3 juin 2020 - Droit de passage des opérateurs de télécommunications : le Conseil d’Etat précise que les autorités gestionnaires du domaine public non-routier ont seulement la faculté et non l’obligation d’autoriser des installations d’équipements de télécommunications sur leur domaine
Par une délibération du 3 février 2015, la communauté d’agglomération de Lorient a révisé les conditions d’installation d’antennes-relais sur les réservoirs de stockage d’eau de son ressort territorial.
A la suite de cette modification, un opérateur a contesté devant le juge du fond plusieurs points de cette délibération, en particulier le fait même que l’agglomération ait décidé de ne pas renouveler, à leur échéance, les autorisations dont il disposait.
Pour rappel, l’art. L. 45-9 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) dispose que les exploitants de réseaux de télécommunications ouverts au public disposent d’un « droit de passage » sur le domaine public routier et dans les réseaux publics du domaine public routier et non-routier. Il dispose également que « les autorités concessionnaires ou gestionnaires du domaine public non routier peuvent autoriser les exploitants de réseaux ouverts au public à occuper ce domaine », dans le respect des prescriptions définies par le CPCE.
Par réseaux ouverts au public est entendu « tout réseau de communications électroniques établi ou utilisé pour la fourniture au public de services de communications électroniques ou de services de communication au public par voie électronique » (art. L. 32 du CPCE).
L’article 46 du même code précise que, dans le cas de l’occupation du domaine public non routier, les modalités d’occupation doivent être fixées par convention, étant précisé que les droits d’occupation doivent être consentis « dans des conditions transparentes et non discriminatoires ».
Ce contentieux posait ainsi la question de la portée de l’article L. 45-9 s’agissant de l’octroi, par l’autorité gestionnaire ou concessionnaire du domaine public non routier, d’autorisations d’occupation du domaine aux exploitants ouverts de réseaux ouverts au public : le texte devait-il être interprété comme leur ouvrant une simple faculté ou leur faisant obligation de consentir de telles autorisations aux opérateurs ?
Le Tribunal administratif de Rennes, puis la cour administrative d’appel de Nantes avaient rejeté les prétentions de l’opérateur.
Par une décision rendue le 27 mai 2020, le Conseil d’Etat est venu confirmer l’arrêt d’appel.
Il précise ainsi que, si les sociétés exploitant des réseaux ouverts au public bénéficient effectivement d’un droit de passage sur le domaine public routier et dans les réseaux publics relevant du domaine public routier et non routier, les mêmes autorités, sur le reste de leur domaine public « ont seulement la faculté, et non l’obligation, d’y autoriser l’installation des équipements des opérateurs de communications électroniques, dans le respect des prérogatives qu’elles tiennent de leur qualité de gestionnaire de ce domaine ».
En d’autres termes, le Conseil rappelle ici que le droit de passage des exploitants de réseaux ouverts est circonscrit au domaine public routier et aux réseaux publics. Ce faisant, le gestionnaire du domaine public conserve toute latitude concernant la gestion de son domaine public non-routier.
Ainsi, le Conseil précise la portée de l’extension du droit de passage sur le domaine public routier au domaine public non routier tel qu’issu de la loi n°2009-179 du 7 février 2009.
De fait, le gestionnaire du domaine n’aura donc pas à charge de démontrer une quelconque incompatibilité entre cette occupation et l’affectation du domaine ; il reste cependant tenu aux principes posés par l’article 46 du CPCE.
Sur ce point, au surplus, le Conseil était amené à statuer sur les conditions tarifaires de cette convention d’occupation. L’opérateur considérait cette modification tarifaire discriminatoire et excessive. Le Conseil d’Etat juge conforme au principe d’égalité entre les opérateurs le tarif unique qui leur est applicable.
Conseil d’État, Société Orange, 27 mai 2020, n°430972, mentionné aux Tables
10 juin 2020 - Communications du ministère du travail dans le cadre de la crise sanitaire : le Conseil d’Etat considère que les fiches conseils métiers font grief
Dans le cadre de la crise sanitaire liée au Covid-19, les services de l’Etat (l’on pensera notamment à la direction des affaires juridiques de Bercy, du ministère du travail ou du ministère des transports) ont publié nombre de recommandations afin de préciser la portée des ordonnances Covid-19 et/ou de combiner les mesures réglementaires et législatives en vigueur avec les impératifs soulevés par la crise sanitaire.
De nature et contenu très divers, ces communications ont soulevé interrogation quant à leur valeur normative.
L’on rappellera notamment qu’ainsi que cela est disposé à l’article L. 312-3 du code des relations entre le public et l’administration, « Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l’article L. 312-2 [les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives] émanant des administrations centrales et déconcentrées de l’Etat et publiés sur des sites internet désignés par décret ».
La qualification, notamment au regard de ces dispositions, des communications effectuées par les autorités administratives pendant la crise sanitaire peut poser question.
Le Juge des référés du Conseil d’Etat, saisi par l’association française de l’industrie des fontaines à eau (AFIFAE), est venu préciser la valeur de certaines communications publiées par le ministère du travail.
Cette saisine intervenait dans un contexte jurisprudentiel tendant à reconnaître une portée y compris aux actes de « droit souple » adoptés par les autorités de régulation : le Conseil d’Etat avait, par exemple, reconnu, s’agissant de communiqués de presse ou de prises de position qui, par principe, ne créent pas de droits, que « ces actes peuvent également faire l’objet d’un tel recours, introduit par un requérant justifiant d’un intérêt direct et certain à leur annulation, lorsqu’ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent » (Conseil d’État, Assemblée, 21/03/2016, Fairvesta, n°368082).
En d’autres termes, le Conseil considère désormais que l’acte ayant vocation à concrètement influencer ses destinataires fait grief, et ce, quelle qu’en soit la dénomination ou la forme.
Ainsi, une délibération du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) prenant position sur une campagne publicitaire afin d’inciter les chaines de télévision à ne pas diffuser ce message a été considérée comme faisant grief (CE, 10 octobre 2016, Mme A et autres, n° 384691, 384692, 394107), tout comme une « fiche de bon usage » d’un médicament élaborée par la Haute autorité de santé (HAS) (CE, 19 juillet 2017, Société Menarini, n° 399766).
En l’espèce, le juge était saisi relativement aux « fiches conseils métiers » publiées sur le site du ministère du travail, libellées comme des « KIT DE LUTTE CONTRE LE COVID-19 ».
Ainsi, une « fiche commune », conseillait aux employeurs de suspendre « de préférence l’utilisation des fontaines à eau au profit d’une distribution de bouteilles d’eau individuelle ». L’AFIFAE, association représentative des industriels produisant des fontaines à eau, demandait la « suspension de l’exécution » de ces fiches. Elle considérait que ces mesures portaient atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie.
Le Conseil d’Etat, prenant actes des recommandations établies par ces fiches, en apprécie la légalité. Il a donc estimé que celles-ci, eu égard à leur contenu, font grief et peuvent faire l’objet d’un recours, examiné en l’espèce.
Ce raisonnement semble susceptible d’être transposé à de nombreuses communications qui ont été effectuées par les autorités administratives pendant le contexte de crise sanitaire, ce qui pourrait générer un contentieux important, tant en termes de légalité que de responsabilité des autorités administratives.
Pour autant, au cas d’espèce, au visa des articles L. 4121-1 du code du travail relatif aux obligations générales de l’employeur en matière de protection de la santé de ses employés et R. 4225-2 du même code disposant obligation de fournir de l’eau fraiche et potables aux employés, le Conseil a conclu à l’absence de doute sérieux quant à leur légalité. Cette conclusion a été formulée au regard de « la gravité que peut avoir l’infection par le coronavirus covid-19, aux incertitudes portant sur les modalités de sa contagion, notamment en milieu humide et aux risques particuliers de contamination induits par la présence simultanée de plusieurs salariés sur un même lieu de travail ». La demande de l’AFIFAE a donc été rejetée.
Au surplus, saisi également concernant les « guides de bonnes pratiques » présents sur le même site, le Conseil d’Etat a, cette fois-ci, refusé d’en apprécier la légalité, au motif que celles-ci, fruit des travaux d’organisations professionnelles, ne relevaient pas de l’administration qui s’était bornée, au cas d’espèce, à y renvoyer.
15 juin 2020 - Le Conseil d’Etat redéfinit les critères de recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les circulaires et autres documents de portée générale produits par l’administration pour ses propres besoins
Depuis le bien connu arrêt Duvignères rendu par la section du contentieux du Conseil d’Etat le 18 décembre 2002 (n° 233618), la jurisprudence était bien fixée s’agissant du critère de recevabilité du recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’une circulaire ou d’une instruction administrative, tenant à la présence, au sein de tels actes, de « dispositions impératives à caractère général ».
Ce critère avait notamment conduit à exclure la recevabilité d’un tel recours contre les lignes directrices fixées par l’autorité administrative (CE, 3 mai 2004, Comité anti-amiante Jussieu, req. n° 245961).
L’unité de l’édifice jurisprudentiel avait, toutefois, commencé à se fissurer avec l’assouplissement des conditions de recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre des actes dits de « droit souple » des autorités de régulation, eu égard à la nature du pouvoir normatif (ou quasi-normatif) de ces autorités et des effets – notamment économiques – importants susceptibles d’être produits par de tels actes.
Ainsi, le Conseil d’Etat avait ainsi admis la recevabilité d’un tel recours à l’encontre des actes des seules autorités de régulation, qui « sont de nature à produire des effets notables, ou qui ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent » (CE Ass., 21 mars 2016, Fairvesta, req. n° 368082).
Par une décision rendue le 12 juin 2020 (Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s, req. n° 418142), la section du contentieux du Conseil d’Etat a étendu à l’ensemble des « documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif », le critère de recevabilité tenant aux effets susceptibles d’être produits par de tels « documents » (l’on aura relevé ce glissement terminologique vers la catégorie des « documents »).
Peuvent ainsi désormais être déférés au juge de l’excès de pouvoir ces « documents » « lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre », le fil n’étant néanmoins pas totalement rompu avec la jurisprudence antérieure, puisque la décision précise qu’ont notamment « de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou [et il s’agit là d’une nouveauté] présentent le caractère de lignes directrices ».
La décision précise également les conditions du contrôle du juge administratif sur ces actes. Il lui appartient ainsi d’en apprécier la légalité « en tenant compte de la nature et des caractéristiques [du document déféré] ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité dont il émane ». Ainsi, devra être censuré par exemple un document qui « fixe une règle nouvelle entachée d’incompétence », ou « si l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée », ou encore « s’il est pris en vue de la mise en œuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure ».
Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat était saisi d’une « note d’actualité » émanant d’un service de la police aux frontières, relative à l’existence d’une « fraude documentaire généralisée en Guinée (Conakry) sur les actes d’état civil et les jugements supplétifs », préconisant aux agents devant apprécier des actes d’état civil émis par des états étrangers de formuler un avis défavorable sur tout acte de naissance guinéen.
Le Conseil d’Etat estime, eu égard aux effets notables potentiels de cette note sur la situation des ressortissants guinées dans leurs relations avec l’administration française, qu’elle était bien « justiciable » au regard des nouveaux critères de recevabilité désormais retenus.
Sur le fond, il rejette néanmoins le moyen tenant aux vices de forme et de compétence invoqués, de même que celui tenant à la contrariété de l’acte à l’article 47 du code civil, dans la mesure où cette note n’interdit pas aux agents concernés, ni aux autres administratives compétentes en matière d’état civil de procéder, comme elles y sont tenus, à un examen au cas par cas des demandes présentées par les ressortissants guinéens.
12 juin 2020 - Précisions sur les mentions obligatoires que doit comporter un avis d’attribution afin de faire courir les délais de recours contre le contrat
Aux termes d’une décision rendue le 3 juin 2020, le Conseil d’Etat est venu préciser que la publication d’un avis d’attribution indiquant à la fois la conclusion du marché ainsi que les modalités de sa consultation permet de faire courir le délai de recours contre le contrat nonobstant le fait que la date de conclusion du contrat n’est pas indiquée.
En l’occurrence, le Centre hospitalier d’Avignon avait lancé une procédure d’appel d’offres en vue de l’attribution de quatre lots destinés à couvrir les besoins de ce dernier en matière d’assurances.
Le lot n°1 de cet appel d’offres portant sur la responsabilité civile hospitalière ayant été attribué à la société H., la société B., classée deuxième, a introduit un recours tendant à contester la validité du marché conclu ainsi qu’à l’allocation d’une somme 273.750 euros au titre des préjudices résultant de son éviction irrégulière.
Par un jugement en date du 19 octobre 2017, le Tribunal administratif de Nîmes a rejeté l’ensemble de ses prétentions.
La société B. a interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Marseille qui a annulé le jugement tout en ordonnant la résiliation du marché à compter du 1er mai 2019 et décidé, avant dire droit, de procéder à une expertise contradictoire afin d’évaluer le préjudice subi par celle-ci.
Le Centre hospitalier s’est logiquement pourvu en cassation.
Le Conseil d’Etat, après avoir rappelé les principes énoncés par la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne (CE, Ass., 4 avril 2014, req. n°355994) considère que « la publication d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi permet de faire courir le délai de recours contre le contrat, la circonstance que l’avis ne mentionnerait pas la date de la conclusion du contrat étant sans incidence sur le point de départ du délai qui court à compter de cette publication ».
En l’espèce, la CAA de Marseille avait, d’une part, jugé que les conclusions déposées par la société B. portant sur la contestation de la validité du contrat, qui avaient été déposées le 12 mars 2015, étaient tardives. Cette dernière avait, d’autre part, considéré que les avis d’attribution du marché, qui avaient été publiés le 2 décembre 2014 au JOUE et au BOAMP ne constituaient pas une mesure de publicité appropriée susceptible de faire courir le délai de recours contentieux dans la mesure où ces publications ne faisaient état que de l’attribution du marché, et non de sa conclusion, et ne mentionnaient que les coordonnées de la cellule des marchés du centre hospitalier. Par conséquent, le Conseil d’Etat juge que la CAA de Marseille a dès lors commis une erreur de droit.
De surcroit, le Conseil d’Etat relève que la Cour administrative d’appel de Marseille, en considérant que la note de la société S., attributaire du marché, aurait dû être dévaluée au titre du critère n°3 dès lors que l’annexe financière à l’acte d’engagement remise par celle-ci dans le cadre son offre comportait une réserve, qui selon la CAA devait être comprise comme une « réserve majeure », sans même rechercher si cette réserve entraînait une dégradation réelle de la valeur économique du marché, avait commis une autre erreur de droit.
CE, 3 juin 2020, Centre hospitalier d’Avignon, req. n°428845
19 juin 2020 - Publication au Journal Officiel du 18 juin 2020 d’une nouvelle ordonnance visant, dans le contexte de crise sanitaire, à soutenir l’accès des entreprises fragilisées par cette crise aux marchés publics et contrats de concessions
Par une ordonnance n° 2020-738 du 17 juin 2020 portant diverses mesures en matière de commande publique, le Gouvernement a souhaité, dans le contexte de crise sanitaire, soutenir l’accès des entreprises (notamment les PME) fragilisées par cette crise aux marchés publics et contrats de concessions.
Elle vise d’abord, en son article 1er, à autoriser les entreprises en redressement judiciaire ou à une procédure équivalente régie par un droit étranger qui bénéficient d’un plan de redressement à se porter candidates aux contrats de la commande publique.
En effet, en principe, le 3° des articles L. 2141-3 et L. 3123-3 du code de la commande publique (ci-après, « CCP ») interdit à une entreprise en redressement judiciaire ou à une procédure équivalente régie par un droit étranger, qui ne peut justifier avoir été habilitée à poursuivre son activité pendant la durée prévisible d’exécution du contrat, de se voir attribuer un marché public ou un contrat de concession.
Ensuite, faisant le pari que la « relance de l’économie après l’épidémie de covid-19 pourrait s’accompagner d’un fort recours » aux contrats globaux mentionnés à l’article L. 2171-1 du CCP, l’article 2 de l’ordonnance précitée étend à tous ces contrats le dispositif en faveur des PME prévu pour les marchés de partenariat aux articles L. 2222-4 et R. 2213-5 du CCP qui impose d’une part, qu’au moins 10 % de l’exécution du marché soient confiés à des PME ou des artisans et d’autre part, que la part que l’entreprise s’engage à confier à des PME ou à des artisans constitue un critère obligatoire d’attribution du contrat.
Il précise toutefois que ces dispositions ne sont pas applicables aux marchés de défense et de sécurité, lorsqu’il est fait application de l’article L. 2371-1.
Enfin, l’article 3 permet aux acheteurs publics ou aux autorités concédantes de ne pas tenir compte, dans l’appréciation de la capacité économique et financière des candidats aux marchés publics ou contrats de concessions, de la baisse du chiffre d’affaires intervenue au titre du ou des exercices sur lesquels s’imputent les conséquences de la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19.
Ces nouvelles mesures seront applicables pendant une période d’un an suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 10 juillet 2021, à l’exception des dispositions de l’article 3 qui s’appliquent jusqu’au 31 décembre 2023.
Ordonnance n° 2020-738 du 17 juin 2020 portant diverses mesures en matière de commande publique.
26 juin 2020 - Le contrôle exercé par le juge administratif sur la pondération des critères de jugement des offres est un contrôle restreint
Aux termes d’une décision rendue le 10 juin 2020, le Conseil d’Etat est venu préciser que le contrôle opéré par le juge administratif, s’agissant de la pondération des critères de jugement des offres, est un contrôle restreint.
En l’occurrence, le Ministre de la défense a lancé, selon une procédure adaptée, la passation d’un marché à bons de commande en vue de la réalisation de prestations de formation en achat public, cette consultation a été lancée sous l’empire du Code des marchés publics et était divisée en sept lots géographiques.
Deux candidats évincés à l’attribution du marché, la société S. et la société A., ont introduit une requête devant le Tribunal administratif de Rennes tendant à la condamnation de l’Etat à verser la somme de 218.400 euros au titre de la réparation du préjudice qu’elles estimaient avoir subi en raison de leur éviction de ce marché.
Les deux sociétés ont interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Nantes qui a annulé le jugement et condamné l’Etat à verser la somme de 4.800 euros tout en rejetant le surplus de leur requête d’appel.
La Cour administrative d’appel de Nantes avait en effet jugé que la pondération des critères de jugement retenue par le Ministre dans le cadre de cette consultation était irrégulière en ce qu’elle était « particulièrement disproportionnée ». L’acheteur public avait précisé que les offres étaient appréciées au regard d’un critère de valeur technique pondéré à hauteur de 90% et d’un critère tiré du prix pondéré à 10%.
L’Etat s’est toutefois pourvu en cassation à l’encontre de l’arrêt rendu.
Le Conseil d’Etat, après avoir rappelé les dispositions de l’article 53 du code des marchés publics, applicable en l’espèce, énonce que le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse doit se faire en fonction de critères permettant d’apprécier la performance globale des offres au regard de ses besoins mais précise surtout que l’acheteur dispose toutefois d’une latitude certaine dans la pondération de ces critères :
« Le pouvoir adjudicateur détermine librement la pondération des critères de choix des offres. Toutefois, il ne peut légalement retenir une pondération, en particulier pour le critère du prix ou du coût, qui ne permettrait manifestement pas, eu égard aux caractéristiques du marché, de retenir l’offre économiquement la plus avantageuse »
Le contrôle opéré par le juge administratif est donc un contrôle restreint ayant pour objet de vérifier que la pondération retenue par l’acheteur n’ait seulement pas eu pour effet d’écarter l’offre économiquement la plus avantageuse au regard des caractéristiques du marché.
Le Conseil d’Etat considère, en l’occurrence, que la Cour administrative d’appel a dès lors commis une erreur de droit en jugeant que la pondération retenue par l’acheteur était « particulièrement disproportionnée », que ce dernier n’en avait pas établi la nécessité, et qu’elle conduisait à « neutraliser manifestement le critère prix ».
CE, 10 juin 2020, Ministre des armées, req. n°431194
29 juin 2020 - Licenciement du fonctionnaire territorial demandant sa réintégration après une disponibilité et refusant trois offres d’emploi : précisions sur le contrôle du juge de cassation sur le caractère ferme et précis des offres soumises au fonctionnaire
En vertu de l’article 72 et du III de l’article 97 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, le fonctionnaire mis en disponibilité refusant successivement trois postes qui lui sont proposés dans le ressort territorial de son cadre d’emploi, emploi ou corps en vue de la réintégration peut être licencié après avis de la commission administrative paritaire. Les offres présentées au fonctionnaire doivent présenter un caractère « ferme et précis, prenant la forme d’une proposition d’embauche comportant les éléments relatifs à la nature de l’emploi et à la rémunération ».
En l’espèce, une agente administrative d’une commune avait été placée en disponibilité pour convenances personnelles pour une durée d’un an, et avait sollicité ensuite sa réintégration. Elle avait été placée par le maire, faute de poste disponible, en disponibilité d’office, lequel avait ensuite prononcé son licenciement après avis de la commission administrative paritaire, après avoir considéré qu’elle avait refusé trois offres d’emploi qui lui avaient été soumises.
Les juges du fond avaient rejeté la demande de l’agente tendant à l’annulation de l’arrêté portant licenciement.
Le Conseil d’Etat était saisi d’un moyen tendant à contester le caractère ferme et précis des propositions qui avaient été adressées par la commune à l’agente, et dont il avait été considéré qu’elle les avait refusées. La question se posait de l’intensité du contrôle exercé par le juge de cassation sur cette qualification.
Dans un arrêt rendu le 25 juin 2020, mentionné aux tables du recueil sur ce point, le Conseil d’Etat précise que le caractère ferme et précis des offres soumises à l’agent fait l’objet d’un contrôle de qualification juridique des faits.
Au cas précis, dans l’exercice de son contrôle, et constatant que l’agente avait reçu un courrier l’informant simplement de la vacance de trois postes correspondant à son statut et l’invitant à adresser à la commune une candidature, le Conseil d’Etat considère qu’aucune proposition d’embauche (a fortiori aucune proposition ferme et précise) n’avait été formulée et qu’ainsi, les juges d’appel avaient commis une erreur de qualification juridique des faits, en jugeant que le courrier pouvait être regardé comme une offre d’emploi ferme et précise au sens des dispositions précitées.
CE, 25 juin 2020, Commune de Champigny-sur-Marne, req. n° 421399
8 juin 2020 - A défaut de démontrer l’usage d’habitation d’un local à la date du 1er janvier 1970, les communes visées par l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation ne sont pas fondées à solliciter la condamnation à l’amende civile prévue par l’article L. 651-2 du même code
Pour mémoire, en application des dispositions prévues par l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation et situés dans les communes de plus de 200.000 habitants ainsi que dans les départements de la petite couronne est soumis à un régime d’autorisation préalable.
La personne qui méconnait ces dispositions peut, aux termes de l’article L. 651-2 du même code, se faire condamner à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50.000 euros.
C’est donc sur le fondement de ces dispositions que la ville de Paris a assigné en la forme des référés la propriétaire d’un appartement situé à Paris pour avoir donné en location ce local de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage.
N’ayant pas considéré que ce local ait eu un usage d’habitation, la cour d’appel de Paris a débouté la ville de Paris par un arrêt rendu le 24 octobre 2018.
Cette dernière a décidé de se pourvoir en cassation en reprochant notamment aux juges d’appel de ne pas avoir retenu l’usage d’habitation du local, malgré le fait qu’ils aient constaté que l’acte de vente de ce local du 2 avril 1980 mentionnait expressément l’usage à titre d’habitation.
Cependant, la Cour de cassation rappelle, conformément à l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, qu’un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage à la date du 1er janvier 1970.
Or, en telle hypothèse, la preuve rapportée par la ville de Paris que ce local était affecté à l’habitation postérieurement au 1er janvier 1970 est inopérante.
La troisième chambre civile considère donc que, si la ville de Paris démontre effectivement l’usage d’habitation du local lors de son acquisition par sa propriétaire le 2 avril 1980, elle n’établit pas au contraire que ce même local était affecté à l’usage d’habitation au 1er janvier 1970.
Dans ces conditions, la Cour de cassation juge que la ville de Paris ne pouvait pas se prévaloir d’un changement d’usage illicite de ce local au sens de l’article L. 631-7 du code de la construction, et n’était donc pas fondée à solliciter la condamnation de sa propriétaire à l’amende civile prévue par l’article L. 651-2 du code éponyme.
En définitive, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la ville de Paris.
Cass., 3e civ., 28 mai 2020, n° de pourvoi 18-26366
17 juin 2020 - Monuments historiques : le Conseil d’Etat précise les conditions d’appréciation de la covisibilité
La mairie d’Anglet avait accordé à une société un permis de construire permettant la réalisation d’un immeuble collectif. Deux permis modificatifs concernant le même projet avaient, par la suite, été accordés.
Une association de riverains avait saisi le juge des référés du tribunal administratif de Pau afin de faire annuler ces arrêtés et avait en obtenu, en référé, la suspension. Le juge de première instance avait fait droit aux demandes de l’association et des riverains considérant que le fait que le projet avait été autorisé sans accord de l’architecte des Bâtiments de France, et sans servitude de passage faisait naître un doute sérieux sur la légalité des arrêtés attaqués. Saisi par les sociétés de construction en cassation contre ces ordonnances, le Conseil d’Etat a rejeté leur demande, tout écartant le second motif de l’ordonnance de suspension.
Ce litige s’inscrit dans le cadre de la législation relative aux abords des monuments historiques.
Pour rappel, dans un périmètre délimité par l’autorité administrative compétente, l’ensemble des immeubles sont considérés former un tout avec le monument historique et sont, à ce titre, protégés.
En l’absence de périmètre délimité, « la protection au titre des abords s’applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument historique ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci (…) » (article L. 621-31 du Code de l’urbanisme).
L’application du régime de protection est d’importance : l’ensemble des travaux pouvant amener à modifier l’aspect extérieur de tout immeuble couvert par ce régime sont soumis à autorisation préalable (article L. 621-32 du Code de l’urbanisme) ; et, surtout, le permis de construire ne peut être délivré valablement que si l’architecte des Bâtiments de France a donné son accord (articles L. 632-2 et R. 425-1 du Code de l’urbanisme).
Au cas d’espèce, la discussion se cristallisait autour de l’application effective de ces dispositions.
Le Conseil d’Etat devait déterminer si le projet en cause se situait effectivement dans le champ d’application de la protection liée aux abords de monuments historiques, étant précisé que le juge des référés avait estimé qu’il y avait covisibilité dès lors que le monument et l’immeuble projeté seraient visibles en même temps depuis un point situé à plus de 500 mètres du monument.
Le Conseil d’Etat précise qu’il « résulte de la combinaison [des dispositions précitées] que ne peuvent être délivrés qu’avec l’accord de l’architecte des Bâtiments de France les permis de construire portant sur des immeubles situés, en l’absence de périmètre délimité, à moins de cinq cents mètres d’un édifice classé ou inscrit au titre des monuments historiques, s’ils sont visibles à l’œil nu de cet édifice ou en même temps que lui depuis un lieu normalement accessible au public, y compris lorsque ce lieu est situé en dehors du périmètre de cinq cents mètres entourant l’édifice en cause ».
Le Conseil d’Etat précise ainsi que si le périmètre de 500 mètres prévaut entre les bâtiments, la co-visibilité peut être établie au-delà de ce périmètre, pour autant qu’elle soit constatée à l’œil nu.
En faisant application, le Conseil d’Etat a tranché en faveur des requérants, et annulé l’ordonnance de suspension des arrêtés de permis de construire.
Le juge précise, au regard des circonstances de fait, que, dès lors que l’immeuble projeté et le monument ne seraient visibles simultanément depuis un point situé à plus de 500 mètres du monument concerné qu’à l’aide d’un objectif à fort grossissement, ils ne peuvent être considérés comme « co-visibles » au sens des dispositions précitées.
Le permis de construire en cause, sortant de fait du régime des abords des monuments historiques, ne soulevait donc pas de doute sérieux quant à sa légalité au regard de ces dispositions.
Conseil d’État, Association des riverains du Barbot, 05/06/2020, n°431994
22 juin 2020 - Une opération de restauration immobilière déclarée d’utilité publique, dont l’objet est de transformer les conditions d’habitabilité d’un immeuble, peut contraindre le propriétaire d’un local à usage commercial devenu impropre pour l’exercice d’une telle activité à transformer ce local en habitation
A la demande de la commune de Mâcon, le préfet de Saône-et-Loire a, par arrêté du 22 octobre 2014, déclaré d’utilité publique une opération de restauration immobilière située dans le centre-ville de cette commune.
La société civile immobilière MSI, propriétaire d’un ensemble immobilier compris dans le périmètre de cette opération a déféré cet arrêté au tribunal administratif de Dijon, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux par le préfet, prise le 18 février 2015.
Si les juges de première instance ont rejeté cette demande, les juges d’appel y ont fait droit et ont consenti à l’annulation de l’arrêté du 22 octobre 2014 en tant qu’il déclare d’utilité publique l’ensemble immobilier appartenant à la société civile immobilière MSI.
S’estimant lésées par cet arrêt, la commune de Mâcon ainsi que la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales se sont pourvues en cassation.
Aux visas des articles L. 313-4, L. 313-4-1 et L. 313-4-2 du code de l’urbanisme dans leur version alors applicable, le Conseil d’Etat commence par rappeler le principe selon lequel une opération de restauration immobilière a pour objet la transformation des conditions d’habitabilité d’un immeuble ou d’un ensemble d’immeubles.
Par conséquent, cette opération ne peut avoir pour objet ou pour effet de contraindre un propriétaire à transformer en habitation un local dont la destination est commerciale.
Cependant, la Haute juridiction précise également qu’une opération de restauration immobilière ne fait pas obstacle à ce qu’un local à usage commercial présent dans un immeuble ou ensemble d’immeubles principalement destiné à l’habitation et devenu impropre à une activité commerciale, soit transformé, dans le cadre de l’opération de restauration immobilière, en habitation, à des fins d’amélioration des conditions d’habitabilité de l’immeuble ou de l’ensemble d’immeubles.
En l’occurrence, l’utilité publique déclarée par le préfet vise dans le cadre de l’opération de restauration immobilière du centre-ville de Mâcon vise plusieurs ensembles immobiliers, dont celui dont est propriétaire la société civile immobilière MSI, lequel est composé de trois immeubles, dont l’un comprend des locaux anciennement destinés à une activité de boucherie.
Or, le Conseil d’Etat relève non seulement que cette activité de boucherie a été abandonnée, mais de surcroît que ces locaux sont devenus impropres à une activité commerciale.
Partant, la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit en considérant que la déclaration d’utilité publique de l’opération de restauration immobilière – qui avait donc pour effet de transformer en habitation ces locaux commerciaux qui étaient devenus impropres à toute activité commerciale – méconnaissait l’article L. 313-4 du code de l’urbanisme.
Conséquemment, le Conseil d’Etat annule l’arrêt rendu par les juges d’appel et renvoie cette affaire devant la cour administrative d’appel.
CE, 17 juin 2020, Commune de Mâcon, req. n° 427957
24 juin 2020 - Le gouvernement fixe par décret les conditions dans lesquelles l’Autorité de Régulation des Transports évaluera les attributions directes de contrats de transport ferroviaire de voyageurs par les autorités organisatrices compétentes
Le gouvernement, au 15 juin 2020, a pris un décret n°2020-728 portant application de l’art. L 2121-17 du code des transports, relatif aux modalités d’attribution directe des contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs. Ce décret fixe les conditions dans lesquelles l’Autorité de Régulation des Transports (« ART ») contrôlera l’exercice de cette prérogative par les autorités organisatrices compétentes (« AOT »).
Pour rappel, toutes les AOT, depuis décembre 2019, ont la possibilité d’attribuer de tels services au terme d’une procédure de mise en concurrence, cette faculté se transformant en obligation à partir du 25 décembre 2023.
Dans ce cadre, l’art. L. 2121-17 du code des transports – qui entrera en vigueur uniquement le 25 décembre 2023 – fixe les modalités selon lesquelles les AOT pourront directement attribuer à certains opérateurs des contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs, dérogeant à cette obligation de mise en concurrence.
Cet article ouvre deux procédures distinctes, qui retranscrivent les dérogations prévues à l’article 5 du règlement CE n°1370/2007.
l’AOT pourra directement attribuer le contrat, sans avis préalable de l’ART. Toute personne « à qui la décision [de l’AOT] est susceptible de faire grief » pourra solliciter l’avis de l’ART sur cette décision.
L’AOT ne pourra attribuer le contrat qu’après avis conforme de l’ART.
Les AOT pourront donc, dans les cas limitativement listés, choisir d’attribuer sans mise en concurrence un marché de transports de voyageurs. Le présent décret vient préciser le formalisme des décisions des AOT et les modalités selon lesquelles cette attribution sera contrôlée par l’ART.
Ainsi, en préalable, dans les cas où le service consisterait en un « service de transport ferroviaire de voyageurs d’intérêt national » (art. L 2121-1 du Code des transports), la décision devra être prise et motivée par le ministre chargé des transports.
En revanche, dans tous les autres cas, l’attribution directe sera décidée par délibération motivée de « l’organe délibérant compétent » (art. 1) de l’AOT.
Ensuite, lorsque le contrat est attribué au gestionnaire d’infrastructure dans les conditions développées dans la 1ère hypothèse, un délai de 5 semaines devra s’écouler entre la décision préalable et l’attribution du contrat. En cas de demande d’avis adressée à l’ART par un tiers, le délai de deux mois posé par l’article L. 2121-17 prévaudra.
En revanche, lorsque la demande d’évaluation est faite par un tiers pour un des cas listés dans la 1ère hypothèse, celle-ci devra être constituée dans le mois suivant la publication de la décision préalable. La demande sera publiée par l’ART, et l’AOT devra mettre à disposition un dossier dont le contenu sera publié par l’ART, afin de démontrer qu’elle est en conformité avec le règlement CE n°1370/2007.
Enfin, pour toute demande d’évaluation, l’ART disposera de deux mois à compter de la demande d’évaluation pour statuer. Dans le cas où le dossier serait reçu postérieurement par l’ART, le délai débutera à partir de sa réception.
Concernant la demande d’évaluation en elle-même (art. 3), elle devra contenir le projet de décision préalable, et sera publiée avec l’avis par l’ART. En l’absence d’avis exprès à l’expiration d’un délai de deux mois, l’avis sera réputé conforme.
Enfin, l’ART devra publier par une décision le contenu attendu de la demande d’évaluation et des dossiers transmis par l’AOT. Elle devra également fixer sa méthode d’évaluation (art. 4).