12 mars 2021 - Les contrats ayant pour objet l’émission et la distribution de titres de paiement sont des marchés publics
Par une décision en date du 4 mars 2021, le Conseil d’Etat considère que les contrats d’émission et de distribution de chèques emploi-service universels sont des marchés publics dès lors que le cocontractant ne supporte aucun risque d’exploitation.
En l’espèce, le département de la Loire a lancé une procédure de passation d’un accord cadre ayant pour objet l’émission et la distribution de titres de paiement au profit des agents départementaux. Les lots n° 2 à 6 ont fait l’objet d’une consultation sans publicité ni mise en concurrence préalables.
Dans ce contexte, le Département de la Loire a invité la société Endered France à présenter une offre pour les lots n° 2 à 6. Cette dernière société a informé le département qu’elle ne souhaitait pas présenter d’offre et a saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Lyon, lequel a annulé les procédures de passation des lots n° 2, 3, 5 et 6.
Trois problématiques principales sont soumises au juge administratif :
En premier lieu, il appartient au Conseil d’Etat de se prononcer sur la qualification du contrat en question. Pour ce faire, la Haute juridiction rappelle les définitions des marchés publics et des concessions, respectivement prévues par les dispositions des articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique. Au cas présent, il considère ce qui suit :
« Si les stipulations du projet de contrat ne font pas obstacle à ce que (…) le cocontractant qui projette d’exécuter le service prélève une commission à l’occasion du remboursement des titres aux personnes physiques ou morales les ayant acceptés en paiement ou place les sommes versées par le département durant le laps de temps précédant leur remboursement, le coût de l’émission des titres et de leur distribution est intégralement payé par le département et le cocontractant bénéficie, à titre de dépôt, des fonds nécessaires pour verser leur contre-valeur aux personnes physiques ou morales auprès desquelles les titres seront utilisés. Il résulte de ce qui précède que le cocontractant ne supporte aucun risque d’exploitation. Dans ces conditions, le contrat en litige ne revêt pas le caractère d’un contrat de concession, mais celui d’un marché public ».
En deuxième lieu, le Conseil d’Etat expose la méthode d’évaluation de la valeur estimée du besoin pour le marché en cause. En application des dispositions des articles R. 2121-1 ; R. 2121-3 ; R. 2121-4 R. 2121-6 et R. 2121-8 du code de la commande publique, « l’acheteur doit prendre en compte, outre les frais de gestion versés par le pouvoir adjudicateur, la valeur faciale des titres susceptibles d’être émis pour son exécution, somme que le pouvoir adjudicateur doit payer à son cocontractant en contrepartie des titres mis à sa disposition ».
En troisième lieu, le Conseil d’Etat précise la notion de lésion. Pour rappel, le Département avait sollicité la société Endered dans le cadre d’une procédure sans publicité ni mise en concurrence. Cette dernière avait décliné cette proposition en l’informant qu’elle ne souhaitait pas présenter d’offre. Pourtant cette même société a saisi le juge des référés précontractuels. S’agissant précisément de la lésion de la société requérante, le Conseil d’Etat juge que :
« la société Edenred France a été dissuadée de présenter une offre par l’irrégularité dont elle considérait que la procédure était entachée, qui conduisait à ce que la passation des lots en litige soit dispensée de formalités de publicité et de mise en concurrence. En estimant, par une ordonnance qui est suffisamment motivée, que la société Edenred France était susceptible d’être lésée par ce manquement, alors même qu’elle avait été invitée à se porter candidate par le département de la Loire, le juge des référés a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ».
CE, 4 mars 2021, Département de la Loire, req. n° 438859
29 mars 2021 - Office du juge de la passation des contrats de la commande publique : la CJUE précise que le soumissionnaire évincé est en droit de soulever tout moyen contre la décision d’admission d’un autre soumissionnaire, y compris ceux qui ne présentent pas de lien avec les irrégularités en raison desquelles son offre a été exclue
C’est, on le rappelle, en transposition de textes de droit européen (les directives « recours » 89/665/CEE du 21 décembre 1989 et 92/13/CEE du 25 février 1992, modifiées par la directive 2007/66/CE du 11 décembre 2007) que des voies de droit spécifiques – le référé précontractuel et le référé contractuel – ont été instituées en droit français pour permettre aux candidats à l’attribution de contrats relevant de la commande publique de contester la méconnaissance, par l’acheteur public, des règles de publicité et de mise en concurrence applicables.
Seules quelques rares décisions de principe ont été rendues par la Cour de justice de l’Union européenne s’agissant de l’application de ces directives. La Cour avait ainsi jugé en 2013 que « dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public, les soumissionnaires, dont l’exclusion est demandée, ont un intérêt légitime équivalent à l’exclusion de l’offre des autres soumissionnaires aux fins de l’obtention du marché » (CJUE, 4 juillet 2013, Fastweb, aff. C-100/12).
Cette conclusion avait été confortée par une décision rendue en 2016, par laquelle la CJUE avait souligné, d’une part, que l’exclusion d’un soumissionnaire peut aboutir à ce que l’autre soumissionnaire obtienne directement le marché au terme de la même procédure et, d’autre part, que, dans l’hypothèse d’une exclusion des deux soumissionnaires et de l’ouverture d’une nouvelle procédure de passation de marché public, chacun des soumissionnaires pourrait y participer et, ainsi, obtenir indirectement le marché (CJUE, 5 avril 2016, PFE, aff. C-689/13). La Cour a précisé, dans cette même décision, que le nombre de participants à la procédure de passation du marché public concerné, de même que le nombre de participants ayant introduit des recours ainsi que la divergence des motifs soulevés par eux, n’étaient pas pertinents pour l’application du principe jurisprudentiel résultant de l’arrêt du 4 juillet 2013, Fastweb.
La Cour était, en l’espèce, saisie de plusieurs questions préjudicielles par le Conseil d’Etat grec.
Celles-ci tendaient à examiner la validité, au regard de la directive 92/13/CEE d’une pratique nationale en vertu de laquelle un soumissionnaire qui a été exclu d’une procédure de passation de marché public à un stade antérieur à la phase d’attribution de ce marché et dont la demande de sursis à exécution de la décision l’excluant de cette procédure a été rejetée, ne peut, faute d’intérêt à agir, invoquer, dans sa demande de sursis à exécution de la décision admettant l’offre d’un autre soumissionnaire, introduite concomitamment, des moyens sans lien avec les irrégularités en raison desquelles son offre a été exclue, à l’exception du moyen selon lequel la décision d’admission de cette offre viole le principe d’égalité dans l’appréciation des offres.
La Cour, dans une décision rendue le 24 mars 2021, a apporté plusieurs précisions intéressantes.
Après avoir rappelé que les procédures de recours prévues par les directives doivent permettre à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée puissent effectivement contester cette violation, la Cour a précisé que le soumissionnaire évincé peut introduire un recours contre la décision de l’entité adjudicatrice admettant l’offre d’un de ses concurrents quel que soit le stade de la procédure de passation de marché public auquel cette décision intervient, et rappelé la teneur des principes déjà dégagés par sa jurisprudence.
De manière plus novatrice, la Cour s’est prononcée sur la nature de moyens susceptibles d’être invoqués par un soumissionnaire évincé, précisant que celui-ci « est en droit de soulever tout moyen contre la décision d’admission d’un autre soumissionnaire, y compris ceux qui ne présentent pas de lien avec les irrégularités en raison desquelles son offre a été exclue » (point 41).
Dans l’attente de publication des conclusions de l’avocat général, la portée de cette décision sur la jurisprudence interne n’apparaît pas évidente. En effet, si la CJUE étend les moyens invocables à ceux qui sont sans lien avec les irrégularités qui ont fondé le rejet de l’offre du requérant, cela ne vaut que pour autant qu’il s’agisse de contester « la décision d’admission d’un autre soumissionnaire » et non pas, de manière générale, de soulever tout vice affectant la légalité de la procédure. Cette décision ne remet donc pas en cause la condition posée par les textes, tenant à ce que l’intérêt du requérant ait été lésé (ou soit susceptible de l’avoir été) par la violation alléguée.
Et l’on rappellera que le Conseil d’Etat avait déjà jugé, dans un arrêt du 27 mai 2020 (Société Clean Building, req. n° 435982) et sous l’influence de la jurisprudence européenne, que l’irrégularité de l’offre d’un candidat évincé ne le prive pas de la possibilité de faire valoir que l’offre de l’attributaire était irrégulière (notamment parce que reposant sur un prix anormalement bas), pour obtenir l’annulation de la procédure ou du contrat.
Il conviendra, néanmoins, d’être attentif à d’éventuelles évolutions dans la définition prétorienne, par les juges administratifs et civils, de l’office du juge des référés précontractuels et contractuels.
CJUE, 24 mars 2021, NAMA Symvouloi Michanikoi kai Meletites AE, aff. C-771/19
3 mars 2021 - Le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties sont unies par un contrat de droit privé
Dans le cadre de l’affaire commentée, le Tribunal des conflits est venu rappeler le principe selon lequel le juge administratif est compétent pour traiter d’un litige né de l’exécution d’un marché de travaux publics et opposant des participants à l’exécution de ces travaux, sauf si les parties sont unies par un contrat de droit privé.
Il avait déjà eu l’occasion de l’affirmer dans le cadre d’une décision SARL Egis Bâtiments Centre Ouest de 2018 (TC, 10 décembre 2018, SARL Egis Bâtiments Centre Ouest, req. n°4144).
Ces décisions illustrent, en filigrane, l’attractivité de la notion de travaux publics dans le domaine contentieux relatif à l’exécution des contrats.
En l’espèce, deux sociétés membres du même groupement titulaire d’un marché de travaux publics ont l’une et l’autre poursuivi la responsabilité quasi-délictuelle de leur co-traitant et présentées des conclusions tendant à la condamnation de celui-ci à réparer le préjudice qu’elles estiment avoir subi à raison de fautes qu’il a commises au cours de l’exécution du contrat conclu avec le maître de l’ouvrage.
Le Tribunal des conflits considère, dans ce cadre, que si le litige oppose effectivement deux sociétés membres du même groupement titulaires d’un marché de travaux publics entre elles par un contrat de droit privé, ce litige ne concerne pas l’exécution de ce contrat de droit privé.
En effet, il portait essentiellement sur l’exécution du contrat de marché de travaux publics conclu avec le maître de l’ouvrage.
A ce titre, la juridiction conclut que ce litige impliquait que soient appréciées les conditions dans lesquelles le contrat portant sur la réalisation de travaux publics a été exécuté et relève donc de la juridiction administrative.
TC, 8 février 2021, Sociétés Fayat Bâtiment et Pro-Fond,, req. n° C4203.
22 mars 2021 - En matière de construction, les dispositions prévues par la norme Afnor NF P 03 001 ne s’appliquent que de façon volontaire et supplétive au contrat conclu entre les parties
A la faveur d’un arrêt rendu le 4 mars 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler une nouvelle fois que, lorsque les parties à un contrat s’entendent à l’application de la norme NF P 03 001 pour régir leur relation contractuelle, les dispositions prévues par cette norme ne s’appliquent que de façon supplétive, c’est-à-dire en complément et à défaut de mention contraire du contrat.
En l’espèce, en vue de la construction d’un immeuble à usage de logement et de commerce, la société Paris Charenton a, en qualité de maître d’ouvrage, confié l’exécution de différents lots à la société Ridoret Menuiserie.
Après réception des travaux, la société Ridoret Menuiserie a, pour chacun des lots, adressé au maître d’œuvre de cette opération de construction ses projets de décompte final, afin que soit établi le décompte général définitif. Cependant, la société Ridoret Menuiserie ne s’est vue notifier aucun décompte en retour par le maître d’ouvrage, lequel s’est également abstenu de verser le solde du prix des travaux réalisés.
C’est ainsi que la société Ridoret Menuiserie a assigné la société Paris Charenton en paiement du prix et de dommages-intérêts. Par un arrêt rendu le 25 mars 2019, la cour d’appel de Versailles a fait droit aux prétentions de la société Ridoret Menuiserie, considérant que le maître d’ouvrage était réputé avoir accepté le décompte présenté par la demanderesse, en application de la norme NF P 03 001.
Contestant cette décision, la société Paris Charenton s’est pourvue en cassation, faisant valoir qu’au regard du caractère supplétif de la norme NF P 03 001, les dispositions relatives aux délais de vérification et de notification du décompte général définitif ne s’appliquaient pas au contrat conclu avec la société Ridoret Menuiserie, dans la mesure où le cahier des clauses générales refusait expressément leur application.
Saisi de ce contentieux, la Cour de cassation relève que, pour juger que les dispositions de la norme NF P 03 001 relatives aux délais de vérification et de notification du décompte général définitif s’appliquaient au cas d’espèce, les juges d’appel se sont fondés sur l’article 4 du cahier des clauses générales, aux termes duquel les parties ont consenti à se référer à cette norme à défaut de mention contraire du contrat.
Or, il est expressément prévu, aux termes de l’article 4.2 du cahier des clauses générales, que « ne sont pas applicables au marché les normes NF P 03 001 et plus généralement celles établissant un cahier des clauses générales ou des dispositions contraires au présent CCG ».
Ainsi, il est clair que si les sociétés Paris Charenton et Ridoret Menuiserie s’étaient mises d’accord sur l’application générale supplétive de la norme NF P 03 001, elles avaient exclu l’application des dispositions prévues par cette norme relative aux délais de vérification et de notification du décompte général définitif.
En conséquence, la cour d’appel de Versailles ayant dénaturé les termes claires et précis du contrat conclu entre les parties, la troisième chambre civile casse et annule la décision déférée.
Cass., 3e civ., 4 mars 2021, n° 19-16952
19 mars 2021 - Précisions sur les conditions d’occupation et d’utilisation du domaine public maritime par des accessoires de plage
Le Conseil d’Etat est venu préciser que l’utilisation d’accessoires de plages à titre précaire et temporaire n’excèdent pas le droit d’usage qui est reconnu à tous sur la dépendance du domaine public maritime qu’est la plage – et n’est ainsi pas constitutive d’une occupation privative – dès lors que ce matériel est utilisé sous la responsabilité des usagers concernés, pour la seule durée de leur présence sur la plage et qu’il est retiré par leurs soins après utilisation.
En l’occurrence, la société SHEP, qui exerce une activité commerciale de résidence de tourisme, hôtel, restaurant, avait sollicité auprès du préfet de la Corse du sud la délivrance d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime en bordure d’une plage pour l’installation, d’une part, de transats et parasols au droit de son établissement, d’autre part, d’un ponton non démontable.
Par deux arrêtés du 4 juin 2020, le préfet a refusé de faire droit à cette demande. Toutefois, à la suite de plusieurs constats d’occupation sans titre du domaine public, le préfet a décidé de saisir le juge des référés du tribunal administratif de Bastia, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, en vue d’obtenir l’expulsion de la société concernée des emplacements occupés sur cette plage mais également le retrait du ponton ainsi que de l’ensemble des objets mobiliers pouvant s’y trouver.
Le juge des référés a fait droit à cette demande par une ordonnance du 24 août 2020. La société SHEP s’est pourvue en cassation en vue d’obtenir l’annulation de cette ordonnance.
Après avoir, notamment, énoncé les dispositions de l’article L. 2122-1 et L. 2124-4 du CGPPP, le Conseil d’Etat juge que l’installation et l’utilisation à titre précaire et temporaire d’accessoires de plage par les piétons n’excèdent pas le droit d’usage qui est reconnu à tous sur la plage et ce quand bien même ce matériel ne serait pas la propriété des usagers concernés et aurait été mis à leur disposition par des tiers dans l’exercice d’une activité commerciale :
« En premier lieu, l’installation et l’utilisation à titre précaire et temporaire d’accessoires de plage par les piétons n’excèdent pas le droit d’usage qui est reconnu à tous sur la dépendance du domaine public maritime qu’est la plage, en vertu des dispositions combinées des articles L. 2122-1, L. 2124-4 du code général de la propriété des personnes publiques et de l’article L. 321-9 du code de l’environnement, quand bien même ce matériel ne serait pas la propriété des usagers concernés et aurait été mis à leur disposition par des tiers dans l’exercice d’une activité commerciale, dès lors qu’il est utilisé sous leur responsabilité, pour la seule durée de leur présence sur la plage et qu’il est retiré par leurs soins après utilisation ».
En l’occurrence, le Conseil d’Etat relève néanmoins que la société SHEP mettait à la disposition exclusive de sa clientèle des chaises longues et des parasols destinés à être installés, pendant la journée, sur la plage à proximité immédiate de l’établissement qu’elle exploite.
Aussi, dans ce contexte, le Conseil d’Etat considère que le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que la condition d’utilité était ici remplie dès lors que l’installation de ces biens mobiliers sur la plage, eu égard à leurs caractéristiques, était constitutive d’une occupation privative du domaine public maritime qui était en lien direct avec l’activité commerciale de la société.
Les juges du Palais Royal énonce qu’il n’était d’ailleurs pas établi que les clients les installaient eux-mêmes pour la seule durée de leur présence sur la plage et les retiraient après utilisation. Le Conseil d’Etat conclut ainsi au rejet de la requête de la société SHEP.
CE, 12 mars 2021, société Hôtelière d’Exploitation de la Presqu’île, req. n°443392
2 mars 2021 - Recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire : l’intérêt pour agir d’un syndicat de copropriétaires d’un immeuble jouxtant le terrain d’assiette du projet est apprécié comme celui du voisin immédiat
L’intérêt pour agir en recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire a fait l’objet, on le sait, d’un encadrement particulier par le législateur, tendant à rationaliser le contentieux de l’urbanisme et à limiter, autant que possible, son instrumentalisation.
L’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme dispose ainsi qu’outre l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements, et les associations, n’est recevable à former une telle action qu’une personne dont les conditions d’occupation ou de détention d’un bien seraient affectées directement par la construction ou les travaux autorisés par le permis.
Au sein de cette large catégorie résiduelle de requérants, un régime de faveur a toutefois été ménagé au « voisin immédiat », dont le Conseil d’Etat juge qu’ « eu égard à sa situation particulière (…) [il] justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction » (CE, 13 avril 2016, req. n° 389798, publié au recueil Lebon).
En l’espèce, le Conseil d’Etat était saisi d’un pourvoi contre un jugement rendu par le Tribunal administratif de Marseille, rejetant le recours formé par un syndicat de copropriétaires contre un permis de construire portant sur la réalisation de 74 logements sur la parcelle jouxtant celle où était implantée la propriété des copropriétaires regroupés dans ce syndicat. Le rejet du Tribunal était notamment motivé par l’absence d’intérêt à agir dudit syndicat.
Dans une décision rendue le 24 février 2021, fichée au recueil Lebon sur ce point, le Conseil d’Etat a précisé que les modalités particulières d’appréciation de l’intérêt pour agir du voisin immédiat s’appliquent également à un syndicat de copropriétaires dont la propriété jouxte le terrain d’assiette du projet.
Sur le fond, le Conseil d’Etat a considéré qu’eu égard à l’importance du projet et à la situation particulière du syndicat de copropriétaires, le Tribunal avait commis une erreur de droit. Le jugement a, par conséquent, été annulé en tant qu’il rejetait les conclusions du syndicat des copropriétaires.
CE, 24 février 2021, req. n° 432096, mentionné aux tables du recueil Lebon
8 mars 2021 - En matière d’urbanisme, le juge administratif rappelle que l’appréciation de l’unité foncière servant à l’implantation d’un projet de construction s’effectue à la date de la délivrance du permis de construire
En l’espèce, par arrêté en date du 27 mai 2016, le maire de la commune de Neuilly-sur-Seine a délivré un permis de construire, valant permis de démolir, aux sociétés immobilières Paré-Cherest et du Parc des Princes, pour l’édification d’une polyclinique, sur un terrain situé 48 bis et 48 ter boulevard Victor Hugo et 45 à 49 rue de Villiers, à Neuilly-sur-Seine.
Cet arrêté a été déféré à la censure du juge administratif par le Syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis 49 bis, 51, 51 bis rue de Villiers à Neuilly-sur-Seine ainsi que par Monsieur A. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ayant rejeté leur demande d’annulation, les requérants ont interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Versailles.
En l’occurrence, sans qu’il soit besoin de revenir sur l’ensemble des moyens allégués par les appelants, l’un d’entre eux, qui porte sur la violation de l’article UD 7 du règlement du plan local d’urbanisme, s’avère intéressant.
En effet, le maire de la commune de Neuilly-sur-Seine ayant délivré un permis de construire modificatif en raison de la production, par le pétitionnaire, d’un projet d’acte notarié de constitution d’une association syndicale de propriétaires, l’étude de ce moyen suppose donc de savoir si les règles d’implantation prévues par le règlement du plan local d’urbanisme doivent s’appliquer au regard des deux unités foncières composant le terrain d’assiette à la date de la délivrance de l’autorisation d’urbanisme contestée, ou bien au regard de cette même unité foncière réunie entre les mains d’un même propriétaire, postérieurement à la date de délivrance de l’autorisation d’urbanisme.
Et, à la faveur d’un arrêt rendu le 25 février 2021, la cour administrative d’appel de Versailles a rappelé une nouvelle fois que, pour l’application des règles d’implantation prévues par le règlement du plan local d’urbanisme, l’unité foncière s’apprécie à la date de délivrance du permis de construire.
Ainsi, la ligne de délimitation de deux unités foncières composant le même terrain d’assiette doit s’analyser comme une limite séparative, et ce quand bien même ces parcelles ont vocation à ne former qu’une seule et même unité foncière après délivrance du permis de construire, en vertu du transfert à un même propriétaire :
« 9. En dernier lieu, aux termes de l’article UD7-11 du plan local d’urbanisme applicable aux constructions et installations nécessaires au service public et installations collectives : » Lorsque les constructions ne sont pas implantées sur limites séparatives, la distance comptée horizontalement d’un bâtiment aux limites séparatives doit être au moins égale à la moitié de la hauteur du bâtiment sans pouvoir être inférieure à 3 mètres « . Aux termes de l’article UD7.2.1.2.1 du même plan : » Cas d’implantation sur les deux limites : a) l’implantation sur les limites est obligatoire sur une profondeur de 15 mètres comptée à partir de l’alignement ou des reculements imposés, lorsque l’unité foncière comprend une bande de 15 mètres figurée au plan de zonage avec la mention « ordre continu ». » Pour l’application des dispositions précitées, doit être regardée comme une unité foncière, un îlot de propriété d’un seul tenant, composé d’une parcelle ou d’un ensemble de parcelles appartenant à un même propriétaire ou à la même indivision.
En conséquence, écartant ce moyen, à l’instar de tous les autres, la cour administrative d’appel de Versailles rejette le pourvoi formé par les requérants.
31 mars 2021 - Refus de communication de documents administratifs : le juge doit apprécier la légalité du refus en se plaçant à la date à laquelle il statue et non à la date d’édiction de la décision de refus
Dans le cadre de l’affaire commentée, le Conseil d’Etat est venu apporter, dans un arrêt du 1er mars 2021, d’utiles précisions concernant, d’une part, les pouvoirs et devoirs du juge de l’excès de pouvoir en cas de refus de communication de documents administratifs et, d’autre part, concernant le point de savoir si les informations relatives à l’environnement figurant dans les offres des candidats de l’aménageur constituent des documents communicables.
En l’espèce, deux administrés avaient sollicités, auprès de l’Eurométropole de Strasbourg, la communication de documents administratifs relatifs à la décision de sélection d’un groupement d’aménageurs pour l’aménagement de la ZAC Jean Monnet située à Eckbolsheim.
A la suite du rejet de leur demande par une décision implicite de l’Eurométropole de Strasbourg puis du rejet de leur requête par le Tribunal administratif de Strasbourg, les requérants ont, le 11 décembre 2019, saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi tendant non seulement à l’annulation du jugement du Tribunal administratif de Strasbourg mais également à ce que le Conseil d’Etat règle l’affaire au fond.
C’est dans ce cadre que, en premier lieu, le Conseil d’Etat est venu préciser qu’il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, de contrôler la régularité et le bien-fondé d’une décision de refus de communication de documents administratifs prise sur le fondement des articles L. 311-1 et L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA). Surtout, le Conseil d’Etat précise que, par exception au principe selon lequel le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité d’un acte administratif à la date de son édiction, il appartient ici au juge de se placer à la date à laquelle il statue. Notons à ce propos que, toujours dans le cadre de l’affaire commenté, le Conseil d’Etat justifie ce régime dérogatoire « eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention ».
En second lieu, il importe également de préciser que, toujours dans son arrêt du 1er mars 2021, le Conseil d’Etat s’est également prononcé sur le caractère communicable, ou non, des documents émanant des candidats qui ont pour objet d’indiquer les moyens mis en œuvre par les futurs aménageurs pour répondre aux objectifs à atteindre en matière environnementale. Plus précisement, le Conseil d’Etat s’est ici interrogé sur le point de savoir si de tels documents doivent être regardés comme une information relative à l’environnement.
Sur ce point, le Conseil d’Etat a répondu par la négative en considérant que tant que la sélection des candidats n’a pas conduit à la conclusion d’un contrat avec un aménageur, les informations relatives à l’environnement que contiennent les documents émanant des candidats qui ont pour objet d’indiquer les moyens mis en œuvre par les futurs aménageurs pour répondre aux objectifs à atteindre en matière environnemantale ne sauraient, à ce stade, être regardées comme ayant pour objet des décisions ou des activités susceptibles d’avoir des incidences sur l’état des éléments de l’environnement au sens de l’article 2° de l’article L. 124-2 du code de l’environnement.
15 mars 2021 - Régulation ferroviaire : l’Autorité de régulation des transports (ART) n’est pas compétente sur statuer sur le règlement d’un différend lié à la fixation des tarifs rendus exécutoires par son avis conforme
En matière de régulation du secteur ferroviaire, les prérogatives de l’Autorité de régulation des transports (ART) relèvent soit (i) de la régulation dite « ex ante », qui consiste à subordonner à son avis – conforme dans la plupart des hypothèses – la prise d’effet des actes du gestionnaire de l’infrastructure ou des exploitants d’installations de services qui déterminent les conditions d’accès à ces équipements, soit (ii) de la régulation dite « ex post », qui correspond pour l’essentiel au pouvoir de règlement des différends qui lui a été confié par le législateur.
En vertu des articles L. 1263-1 et suivants du code des transports, l’ART peut ainsi être saisie de tout différend relatif, notamment, à l’accès au réseau ferroviaire ou aux installations de services et « à la mise en œuvre » des redevances d’infrastructure ou de la tarification des services de base fournis dans ces installations.
Dans l’exercice de ces prérogatives, l’ART avait rendu plusieurs décisions importantes, où elle avait enjoint à SNCF Mobilités de modifier rétroactivement la tarification des services de base dans les gares de voyageurs (n° 2015-002 du 3 février 2015 et n° 2017-008 du 1er février 2017). Dans cette dernière décision, elle avait considéré que « l’avis conforme sur la tarification des prestations rendues dans les gares de voyageurs (…) ne saurait remettre en cause la compétence que l’Autorité tire de l’article L. 1263-2 dès lors qu’elle n’est pas exclusive de toute autre procédure devant l’Autorité et n’a, en tout état de cause, pas le même objet qu’une procédure de règlement de différend ».
C’est donc assez légitimement que la Région Nouvelle-Aquitaine s’est, à nouveau, tournée vers le régulateur pour solliciter une modification de la méthodologie de tarification de l’accès à la gare de Bordeaux-Saint-Jean et des prestations régulées qui y sont fournies.
Il s’agissait, ainsi, d’une demande d’injonction à SNCF Gares & Connexions de modifier les redevances relatives à l’accès aux gares de voyageurs, sur lesquelles l’ART émet, en vertu de l’article L. 2133-5 du code des transports, un avis conforme.
Dans une importante décision n° 2021-016 du 11 février 2021, l’ART s’est déclarée incompétente pour se prononcer sur un différend portant sur la fixation des tarifs rendus exécutoires par son propre avis conforme.
Elle s’est fondée, en ce sens, sur l’évolution des textes qui définissent son pouvoir de règlement de différend s’agissant de la tarification de l’accès aux gares. Elle relève, dans sa décision, que l’article L. 1263-2 distingue, au paragraphe I, un 1° relatif à l’accès au réseau ferroviaire, et un 2° relatif à l’accès aux installations de service, « y compris la fourniture et la mise en œuvre de la tarification », ce qui résulte d’une évolution introduite par la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire (et qui était, donc, déjà en vigueur lorsque l’ART s’était prononcée différemment en 2017). Elle en déduit que « le législateur a entendu soustraire du champ matériel de la compétence de l’Autorité, quand elle est saisie sur le fondement du paragraphe I de l’article L. 1263-2 du code des transports, les différends portant sur la fixation des redevances relatives à l’accès aux gares de voyageurs et aux prestations régulées qui y sont fournies ».
En l’espèce, l’objet du différend portait sur la modification des principes sur lesquels repose la construction tarifaire du document de référence des gares, qui avaient été validés par l’ART dans des avis conformes rendus depuis l’horaire de service 2016, et qu’elle ne pouvait donc que se déclarer incompétente pour en connaître.
Si l’on peut comprendre la gêne du régulateur, notamment en termes d’impartialité, à connaître de différends portant sur la validité de mesures tarifaires qu’il a lui-même validées, la motivation fondée sur l’évolution de la rédaction du texte peine à emporter totalement la conviction.
Plus fondamentalement, l’article 56 de la directive 2012/34/UE (en conformité avec lequel doivent être interprétées les dispositions de droit interne) dispose qu’un candidat peut saisir l’organisme de contrôle dès lors qu’il estime être victime d’un traitement inéquitable, d’une discrimination ou tout autre préjudice, d’un recours contre les décisions prises par le gestionnaire de l’infrastructure ou l’exploitant d’une installation de service en ce qui concerne, notamment, le système de tarification ou le niveau ou la structure des redevances d’utilisation de l’infrastructure. L’on peut se demander si l’interprétation retenue par l’ART n’est pas de nature à restreindre les possibilités ouvertes aux candidats par le texte européen.
24 mars 2021 - Maîtrise d’ouvrage : n’est pas coupable du délit de blessures involontaires au sens de l’article 222-20 du code pénal le maître d’ouvrage qui ne s’est pas assuré effectivement de la transmission à un sous-traitant du plan général de coordination
On le sait, plus un chantier regroupe de manière simultanée ou successive plusieurs professionnels du bâtiment, plus les risques pour la sécurité des salariés est accru. C’est pourquoi, le législateur a pris diverses mesures de préventions des risques afin de protéger les salariés, étant précisé que parmi ces mesures figure – lorsqu’il est requis – le plan général de coordination.
C’est ainsi que, aux termes de l’article L. 4532-8 du code du travail, il appartient au maître d’ouvrage de faire établir, par un coordinateur, dès la phase de conception, d’étude et d’élaboration du projet, le plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé.
Par ailleurs, le coordinateur transmet, dès la conclusion du contrat et sur demande, à chaque entrepreneur qui doit intervenir sur un chantier pour lequel l’élaboration du plan général de coordination est obligatoire, les plans particuliers de sécurité (voir en ce sens : article R. 4532-58 du code du travail).
Or, d’une part, aux termes de l’article R. 4532-11 du code du travail, le coordinateur exerce ses missions sous la responsabilité du maître d’ouvrage et, d’autre part, aux termes de l’article 220-20 du code pénal le délit de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail d’une durée inférieure ou égale à trois mois ne peut être caractérisé qu’en cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement.
C’est dans ce cadre que, dans un arrêt du 16 mars 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation a dû se prononcer sur le point de savoir si le maître d’ouvrage peut être condamné du chef de blessures involontaires à la suite d’un accident dont a été victime un salarié d’une société sous-traitante ?
Plus précisément, le maître d’ouvrage peut-il être condamné pénalement sur le fondement de l’article 222-20 du code pénal pour ne pas avoir vérifié que les règles de sécurité définies dans le plan général de coordination ont bien été transmises au sous-traitant alors même que cette transmission aurait sûrement permis d’éviter l’accident ?
Dans le cadre de l’affaire commentée, la Cour de cassation répond par la négative. En effet, dans son arrêt du 16 mars 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que la responsabilité pénale du maître d’ouvrage ne saurait être engagée dès lors que l’article R. 4532-11 du code du travail « n’édicte pas d’obligation particulière de sécurité ou de prudence à la charge » du maître d’ouvrage au sens de l’article 222-20 du code pénal.
Autrement dit, le maître d’ouvrage qui ne s’assure pas effectivement de la transmission à un sous-traitant du plan général de coordination ne saurait faire l’objet d’une condamnation pénale sur le fondement de l’article 222-20 du code pénal.
Cass. crim., 16 mars 2021, n° 20-81.316
17 mars 2021 - Précisions sur le délai de recours contre les décisions implicites relevant du plein contentieux nées avant l'entrée en vigueur du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 dit « JADE », soit au 1er janvier 2017
Le Conseil d’État a émis un avis datant du 4 mars 2021 dans le cadre duquel il revient sur le délai de recours applicable aux décisions implicites relevant du plein contentieux nées antérieurement au 1er janvier 2017.
Il y rappelle qu’avant le 1er janvier 2017, lorsqu’une personne s’était vue tacitement opposer un refus susceptible d’être contesté dans le cadre d’un recours de plein contentieux, ce recours n’était enfermé, en l’état des textes en vigueur, dans aucun délai, sauf à ce que cette décision de refus soit, sous forme expresse, régulièrement notifiée à cette personne, un délai de recours de deux mois courant alors à compter de la date de cette notification.
Il s’ensuit que, s’agissant des refus implicites nés avant le 1er janvier 2017 relevant du plein contentieux, le décret du 2 novembre 2016 dit « JADE » n’a pas fait – et n’aurait pu légalement faire – courir le délai de recours contre ces décisions à compter de la date à laquelle elles sont nées.
Toutefois, les dispositions dudit décret ont entendu permettre la suppression immédiate, pour toutes les situations qui n’étaient pas constituées au 1er janvier 2017, de l’exception à la règle de l’article R. 421-2 du CJA dont bénéficiaient les matières de plein contentieux.
Or la réglementation applicable jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2017, du décret du 2 novembre 2016 dit « JADE », ne créait pas de droit acquis à ce que tout refus tacite antérieur reste, en matière de plein contentieux, indéfiniment susceptible d’être contesté. Elle conférait seulement aux intéressés le droit à ce que le délai de recours contre un tel refus ne courre qu’à compter du moment où ce refus était explicitement et régulièrement porté à leur connaissance.
La Haute juridiction conclut ainsi qu’un délai de recours de deux mois court, par suite, à compter du 1er janvier 2017, contre toute décision implicite relevant du plein contentieux qui serait née antérieurement à cette date.
CE, avis, 4 mars 2021, n° 445956
26 mars 2021 - Le recours en annulation contre le refus d’abroger un acte présente un objet distinct du recours en annulation contre cet acte lui-même
Par une décision en date du 17 mars 2021, publiée au Recueil Lebon, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur l’existence d’une identité d’objet entre le recours en annulation contre une décision refusant d’abroger un acte réglementaire et le recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte réglementaire lui-même.
En l’espèce, le 30 janvier 2017, le requérant M. A. a formé un recours pour excès de pouvoir contre un arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé du 28 novembre 2016 relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments et édicté sur le fondement de l’article L. 5125-39 du code de la santé publique. Par une décision du Conseil d’Etat en date du 4 avril 2018, le requérant s’était vu opposer un rejet (req. n° 407292).
En dépit du rejet de sa requête par le Conseil d’Etat, M. A. a, par la suite, saisi le ministre des affaires sociales et de la santé d’une demande d’abrogation de ce même acte réglementaire. Cette demande n’ayant pas abouti, M. A. a formé un recours pour excès de pouvoir contre la décision du ministre refusant sa demande d’abrogation.
Il s’agissait donc pour le Conseil d’Etat de s’interroger sur la question de savoir si l’autorité de la chose jugée s’attachant à la décision de la Haute juridiction du 4 avril 2018 précitée faisait obstacle a ce qu’il soit statué sur le recours dirigé contre le refus d’abroger l’arrêté du 28 novembre 2016.
Dans ce contexte, le Conseil d’Etat a considéré que :
« L’objet du recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d’abroger un acte réglementaire au motif de son illégalité, dont l’effet utile réside dans l’obligation pour l’autorité compétente de procéder à l’abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l’ordre juridique, est différent de l’objet du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte réglementaire lui-même, qui vise à obtenir son annulation rétroactive ».
L’objet de ces deux recours étant différent, il est ainsi possible d’obtenir l’annulation d’un acte réglementaire ayant fait l’objet d’une décision définitive, par cette autre voie.
CE, 17 mars 2021, req. n° 440208
31 mars 2021 - Rappel du principe selon lequel les conditions d’édiction d’un acte règlementaire ne peuvent plus être contestées dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir contre le refus d’abroger un acte s’agissant d’un plan local d’urbanisme (PLU)
Dans le cadre de l’affaire commentée datée du 24 mars 2021, le Conseil d’Etat est venu rappeler le principe selon lequel une fois le délai de recours contentieux dépassé, les conditions d’édiction d’un acte règlementaire tels que les vices de forme et de procédure ne peuvent plus être contestées dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir contre le refus d’abroger cet acte :
« dans le cadre de la contestation d’un acte réglementaire intervenant après l’expiration du délai de recours contentieux contre cet acte, par la voie de l’exception ou sous la forme d’un recours pour excès de pouvoir contre le refus de l’abroger, la légalité des règles qu’il fixe, la compétence de son auteur et l’existence d’un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n’en va pas de même des conditions d’édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte réglementaire lui-même et introduit avant l’expiration du délai de recours contentieux ».
Il avait déjà eu l’occasion de l’affirmer dans le cadre de plusieurs décisions récentes (CE, 18 mai 2018, CFDT Finances, req. n° 414583 et CE, 24 février 2020, Société La Grand’Maison, req. n° 431255).
Cette décision est intéressante car elle fait application de ce principe dans le cadre d’un recours contre le refus d’abroger un plan local d’urbanisme (PLU) après l’expiration du délai de recours contentieux contre cet acte.
La Haute juridiction y écarte ainsi sur ce fondement, les moyens de légalité externe invoqués par le requérant au soutien de son recours.
L’on relèvera enfin qu’elle y précise que l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme, qui dispose que « l’illégalité pour vice de forme ou de procédure d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’une carte communale ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu ne peut être invoquée par voie d’exception, après l’expiration d’un délai de six mois à compter de la prise d’effet du document en cause » s’appliquent aux moyens soulevés par voie d’exception et non aux moyens dirigés contre un refus d’abrogation d’un plan local d’urbanisme.