplacement de cet ouvrage, de rechercher, d’abord, si, eu égard notamment aux motifs de la décision, une régularisation appropriée est possible ; que, dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d’une part, les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de l’enlèvement pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si cet enlèvement n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général.».
Le juge de cassation vient également préciser l’appréciation du juge sur le caractère régularisable de l’implantation irrégulière d’un ouvrage public (voir pour une autre illustration : CE, 29 novembre 2019, M., n° 410689).
Dans le cas d’espèce, des particuliers demandaient la démolition d’un transformateur appartenant à la société ENEDIS qui était implanté sur un terrain leur appartenant. La cour administrative d’appel, infirmant le jugement de première instance considérant l’emprise du transformateur comme irrégulière et enjoignant à ladite société de le déplacer, avait relevé qu’une régularisation de l’implantation de l’ouvrage public était possible pour refuser la demande d’injonction sollicitée.
La Haute juridiction censure toutefois l’argumentation théorique de la cour fondée sur le fait que la société ENEDIS pouvait, compte tenu du caractère d’utilité publique de l’ouvrage concerné, obtenir la propriété du terrain par voie d’expropriation. Pour elle, il appartenait au juge, pour vérifier la possibilité d’une régularisation de l’implantation de l’ouvrage, de « rechercher si une procédure d’expropriation avait été envisagée et était susceptible d’aboutir ».
En effet, le juge dans son office de l’exécution doit vérifier si la régularisation est non seulement envisageable en droit, mais de surcroit envisagée en fait.
La décision de la cour administrative d’appel est ainsi censurée sur le fondement de l’erreur de droit.
CE, 28 février 2020, Mme B, req. n° 425743.
23 mars 2020 - Mesures de santé publique adoptées par l’Etat face à la crise sanitaire du covid-19 : le Conseil d’Etat refuse d’enjoindre à l’Etat un confinement total mais commande de préciser le contour des dérogations en vigueur
Face à l’urgence sanitaire liée à l’épidémie du virus covid-19, l’Etat a réagi progressivement, redoublant, au gré de la propagation du virus, de mesures restrictives des libertés individuelles. Les déplacements, en particulier, ont été strictement encadrés par le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, tel que celui-ci a été complété par le décret n° 2020-279 du 19 mars 2020.
L’article 1er du décret modifié impose ainsi une interdiction de principe de tout déplacement hors du domicile, jusqu’au 31 mars 2020, qui ne correspondrait pas aux dérogations suivantes :
Malgré le caractère exceptionnel de ces mesures, la question de leur dimension suffisamment restrictive a conduit le syndicat Jeunes Médecins à saisir le Conseil d’Etat d’un recours en référé-liberté, auquel sont intervenus le Conseil national de l’Ordre des médecins et l’Intersyndicale nationale des internes.
Leurs demandes tendaient à un durcissement des mesures en vigueur, notamment un confinement total de la population – qui serait nécessaire pour endiguer la progression du virus -, l’arrêt des transports en commun et des activités professionnelles non vitales, la mise en place d’un ravitaillement à domicile, et la réalisation de tests de dépistage plus systématiques. Les requérants soutenaient que la carence des autorités publiques à imposer des mesures suffisantes portaient une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé de la population.
Dans son ordonnance rendue le 22 mars 2020, après avoir rappelé que les mesures limitatives des libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent, le Conseil d’Etat a rejeté ces demandes, mais enjoint au gouvernement de préciser plusieurs des mesures en vigueur, afin de faciliter leur interprétation et leur respect par la population.
S’agissant du confinement et des mesures accessoires qui étaient demandées par les requérants, le juge des référés relève qu’ils ne pourraient être adoptés à l’échelle nationale, sauf à risquer des ruptures d’approvisionnement susceptibles d’être elles-mêmes périlleuses. Il rappelle que les services de soin et d’autres activités (distribution alimentaire, exploitation de réseaux) sont nécessaires à la continuité de la vie de la Nation et que leur bon fonctionnement est dépendant du maintien en fonctionnement des transports en commun. Il conclut qu’aucune carence grave et manifestement illégale ne saurait être reprochée au Premier ministre dans l’exercice de ses prérogatives.
Le juge des référés a néanmoins considéré, par ailleurs, que le dispositif textuel adopté par l’Etat pour faire face à l’urgence sanitaire était imparfait et méritait, sur plusieurs points fondamentaux, d’être précisé.
Il en va ainsi des déplacements pour « motif de santé », le Conseil d’Etat considérant qu’il conviendrait de les limiter à ceux qui présentent un certain degré d’urgence.
Il en est de même des « déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes », dont le juge des référés considère qu’il s’agit d’une dérogation « trop large, notamment en rendant possibles des pratiques sportives individuelles, telles le « jogging » ».
Il en va enfin également ainsi du fonctionnement des marchés ouverts, dont le maintien peut « autoriser dans certains cas des déplacements et des comportements contraires à la consigne générale ».
Le Conseil d’Etat appelle, ensuite, d’une part, l’Etat à renforcer les mesures de contrôle visant à s’assurer du respect des mesures de confinement édictées, voire à pénaliser plus fortement les contrevenants et, d’autre part, les autorités de police locales à adopter des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le requièrent.
En conséquence, l’Etat se voit enjoindre de prendre, sous un délai de 48 heures, les mesures propres à préciser la portée des deux motifs de dérogation précités et de réévaluer l’opportunité du maintien en fonctionnement des marchés ouverts.
CE 22 mars 2020, Syndicat jeunes médecins, req. n° 439674