8 avril 2020 - Jurisprudence Tarn-et-Garonne : le Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles l’intérêt à agir du contribuable local peut être reconnu
Par un arrêt en date du 27 mars 2020 relatif à un avenant à un contrat de concession de distribution d’électricité, le Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles un contribuable local peut se voir reconnaitre intérêt à agir dans le cadre d’un recours en contestation de la validité d’un contrat administratif en vertu de la jurisprudence dite « Tarn-et-Garonne ».
En l’espèce était contesté un avenant à un contrat de concession relatif au développement et à l’exploitation du réseau d’électricité de la communauté urbaine du Grand Nancy (devenue métropole du Grand Nancy) signé avec ERDF (devenue ENEDIS).
Les requérants, tous contribuables de ladite collectivité, soutenaient que certaines des clauses de l’avenant à cette convention – portant sur le périmètre des ouvrages concédés et l’indemnité due en cas de résiliation anticipée du contrat – étaient susceptibles d’entrainer une augmentation des charges de la collectivité. Les requérants contestaient l’avenant au contrat de concession, ainsi que la délibération de la communauté urbaine portant signature dudit avenant.
La Cour administrative d’appel de Nancy avait rejeté le recours comme irrecevable, considérant que les requérants étaient dépourvus d’intérêt à agir.
C’est sur l’appréciation de cet intérêt à agir que la décision rendue par le Conseil d’Etat apporte des précisions en regard de sa jurisprudence relative à la recevabilité des recours dits Tarn-et-Garonne, dont on rappelle qu’elle permet à « tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses » d’en contester la validité dans le cadre d’un recours de plein contentieux.
Parmi les tiers susceptibles d’agir en ce sens figurent notamment les contribuables locaux, dans la lignée de la jurisprudence classique du Conseil d’Etat (CE, 29 mars 1901, Casanova Canazzi). Néanmoins, eu égard à la volonté du juge administratif de limiter l’accès au prétoire à ceux dont la situation est réellement affectée par la conclusion du contrat, la jurisprudence a entrepris de subordonner les contestations émanant de contribuables locaux à des conditions spécifiques.
En matière d’actes unilatéraux des collectivités territoriales, le Conseil d’Etat restreignait déjà classiquement l’accès à ce recours aux cas où l’impact de l’acte sur les finances locales était d’une importance « suffisante » (CE, 1er juin 2016, Commune de Rivedoux-Plage n° 391570).
C’est en écho à cette dernière solution que le Conseil d’Etat est venu préciser, par la décision commentée, qu’il incombe au contribuable qui entend contester la validité d’un contrat administratif de démontrer que « les clauses dont il conteste la validité sont susceptibles d’emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité ».
Autrement dit, si le contribuable peut avoir accès au juge du plein contentieux, et contester ainsi un contrat public auquel il est tiers, il devra démontrer le caractère significatif des conséquences de la convention sur les finances de la collectivité dont il est contribuable pour voir son recours examiné.
Charge, ainsi, aux contribuables de démontrer le caractère « significatif » des conséquences financières des clauses et conventions qu’ils entendent contester.
En l’espèce, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy a été annulé, au motif qu’il était entaché de deux erreurs de droit. Celle-ci avait, en effet, considéré que le caractère aléatoire et/ou incertain de la mise en jeu des clauses considérées écartait toute lésion effective des intérêts des contribuables et était trop hypothétique pour suffire à établir que les finances ou le patrimoine de la collectivité s’en trouveraient affectés de manière significative. Le Conseil d’Etat juge que « le caractère éventuel ou incertain de la mise en œuvre de clauses [est par lui-même] dépourvu d’incidence sur l’appréciation de leur répercussion possible sur les finances ou le patrimoine de l’autorité concédante » et, qu’en outre, bien qu’incertaine, l’application des clauses contestées était probable au regard de la longue durée du contrat.
L’affaire a été renvoyée à la juridiction d’appel.
CE, 27 mars 2020, M. L… et autres, n° 426291
24 avril 2020 - Dans le cadre de l’article 20 de l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 publiée au JO du 23 avril 2020 et portant diverses mesures prises pour faire face à l'épidémie de covid-19, l’exécutif vient préciser les mesures destinées à soutenir financièrement certains concessionnaires et occupants du domaine public
Dans la continuité de dispositions prévues à l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-319 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19, l’article 20 de l’ordonnance n° 2020-460 susvisée vient préciser les mesures destinées à soutenir financièrement certains concessionnaires et occupants du domaine public dont l’activité est impactée du fait des mesures adoptées pour enrayer l’épidémie de covid-19.
Il vise d’abord les concessionnaires qui ont dû fermer leurs portes en raison du confinement et des mesures de restriction de circulation (notamment les structures d’accueil de la petite enfance).
Pour sécuriser leur situation, le soutien financier qui pouvait leur être octroyé dans le cadre du 5° de l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-319 est étendu. Il n’est ainsi plus seulement destiné aux concessionnaires dont l’exécution de la concession a été suspendu du fait d’une décision du concédant mais également « lorsque cette suspension résulte d’une mesure de police administrative ». Le 5° de l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-319 précitée est ainsi remplacé par les dispositions suivantes :
« 5° Lorsque l’exécution d’une concession est suspendue par décision du concédant ou lorsque cette suspension résulte d’une mesure de police administrative, tout versement d’une somme au concédant est suspendu et si la situation de l’opérateur économique le justifie et à hauteur de ses besoins, une avance sur le versement des sommes dues par le concédant peut lui être versée. A l’issue de cette suspension, un avenant détermine, le cas échéant, les modifications du contrat apparues nécessaires. ».
Ensuite, l’article 20 de l’ordonnance n° 2020-460 entend venir en soutien des entreprises qui exercent une activité commerciale sur le domaine public par le biais de contrat emportant occupation du domaine public et dont la forte baisse d’activité liée au covid-19 ne leur permet plus de verser des redevances domaniales à l’autorité gestionnaire du domaine (notamment les entreprises de publicité extérieure).
Il est ainsi ajouté un 7° à l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-319 ainsi rédigé :
« 7° Lorsque le contrat emporte occupation du domaine public et que les conditions d’exploitation de l’activité de l’occupant sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de sa situation financière, le paiement des redevances dues pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public est suspendu pour une durée qui ne peut excéder la période mentionnée à l’article 1er. A l’issue de cette suspension, un avenant détermine, le cas échéant, les modifications du contrat apparues nécessaires. ».
Le rapport au Président de la République précise le champ d’application de cette disposition. Elle est ainsi « applicable aux contrats de la commande publique, comme les contrats de mobilier urbain, qui ne peuvent bénéficier des autres dispositions de l’ordonnance en l’absence de suspension de leur exécution, ainsi qu’aux pures conventions domaniales, qui sont des contrats publics par détermination de la loi (article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques) mais ne peuvent bénéficier ni des dispositions applicables aux marchés ou aux concessions ni de la théorie de l’imprévision qui, en l’état de la jurisprudence administrative, n’est susceptible d’être invoquée que dans le cadre de la prise en charge de missions de service public, de la gestion d’un service public ou de l’exécution de mesures prises dans un but d’intérêt général. ».
L’on mentionnera enfin que l’article 20 de l’ordonnance n° 2020-460 insère également un article 6-1 suivant au sein de l’ordonnance n° 2020-319 pour pailler les difficultés rencontrées par les collectivités locales, leurs établissements publics et leurs groupements pendant la période de confinement pour réunir les commissions d’appel d’offres et les commissions de délégation de service public et afin d’accélérer les procédures :
« Art. 6-1. – Par dérogation aux articles L. 1411-6 et L. 1414-4 du code général des collectivités territoriales, les projets d’avenants aux conventions de délégation de service public et aux marchés publics entraînant une augmentation du montant global supérieure à 5 % sont dispensés, respectivement, de l’avis préalable de la commission mentionnée à l’article L. 1411-5 du même code et de celui de la commission d’appel d’offres. »
22 avril 2020 - Interruption du délai de prescription en matière contractuelle en cas de demande en justice : la Cour de Cassation confirme qu’elle ne bénéficie qu’au créancier de l’obligation qui introduit la demande
Par un arrêt en date du 19 mars 2020, la Cour de Cassation est venue confirmer sa jurisprudence antérieure selon laquelle l’interruption d’un délai de prescription par l’introduction d’une demande en justice ne joue qu’au bénéfice du créancier de l’obligation concernée par le délai de prescription et qui a formé la demande en justice.
En l’espèce, la société Bouygues avait confié, en tant que maitre d’ouvrage d’une réalisation située sur les terrains de particuliers, des travaux de voirie à la société STPCL. Les particuliers ont assigné en référé les deux opérateurs, pour retard et désordres dans la réalisation des travaux. Ils avaient obtenu la désignation d’un expert, par ordonnance du 31 mars 2010, qui a rendu son rapport le 25 octobre 2011.
Ils ont ensuite conclu une transaction avec le groupe Bouygues, qui a, par la suite, assigné pour les mêmes faits la société STPCL le 14 décembre 2015.
La société STCPL avait été condamnée par le juge du fond à verser diverses indemnités à Bouygues à ce titre.
Dans le cadre de son pourvoi en cassation, la société STCPL se prévalait du caractère prescrit des faits, prescription que Bouygues considérait comme interrompue au titre de l’article 2241 du code civil. La question posée par le litige était ainsi la suivante : la demande en justice formée par les particuliers à l’encontre de la société Bouygues et de la société STCPL avait-elle eu pour effet d’interrompre la prescription de l’action en responsabilité contractuelle qu’aurait pu introduire la société Bouygues à l’endroit de la société STCPL ?
La Cour d’appel avait jugé que oui, et qu’ainsi l’action de la société Bouygues à l’encontre de la société STCPL n’était pas prescrite, le cours de la prescription ayant été suspendu entre la demande en justice formée par les particuliers et la remise de son rapport par l’expert.
L’article 2241 du code civil, on le rappelle, dispose qu’une demande en justice interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. La notion de demande en justice est entendue largement, puisqu’elle recouvre y compris les actions en référé, ou celles intentées devant une juridiction incompétente, ou affectées par un vice de procédure.
En préalable, la Cour rappelle que le délai de prescription applicable en l’espèce était celui de l’article L. 2224 du code civil relatif aux actions personnelles et mobilières. Ce délai est de 5 ans. Elle écarte ainsi du régime spécifique relatif à la responsabilité des constructeurs (articles 1792 et suivants du code civil), en l’absence, en l’espèce, de réception des travaux.
La Cour de Cassation rappelle, ensuite, que l’interruption du cours d’une prescription, en vertu de l’article 2241 du code civil ne peut bénéficier qu’à la partie créancière de l’obligation ayant intenté une action en justice, dans la lignée de sa jurisprudence classique (Cass. Com., 9 janvier 1990 n° 88-15354) antérieure à la réforme de la prescription civile, dont l’article 2241 du code Civil est issu.
Le second moyen soulevé par STCPL permet à la Cour de rappeler que ce principe s’applique également à la suspension de prescription ouverte par l’article 2239 du code Civil applicable aux demandes de mesure d’instruction, visant sa jurisprudence récente en la matière (Cass. Civ. 2ème, 31 janvier 2019, n° 18-10.011).
Faisant application de ces principes au cas d’espèce, la Cour estime que la société Bouygues n’avait pu bénéficier de l’interruption de la prescription causée par la demande en référé introduite par les particuliers, dans la mesure où la société Bouygues n’était pas demanderesse dans le cadre de cette procédure.
La Cour de Cassation casse ainsi l’arrêt d’appel qui avait fait droit aux demandes de Bouygues, au motif que les requérants initiaux étaient seuls créanciers de l’obligation litigieuse.
La Cour, reconnaissant par suite le caractère prescrit des faits en cause, n’a pas renvoyé aux juges du fond l’affaire.
Cassation, civile 3ème 19 mars 2020, n°19-13459
1 avril 2020 - Si par principe, le bénéficiaire d’un permis de construire déclaré illégal est fondé à engager la responsabilité de la commune qui l’a délivré, il ne saurait solliciter de cette dernière l’indemnisation de la valeur du terrain d’assiette du projet, ainsi que la perte de la valeur vénale du terrain
Le 24 mai 2011, M. C a conclu un compromis de vente portant sur un terrain à bâtir situé sur le territoire de la commune de Saint-Ambroix, sous la condition suspensive de l’obtention d’un permis de construire définitif.
Après avoir obtenu un permis de construire par une décision tacite du 19 novembre 2011 d’abord, puis par une décision expresse du 22 novembre suivant, M. C a acquis le terrain en question le 28 février 2012.
Cependant, le préfet du Gard a déféré à la censure du tribunal administratif de Nîmes les décisions des 19 et 22 novembre 2011, lequel a fait droit à cette demande eu égard au risque d’inondation auquel le terrain d’assiette du projet était soumis, en application de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.
C’est ainsi que M. C a sollicité du même tribunal administratif la condamnation de la commune de Saint-Ambroix à réparer le préjudice qu’il estime avoir subi, du fait de l’illégalité des décisions précitées.
Ayant vu sa requête rejetée, M. C s’est pourvu en appel.
Avant d’étudier précisément les causes exonératoires ainsi que le préjudice allégué par l’appelant, la cour administrative d’appel de Marseille commence par rappeler le principe selon lequel l’illégalité des décisions des 19 et 22 novembre 2011 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.
S’agissant des causes exonératoires de responsabilité, la commune soutient d’abord que la direction départementale des territoires et de la mer du Gard, service de l’Etat chargé de donner son avis sur la demande de permis de construire sollicitée par M. C, aurait, par négligence fautive, tardé à lui adresser son avis avant la naissance du permis de construire tacite, si bien le maire n’a fait que prendre acte de l’autorisation tacite en délivrant le permis de construire le 22 novembre 2011.
Les juges d’appel rejettent toutefois cet argument au motif, d’une part, que les services de l’Etat avaient communiqué au maire de la commune de Saint-Ambroix un projet d’arrêté refusant le permis de construire le 18 novembre 2011, soit la veille de la date d’expiration du délai d’instruction, et d’autre part, qu’en tout état de cause, le maire n’était pas tenu de délivrer ledit permis de construire.
La commune fait ensuite valoir que l’appelant aurait fait preuve de négligence fautive en n’attendant pas l’expiration du délai de recours avant de signer l’acte de vente du terrain d’assiette de la construction.
Cette argumentation est également infirmée par la cour administrative d’appel qui relève que l’arrêté de permis de construire a été délivré le 22 novembre 2011, alors que l’acte de vente a été signé plus de trois mois après, le 28 février 2012. En réalité, le délai de recours contentieux à l’égard du préfet a été prolongé du fait de la suffisance de la commune, qui n’a transmis l’arrêté au contrôle de légalité que le 13 février 2012.
La troisième cause d’exonération avancée par la commune retient pour sa part l’attention des juges d’appel. En effet, la commune démontre que le terrain d’assiette de la construction est, du fait de sa proximité immédiate de plusieurs cours d’eaux, soumis à un risque d’inondation, identifié dans le plan de prévention des risques d’inondation. Par ailleurs, ce risque avait été expressément précisé tant dans le compromis que dans l’acte de vente.
La cour administrative d’appel de Marseille considère donc que la négligence fautive de M. C est de nature à atténuer la responsabilité de la commune à concurrence de la moitié.
S’agissant désormais du préjudice, M. C sollicite à titre principal le remboursement du coût d’acquisition du terrain ainsi que les frais notariés et à titre subsidiaire la perte de la valeur vénale dudit terrain.
Néanmoins, ces deux postes de préjudices sont refusés par les juges d’appel d’une part parce que le prix d’acquisition et les frais notariés n’ont pas été versés en pure perte, et d’autre part parce qu’en l’absence de projet sérieux de vente de son terrain, M. C ne fait état que d’un préjudice futur et purement éventuel.
Partant, la cour administrative d’appel de Marseille rejette la demande de M. C.
CAA Marseille, 24 mars 2020, M. C, req. n° 18MA05471
3 avril 2020 - L'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial, qui n’a que le caractère d'un acte préparatoire à la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, n’est pas susceptible de recours contentieux
La société Le Parc du Béarn a déposé une demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale en vue de la création d’un ensemble commercial d’une surface totale de vente de plus de 15.000 m² sur le territoire de la commune de Lons. La commission départementale d’aménagement commercial des Pyrénées-Atlantiques a émis, le 6 juillet 2016, un avis favorable. Saisi de recours émanant de sociétés et du préfet des Pyrénées-Atlantiques, la Commission nationale d’aménagement commercial a, le 27 octobre 2016, rendu un avis défavorable au projet.
La société Le Parc du Béarn a alors saisi le juge administratif d’une requête dirigée contre cet avis défavorable de la Commission nationale d’aménagement commercial.
Cette requête a été rejetée par ordonnance de la présidente de la 1ère chambre de la cour administrative d’appel de Bordeaux, en vertu des dispositions du 4° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, desquelles il s’infère que les présidents de formation de jugement des cours peuvent, par ordonnance, rejeter les requêtes manifestement irrecevables lorsque la juridiction n’est pas tenue d’inviter leur auteur à les régulariser.
Saisi par la société Le Parc du Béarn d’un pourvoi dirigé contre cette ordonnance, le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord qu’aux termes de l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme, « lorsque le projet est soumis à autorisation d’exploitation commerciale au sens de l’article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d’autorisation dès lors que la demande de permis a fait l’objet d’un avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d’aménagement commercial (…) « .
Il reprend ensuite les dispositions de l’article L. 752-17 du code de commerce, desquelles il s’infère que :
– « conformément à l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme, le demandeur, le représentant de l’Etat dans le département, tout membre de la commission départementale d’aménagement commercial, tout professionnel dont l’activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d’être affectée par le projet ou toute association les représentant peuvent, dans le délai d’un mois, introduire un recours devant la Commission nationale d’aménagement commercial contre l’avis de la commission départementale d’aménagement commercial » ;
– « la Commission nationale d’aménagement commercial émet un avis sur la conformité du projet aux critères énoncés à l’article L. 752-6 du présent code, qui se substitue à celui de la commission départementale », et qu’ « en l’absence d’avis exprès de la commission nationale dans le délai de quatre mois à compter de sa saisine, l’avis de la commission départementale d’aménagement commercial est réputé confirmé » ;
– « à peine d’irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent I est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l’autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire (…) ».
Enfin, le Conseil d’Etat se réfère aux dispositions des articles R. 424-1 et R. 424-2 du code de l’urbanisme, lesquelles prévoient respectivement qu’ « à défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction déterminé comme il est dit à la section IV du chapitre III ci-dessus, le silence gardé par l’autorité compétente vaut, selon les cas : (…) / b) Permis de construire », et que « par exception au b de l’article R. 424-1, le défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction vaut décision implicite de rejet dans les cas suivants : (…) / h) Lorsque le projet relève de l’article L. 425-4 ou a été soumis pour avis à la commission départementale d’aménagement commercial sur le fondement de l’article L. 752-4 du code de commerce et que la commission départementale d’aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d’aménagement commercial a rendu un avis défavorable ».
Ces dispositions rappelées, le Conseil d’Etat insiste sur la circonstance que « l’avis de la Commission nationale d’aménagement commercial a désormais le caractère d’un acte préparatoire à la décision prise par l’autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, seule décision susceptible de recours contentieux ».
Et le Conseil d’Etat de souligner qu’« il en va ainsi que l’avis de la Commission nationale d’aménagement commercial soit favorable ou qu’il soit défavorable ». Il prend le soin de préciser néanmoins que « dans ce dernier cas », c’est à dire dans l’hypothèse où l’avis de la commission serait défavorable, « la décision susceptible de recours contentieux est la décision, le cas échéant implicite (…), de rejet de la demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale ».
Dans le cas de la requête introduite par la société Le Parc le Béarn à l’encontre de l’avis de la Commission nationale d’aménagement commercial, le Conseil d’Etat ne peut que relever que la présidente de la 1ère chambre de la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que ladite requête était dirigée contre un acte insusceptible de faire l’objet d’un recours, pour en déduire que cette requête était manifestement irrecevable.
Le pourvoi introduit La société Le Parc du Béarn est en conséquence rejeté.
CE, 25 Mars 2020, Société Le Parc du Béarn, req. n°409675
27 avril 2020 - État d’urgence sanitaire : récapitulatif sur les délais d’instruction et de recours en droit de l’urbanisme, à l’aune des ordonnances n° 2020-306 du 25 mars 2020, n° 2020-427 du 15 avril 2020 et ° 2020-460 du 22 avril 2020
Pour mémoire, pour faire face à l’état d’urgence sanitaire instauré en réaction à la propagation du virus covid-19, l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a autorisé le Gouvernement à agir par voie d’ordonnances dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution afin, notamment, d’adapter, d’interrompre, de suspendre ou de reporter « le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation ou cessation d’une mesure ».
C’est dans ces conditions que le Gouvernement a adopté l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.
Cette ordonnance n° 2020-306 a récemment été modifiée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19, ainsi que par l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de covid-19, lesquelles ont précisé le régime des délais applicables en droit de l’urbanisme.
Les délais de recours et déférés préfectoraux continueront à courir à partir du 24 mai 2020 – date prévue d’achèvement de l’état d’urgence sanitaire – pour leur durée restante, étant précisé que cette durée ne saurait être inférieure à sept jours.
Pour les délais de recours et déférés préfectoraux qui auraient dû commencer à courir entre le 12 mars et le 24 mai 2020, le point de départ est reporté et ne commencera à courir qu’à compter de cette dernière date.
Les délais d’instruction continueront donc à courir à partir du 24 mai 2020.
Pour les mêmes demandes dont l’instruction aurait dû débuter pendant la période comprise entre le 12 mars et le 24 mai 2020, le point de départ est reporté et ne commencera à courir qu’à compter de cette dernière date.
Il est également précisé que ces règles sont applicables aux délais impartis aux collectivités locales, à leurs établissements publics, aux services, autorités et commissions, pour émettre un avis ou donner un accord dans le cadre de l’instruction des demandes et déclarations visées supra.
Cependant, l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 a indiqué qu’une reprise des délais d’instruction des demandes d’autorisation, des certificats d’urbanisme, des déclarations préalables, ainsi que des procédures de récolement pourrait être prévue par décret pour des motifs de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, de sécurité, de protection de la santé, de la salubrité publique, de sauvegarde de l’emploi et de l’activité, de sécurisation des relations de travail et de la négociation collective, de préservation de l’environnement et de protection de l’enfance et de la jeunesse.
De la même manière, le point de départ des délais relatifs à l’exercice du droit de préemption qui auraient dû commencer à courir pendant la période comprise entre le 12 mars et le 24 mai 2020 sont reportés et ne commencera à courir qu’à compter de cette dernière date.
L’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 a également prévu que la reprise de ces délais pourra être précisée par décret pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d’être énoncés.
Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19
6 avril 2020 - Détermination du nombre d’emplois à transférer en cas de changement d’exploitant d’un service conventionné de transport ferroviaire intérieur de voyageurs : l’Autorité de régulation des transports apporte un éclairage précieux dans le cadre du règlement d’un différend opposant la région PACA à SNCF Voyageurs
Parmi les multiples problématiques liées à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire intérieur de voyageurs figurent les questions liées au transfert du personnel « attaché » à l’exploitation d’un service public conventionné, lorsqu’au terme d’une procédure de mise en concurrence, l’autorité organisatrice aura désigné un autre exploitant que l’opérateur historique.
Ce sujet est stratégique à plusieurs égards. S’agissant, d’abord, de la bonne information des candidats à l’attribution du contrat (profil des effectifs transférés, charges sociales afférentes, etc.). Pour assurer, ensuite, leur capacité à répondre aux appels d’offres qui seront lancés à la fois en ayant la certitude de disposer, avec l’attribution du contrat, d’effectifs pertinents et permettant de faire face à l’essentiel des besoins de l’exploitation du service et de ne pas avoir à assumer de charges disproportionnées par rapport aux besoins de l’exploitation.
Il s’agit, naturellement, d’un levier dont l’opérateur historique peut être tenté d’user pour consolider son avantage compétitif, ce qui justifie une vigilance spontanée accrue de la part de l’Autorité de régulation des transports (ART).
Celui-ci a également été doté par le législateur de prérogatives spécifiques, codifiées au III de l’article L. 1263-2 du code des transports, en matière de règlement de différends qui permettent aux entités concernées (autorités organisatrices ou employeur initial des salariés concernés) de porter devant l’ART les différends relatifs à la fixation, dans les conditions définies à l’article L. 2122-22 du code des transports, du nombre de salariés dont le contrat de travail se poursuit auprès du nouvel employeur.
C’est dans ce cadre que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) a saisi l’ART le 28 novembre 2019 d’une demande tendant à :
L’enjeu essentiel du différend avait trait à la méthodologie à mettre en œuvre, en application du décret précité, pour la détermination du nombre de salariés à transférer.
SNCF Voyageurs, arguant de ce que les salariés concernés n’étaient pas exclusivement affectés aux liaisons figurant dans les deux lots définis par la région, avait déterminé par reconstitution la part représentée, parmi toutes les liaisons régionales, par les deux lots considérés.
Autrement formulé par l’ART, il s’agissait, « à partir du nombre total d’ETP par catégorie d’emplois sur le périmètre de la convention TER, [d’]opérer un « travail de détourage » pour calculer les ressources concourant à la production du lot concerné sur la base de l’organisation existante à la date de publication de l’avis de pré-information ».
En l’absence de données chiffrées correspondant aux affectations effectives, la région avait fait établir par un conseil extérieur un nombre d’ETP à transférer en se fondant sur des projections relatives aux besoins du service, intégrant également des réductions d’effectifs prévues dans la « trajectoire RH » incluse dans la convention TER antérieure, et excluant du personnel qu’elle estimait surnuméraire.
Dans sa décision n° 2020-019 du 28 février 2020, l’ART a apporté d’utiles précisions sur la méthodologie de détermination du nombre de salariés à transférer.
Elle rappelle, tout d’abord, que conformément à l’article L. 2121-22 du code des transports, il convient de prendre en considération les salariés concourant directement ou indirectement à l’exploitation du service à la date de publication de l’avis de pré-information.
Elle valide, ensuite, la méthode suivie par la région visant à reconstituer le nombre d’ETP nécessaires en repartant des besoins du service, compte tenu de l’indisponibilité de données suffisantes fournies par SNCF Voyageurs, auquel l’ART rappelle qu’incombe la « charge de la preuve ». La décision de l’ART est particulièrement importante sur ce point, puisqu’elle pourra trouver un écho dans d’autres domaines qui intéressent les relations entre SNCF Voyageurs et les autorités organisatrices : là où il y aura rétention, ou trop peu d’efforts pour rendre les données disponibles, les autorités organisatrices seront fondées, lorsque cela sera possible, à reconstituer des données elles-mêmes et il appartiendra à SNCF Voyageurs de démontrer que les données reconstituées établies par l’autorité organisatrice sont erronées. Cela va évidemment participer à rééquilibrer les rapports entre les parties et probablement contraindre SNCF Voyageurs, dans son propre intérêt, à faire preuve de plus de transparence qu’envisagé.
L’ART estime néanmoins que ni les réductions d’effectifs prévues dans la convention TER, ni la décision de la région d’écarter un certain nombre de personnels qui seraient en « sureffectif » n’apparaissaient pouvoir être prises en compte en vertu des dispositions légales et réglementaires.
S’agissant de la reprise du personnel affecté aux prestations en gare, l’ART précise qu’il suit un régime identique aux autres personnels, dès lors que l’autorité organisatrice a décidé, en vertu de l’article L. 2121-14-7 du code des transports, d’exercer ou de faire exercer certaines missions de gestion et d’exploitation des gares considérées, l’autorité organisatrice ne bénéficiant donc pas de davantage de latitude, dans cette hypothèse, pour la détermination du nombre de salariés à reprendre.
L’ART rappelle, enfin, les termes de l’article 2 du décret n° 2018-1242 relatifs au calcul des emplois concourant directement à la production, pour conclure à l’invalidité de la méthode initialement retenue par SNCF Voyageurs.
A la faveur de ces précisions méthodologiques, l’ART a ensuite, catégorie par catégorie de personnels, défini elle-même dans sa décision de règlement de différend le nombre d’ETP à transférer. Sur plusieurs points, elle a identifié des biais importants dans la méthode initialement employée par SNCF Voyageurs, concourant notamment à une sous-estimation du volume horaire effectivement consacré par ses personnels à l’exploitation du service considéré.
Là où l’ART aurait peut-être pu retenir une acception plus limitée de son office, cette décision en révèle au contraire une conception volontariste, tendant à régler, autant que de besoins, les difficultés rencontrées par les autorités organisatrices dans leurs rapports avec SNCF Voyageurs dans la perspective de l’ouverture à la concurrence.
10 avril 2020 - Point de départ du délai de recours : le Conseil d’État considère que dans le cas d’un arrêté préfectoral pour lequel deux mesures de publicités ont été réalisées, seule la première fait courir le délai de recours contentieux
Le Conseil d’Etat, dans sa décision Syndicat agricole des petits planteurs de Cadet Sainte-Rose du 27 mars 2020, vient préciser que dans le cas d’un arrêté préfectoral pour lequel deux mesures de publicités ont été réalisées, seule la première fait courir le délai de recours contentieux.
Elle intervient, en apparence, à rebours d’une décision de 1976 dans le cadre de laquelle il avait eu l’occasion d’affirmer que les actes administratifs dont la loi a prévu une double publicité (c’était à l’époque le cas des arrêtés préfectoraux qui nécessitaient une publication au sein d’un recueil des actes administratifs et un affichage), le délai de recours contentieux court à compter du jour de la plus tardive des mesures de publicité (CE, 18 février 1976, Union des chambres syndicales d’affichage et de publicité extérieure, req. n° 96293).
En effet, dans l’affaire commentée, la Haute juridiction considère que la publication de l’arrêté du 6 avril 2019 par lequel le préfet de la Guadeloupe a interdit la circulation sur une route forestière, le 8 avril suivant, dans le recueil des actes administratifs de la préfecture de Guadeloupe mis en ligne sur le site internet de la préfecture, dans la rubrique Recueil des actes administratifs, l’avait été dans des conditions garantissant la fiabilité et la date de la mise en ligne de tout nouvel acte. Cette publication, alors même que l’arrêté n’a pas été affiché à la mairie de Goyave avant le 29 avril 2019, a donc fait courir le délai de recours contentieux de deux mois prévu à l’article R. 421-1 du code de justice administrative.
Pour autant, une telle décision est justifiée par le fait qu’en l’absence de précisions sur les modalités de publication des actes administratifs des préfets (contrairement à la décision de 1976, aucune disposition ne précise aujourd’hui le mode de publication des arrêtés préfectoraux), le juge administratif fait application de la jurisprudence Millon en vertu de laquelle en l’absence d’obligation de publication d’une décision administrative, seule une publicité suffisante fait courir le délai de recours contentieux : « le délai de recours contentieux ne court que si le recueil peut, eu égard à l’ampleur et aux modalités de sa diffusion, être regardé comme aisément consultable par toutes les personnes susceptibles d’avoir un intérêt leur donnant qualité pour contester la décision » (CE, sect., 27 juillet 2005, Millon, req. n° 259004).
Ainsi, la publication d’un arrêté préfectoral dans le recueil des actes administratifs de la préfecture de Guadeloupe mis en ligne sur le site internet de la préfecture, dans la rubrique Recueil des actes administratifs est une mesure de publicité suffisante qui fait courir le délai de recours contentieux (voir également pour les actes d’un établissement public : CE, 24 avril 2012, VNF, req. n° 339669).
CE, 27 mars 2020, Syndicat agricole des petits planteurs de Cadet Sainte-Rose, req. n° 435277.
20 avril 2020 - Etat d’urgence sanitaire : le Conseil d’Etat rejette la demande de fermeture des entreprises du secteur de la métallurgie
Saisi par la voie d’un référé-liberté, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, par la Fédération des travailleurs de la métallurgie (FTM-CGT), le Conseil d’Etat a refusé, par une ordonnance rendue le 18 avril 2020, d’enjoindre à l’Etat d’ordonner la fermeture des entreprises du secteur non essentielles à la Nation et de renforcer les mesures de protection spécifiques applicables aux travailleurs de ce secteur.
Dans le cadre de la crise sanitaire, on le sait, l’Etat a estimé que seule une part des activités économiques nationales devait être suspendue, essentiellement celles dont le fonctionnement suppose d’accueillir du public (cf. article 8 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, interdisant à ces établissements d’accueillir du public).
Pour un grand nombre de secteurs d’activité non concernés par ces restrictions absolues, cela a évidemment posé la question de la compatibilité de la poursuite de leur fonctionnement avec la préservation de la santé des travailleurs : possibilité même de poursuivre en assurant des conditions de sécurité suffisantes, nature des mesures spécifiques de protection à mettre en œuvre, responsabilité de l’employeur, etc.
C’est animée par de telles préoccupations qu’une organisation syndicale de l’industrie métallurgique a saisi le Conseil d’Etat d’une action en référé-liberté tendant à ce qu’il soit mis fin à ce qu’elle estimait constituer une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie et à la protection de la santé. Elle soutenait que les mesures prises par l’Etat étaient manifestement insuffisantes pour assurer la protection des salariés du secteur et sollicitait qu’il soit enjoint à l’Etat, d’une part, de dresser une liste des entreprises de la métallurgie essentielles à la Nation, d’ordonner la fermeture des entreprises non concernées, et, d’autre part, d’édicter des mesures spécifiques propres à garantir la sécurité sanitaire des travailleurs qui poursuivraient leurs activités (matériels de protection, tests, instructions strictes aux employeurs et renforcement des dispositifs de contrôle à l’égard des employeurs).
Sur le premier point, pour écarter de manière assez directe la demande, le Conseil d’Etat relève que les orientations retenues par le gouvernement ne sauraient être regardées comme portant au droit au respect de la vie ou à la protection de la santé une atteinte grave et manifestement illégale, notamment dans la mesure où cette poursuite d’activité s’inscrit « dans le cadre de l’obligation, qui repose aussi sur les employeurs, de prendre toutes les mesures d’hygiène mentionnées à l’article 2 du décret du 23 mars 2020 ». Il souligne les motifs invoqués par le gouvernement pour justifier de cet équilibre, notamment le fait qu’un confinement total n’est pas nécessaire pour endiguer l’épidémie.
Sur le second point, l’ordonnance relève l’ensemble des mesures – de droit commun ou d’exception – qui permettent d’assurer autant que possible la préservation de la santé des travailleurs. Le Conseil d’Etat souligne, à cet égard, les recommandations élaborées par le ministère du travail s’agissant des mesures d’organisation du travail, les instructions données aux services d’inspection du travail pour adapter leur action aux circonstances exceptionnelles, l’accroissement des pouvoirs des services de santé au travail par l’ordonnance du 1er avril 2020, les prérogatives dont disposent en règle générale les institutions représentatives du personnel (pouvoir d’alerte, pouvoir de mise en demeure de l’employeur, saisine du juge judiciaire, etc.), de même que les guides professionnels qui ont été établis et diffusés pour le secteur pour adapter l’organisation du travail et la protection des salariés.
Il en conclut qu’aucune carence des autorités publiques ne peut être caractérisée qui justifierait d’enjoindre à l’Etat l’édiction d’instructions complémentaires aux employeurs, de renforcer les capacités des services de l’Etat ou les contrôles qu’ils mènent à l’endroit des employeurs.
Le Conseil d’Etat relève enfin, s’agissant de la demande de mise à disposition de matériels de protection, eu égard aux circonstances (disponibilité limitée des masques, incertitude quant à la nécessité d’en faire usage au sein de la population « générale » (hors milieux médicaux), démarrage de la production de masques non-sanitaires qui devraient être mis rapidement sur le marché), qu’il n’y a pas non plus sur ce terrain de carence grave et manifestement illégale du fait de l’absence de distribution systématique de maques aux salariés. Il est intéressant de relever, sur ce point, que le Conseil d’Etat se limite, dans le cadre procédural spécifique du référé-liberté, à apprécier si, dans le contexte concret auquel est confronté le gouvernement, les décisions adoptées sont carentielles. Cela n’exclut pas toute mise en cause, dans un cadre procédural distinct, qui tendrait par exemple à démontrer l’insuffisante préparation de l’Etat pour faire face à une telle crise sanitaire.
Il ressort de la motivation de cette ordonnance que la solution adoptée par le Conseil d’Etat est susceptible d’être transposée à la plupart des secteurs d’activités qui ne sont pas concernés par une interruption totale du fait de la crise sanitaire, et qu’il apparaît ainsi peu probable de parvenir à démontrer, dans ce contexte, une carence de la part des autorités publiques telle qu’elle porte une atteinte grave et manifestement illégale aux droits au respect de la vie et à la protection de la santé.
CE ord. 18 avril 2020, req. n° 440012
29 avril 2020 - Etat d’urgence sanitaire : illustrations récentes de l’examen in concreto par le juge administratif de l’existence d’atteintes graves et manifestement illégales aux libertés fondamentales du fait des mesures d’exception
Depuis le début de l’état d’urgence sanitaire lié à l’épidémie de covid-19, les mesures réglementaires d’exception ont induit un certain nombre de restrictions qui ont été contestées devant le juge administratif.
Dans plusieurs décisions des 20, 21 et 22 avril 2020, le Conseil d’Etat a rejeté des requêtes en référé-liberté. Deux requêtes avaient notamment été introduites pour contester l’insuffisance des mesures de protections mises en œuvre pour les avocats, d’une part, et les détenus, d’autre part
Pour rappel, l’article L. 521-2 du code de justice administrative dispose que « saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».
Ainsi, le recours au référé est évidemment conditionné par l’urgence, étant précisé qu’eu égard aux enjeux présentés par le respect des libertés fondamentales, le juge est tenu de se prononcer avec une particulière célérité. Ce contexte d’urgence est pleinement cohérent et justifié par la nature de l’atteinte, qui constitue la seconde condition de recevabilité de l’action. En effet, le recours au référé-liberté est conditionné à l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale à laquelle l’intervention du juge est censé mettre fin.
Dans les deux contentieux en cause, le juge administratif a dû apprécier in concreto l’atteinte portée aux libertés fondamentales de requérants se trouvant dans des situations bien différentes.
Tout d’abord, dans un premier litige, l’Ordre des avocats du barreau de Marseille sollicitait qu’il soit enjoint à l’Etat « de fournir des masques de protection, gants, blouses de protection et gels hydro alcooliques aux avocats du barreau de Marseille dans l’exercice de leurs missions » pour faire face aux risques induits par la propagation du covid-19.
L’Ordre faisait valoir que le manque de protection des avocats portait tant atteinte au droit au respect de la vie des avocats, qu’à leur droit d’exercer leur profession, et que, par ricochet, au droit des justiciables à bénéficier d’une défense effective devant les juridictions.
Le juge relève qu’un certain nombre de mesures ont été adoptées par l’Etat : les règles de procédure ont été adaptées de sorte à limiter les contacts entre les personnes ; l’organisation des services judiciaires a également été adaptée (par une distanciation matérielle des acteurs de la justice, et une désinfection des locaux) ; et enfin, la demande de masques n’était pas satisfaite en raison d’une « stratégie de gestion et d’utilisation maitrisée des masques de protection à l’échelle nationale […] face à l’insuffisance des stocks ».
A l’aune de ces éléments d’instruction, le juge considère qu’il n’y a pas d’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées qui justifierait que les injonctions demandées soient prononcées.
L’atteinte est donc appréciée ici tant au regard des mesures adoptées par l’Administration face au risque, qu’au regard des mesures qu’elle pouvait matériellement prendre compte tenu du contexte de pénurie de masques de protection.
Conseil d’État, Juge des référés, Ordre des avocats au barreau de Marseille, 20 avril 2020, n°439983
De la même manière, un détenu de la maison d’arrêt de Rouen avait saisi le juge des référés du TA de Rouen d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration de ladite maison d’arrêt de « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer sa protection, durant l’épidémie de covid-19, et réduire le risque de contamination ». Le tribunal avait rejeté sa demande au motif qu’aucune atteinte n’était portée à ses droits.
Devant le Conseil d’Etat, le requérant invoquait l’atteinte à son droit au respect de la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ainsi qu’au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé. Il alléguait notamment divers manquements de l’administration : fourniture insuffisante de produits de protection (savon, gel hydro-alcoolique, masques), carence de son suivi médical. Il soutenait, au regard de son état de santé fragile, devoir bénéficier de mesures « de protection renforcée » (notamment son placement en cellule individuelle).
Dans sa décision, le Conseil d’Etat reconnait bien le caractère particulier de la situation du requérant, qui bénéficie d’un suivi médical spécifique eu égard à son état de santé. Cependant, au terme de son examen, eu égard aux mesures prises par l’Etat et à l’administration de la maison d’arrêt, la Haute-juridiction n’a pas relevé d’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés du requérant.
En effet, le Conseil rappelle que le ministère de la justice a su adapter, au fur et à mesure des phases de l’épidémie, les mesures permettant d’éviter la propagation du virus, permettant en l’espèce le respect des gestes barrières, des mesures d’hygiènes nécessaires ; et ouvrant au requérant l’accès à des consultations médicales supplémentaires. La décision relève également que la non-distribution de masques et l’absence de dépistages étaient justifiées, en l’état des disponibilités et eu égard aux critères de priorités définis par l’Etat pour l’affectation de ces dispositifs particuliers.