N°4 – Juillet 2019

LA LETTRE DU CABINET

N°4 – Juillet 2019

Droit administratif général

8 juillet 2019 - Lorsque le comportement de l’Administration a pour effet d’induire en erreur le requérant sur les conditions d’exercice de son droit au recours contre la décision de refus qui lui a été opposée, le recours formé ultérieurement par le requérant ne peut être déclaré irrecevable

Un agent contractuel de l’Etat, qui avait été placé en congé sans rémunération pour convenances personnelles, a demandé sa réintégration au Ministère de l’Intérieur. Ce dernier a refusé sa demande, tout en maintenant sa position de congé sans rémunération.

Le Tribunal administratif de Paris a rejeté comme tardif le recours formé par l’agent aux fins d’annulation de la décision prise par le Ministre de l’Intérieur. Saisie du litige, la Cour administrative d’appel de Paris a confirmé le jugement.

Après avoir énuméré les dispositions du 5° de l’article L.231-4 du code des relations entre le public et l’administration, puis celles du premier alinéa de l’article R.421-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat rappelle le principe selon lequel un requérant n’est recevable à contester une décision expresse confirmative d’une décision de rejet devenue définitive que dans l’hypothèse où cette décision n’est pas devenue définitive, ce qui est le cas par exemple lorsque l’administration a adopté un comportement qui a pu induire en erreur le requérant sur les conditions d’exercice de son droit au recours :

« 3. Il résulte des dispositions qui viennent d’être rappelées qu’un requérant n’est pas recevable à contester une décision expresse confirmative d’une décision de rejet devenue définitive. Il en va différemment si la décision de rejet n’est pas devenue définitive, le requérant étant alors recevable à en demander l’annulation dès lors qu’il saisit le juge dans le délai de recours contre la décision expresse confirmant ce rejet. Il en va ainsi lorsque, par son comportement, l’administration a induit en erreur le requérant sur les conditions d’exercice de son droit au recours contre le refus qui lui a été initialement opposé ».

Or, en l’espèce, la Haute juridiction relève qu’avant l’expiration du délai de recours contre la décision implicite de rejet, le ministère de l’Intérieur avait indiqué à l’agent que l’instruction de son dossier était en cours, qu’il serait convoqué à un entretien postérieurement, et que dans cet optique il lui incombait de fournir des pièces complémentaires. Ainsi, le Conseil d’Etat conclut qu’en jugeant inopérante la circonstance que le comportement de l’Administration avait pu induire en erreur le requérant, la Cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit.

Le Conseil d’Etat annule donc l’arrêt et renvoie l’affaire devant la Cour administrative d’appel de Paris.

CE, 17 juin 2019, M. B., req. n° 413797

 

 

15 juillet 2019 - Le gestionnaire du domaine public est fondé à réclamer à l'occupant qui utilise de manière irrégulière ledit domaine, une indemnité compensant les revenus qu'il aurait pu percevoir d'un occupant régulier pendant cette période

Aux termes d’un arrêt en date du 1er juillet 2019, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la redevance qu’est fondé à réclamer le gestionnaire du domaine public à l’occupant irrégulier dudit domaine.

Après avoir rappelé les termes des dispositions des articles L.2125-1 et L.2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques, le Conseil d’Etat précise que « le gestionnaire du domaine public est fondé à réclamer à l’occupant qui utilise de manière irrégulière le domaine une indemnité compensant les revenus qu’il aurait pu percevoir d’un occupant régulier pendant cette période ».

Et la Haute juridiction d’ajouter qu’ « à cette fin, il doit rechercher le montant des redevances qui auraient été appliquées si l’occupant avait été placé dans une situation régulière, soit par référence à un tarif existant, lequel doit tenir compte des avantages de toute nature procurés par l’occupation du domaine public, soit, à défaut de tarif applicable, par référence au revenu, tenant compte des mêmes avantages, qu’aurait pu produire l’occupation régulière de la partie concernée du domaine public ».

Le Conseil d’Etat insiste enfin sur le fait que l’irrégularité de l’occupation « soit du fait qu’elle serait interdite, soit du fait que l’utilisation constatée de celui-ci contreviendrait aux termes de l’autorisation délivrée, n’empêche pas le gestionnaire du domaine de fixer le montant de l’indemnité due par l’occupant irrégulier par référence au montant de la redevance exigible, selon le cas, pour un emplacement similaire ou pour une utilisation procurant des avantages similaires ».

Dans cette affaire, la Ville de Paris s’était référée, pour établir le montant de la redevance due au titre des droits de voirie additionnels relatifs à l’utilisation irrégulière de dispositifs de chauffage et d’écrans parallèles sur la contre-terrasse installée par la société Café George V, aux tarifs applicables, en la matière, aux terrasses ouvertes.

La Cour administrative d’appel de Paris avait estimé que la Ville n’avait pas pu se référer aux tarifs applicables aux terrasses ouvertes, dès lors que les contre-terrasses n’auraient été autorisées, contrairement aux terrasses, que pour une période limitée au cours de l’année civile.

Le Conseil d’Etat censure pour erreur de droit le raisonnement de la Cour administrative d’appel en relevant que l’arrêté du 6 mai 2011 du maire de Paris portant règlement des étalages et des terrasses installés sur la voie publique ne prévoyait pas que les contre-terrasses ne pourraient être autorisées que pendant une partie seulement de l’année.

Le Conseil d’Etat relève encore l’existence d’une seconde erreur de droit commise par la Cour administrative d’appel de Paris, qui a déchargé la société ayant irrégulièrement occupé le domaine public de l’obligation de payer, « sans chercher à déterminer par référence à une utilisation du domaine procurant des avantages similaires, le cas échéant en faisant usage de ses pouvoirs d’instruction, le montant de droits additionnels permettant de tenir compte des avantages de toute nature procurés par l’utilisation irrégulière du domaine public ».

CE, 1er juillet 2019, Ville de Paris., req. n° 421403

19 juillet 2019 - La commune ne dispose pas de la compétence pour s’opposer à l’installation des compteurs « Linky » sur son territoire

Entre les mois de juin et juillet 2016, la commune de Cast a adopté deux délibérations et pris une décision aux termes desquelles elle a d’abord demandé un moratoire au déploiement des compteurs « Linky » sur son territoire, puis a refusé le déploiement de ces compteurs sur le territoire de la commune, et enfin a rejeté le recours gracieux intenté par la société Enedis.

Saisi par une requête formée par la société Enedis, le Tribunal administratif de Rennes a annulé les délibérations et décision contestées. La Cour administrative d’appel de Nantes ayant confirmé ce jugement, la commune de Cast a décidé de se pourvoir en cassation.

Par un arrêt qui sera mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a rejeté la demande de la Commune de Cast.

En effet, après avoir confirmé l’intérêt suffisant à agir de la société Enedis en ce que les délibérations et décision querellées présentaient le caractère d’actes faisant grief, la Haute juridiction s’est prononcée sur la propriété des compteurs électriques « Linky ».

A cet égard, cette dernière a considéré, en application des dispositions prévues par les articles L.1321-1, L.1321-4 et L.2224-31 du code général des collectivités territoriales ainsi que par celles de l’article L.322-4 du code de l’énergie que « la propriété des ouvrages des réseaux publics de distribution d’électricité est attachée à la qualité d’autorité organisatrice de ces réseaux ». Ainsi, lorsqu’une commune transfère sa compétence en matière d’organisation de la distribution d’électricité à un établissement public de coopération, celui-ci devient autorité organisatrice sur le territoire de la commune, et in fine propriétaire des ouvrages des réseaux en cause, y compris des installations de comptage.

Or, relevant que la commune de Cast était membre du syndicat départemental d’électricité du Finistère et que ce dernier avait la qualité d’autorité organisatrice des réseaux publics de distribution d’électricité, le Conseil d’Etat a jugé que la Cour administrative d’appel de Nantes n’avait commis aucune erreur de droit en considérant que le syndicat était donc propriétaire des compteurs électriques. Dès lors, la commune était incompétente pour s’opposer ou imposer des conditions au déploiement des compteurs « Linky ».

Néanmoins, et ainsi qu’il le sera exposé ci-après, l’intérêt de cet arrêt réside surtout dans le fait que le Conseil d’Etat a jugé que ni les pouvoirs de police du maire, ni le principe de précaution ne permettaient valablement à la commune de Cast de s’opposer à l’installation des compteurs « Linky ».

D’une part, s’agissant du rejet de la justification fondée sur les pouvoirs de police du maire, le Conseil d’Etat a indiqué, après par un long raisonnement consacré premièrement aux missions et prérogatives incombant aux gestionnaires de réseau de distribution d’électricité, et deuxièmement à celles incombant aux autorités de l’Etat en la matière, que « les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait adopter sur le territoire de la commune des décisions portant sur l’installation de compteurs électriques communicants qui seraient destinées à protéger les habitants contre les effets des ondes émises ».

D’autre part, s’agissant du rejet de la justification fondée sur le principe de précaution, la Haute juridiction a précisé, aux termes de l’article 5 de la Charte de l’environnement, que ce principe « ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder son champ de compétence et d’intervenir en dehors de ses domaines d’attributions ». Dans ces conditions, le principe de précaution ne saurait légitimer les délibérations et décision prises par la commune de Cast, au motif qu’elles viseraient à protéger ses habitants contre les effets des ondes électromagnétiques émises par les compteurs « Linky ».

Enfin, les circonstances alléguées par la commune de Cast résultant d’erreurs de branchement et d’incursions sans autorisations d’agents de la société Enedis sur des propriétés privées clôturées ne suffisent pas, à elles seules, à caractériser l’existence d’un trouble à l’ordre public ou d’un risque pour la sécurité justifiant la suspension de l’installation des compteurs « Linky » sur le territoire de la commune.

CE, 11 juillet 2019, Commune de Cast, req. n° 426060

Droit de la commande publique

1 juillet 2019 - En cas de divulgation d’informations relatives à l’offre déposée par un candidat à l’attribution d’une délégation de service public, la personne publique doit apprécier si une telle divulgation est susceptible de porter atteinte au principe d’égalité entre les candidats

La collectivité de Corse a lancé une procédure de passation pour l’attribution de conventions de délégation de service public de transport maritime de marchandises et de passagers entre la Corse et le continent pour une durée de quinze mois.

Ayant vu sa candidature validée par la commission de délégation de service public, la société La Méridionale a déposé des offres pour les lots n° 1 et 4.

Après avoir demandé des compléments d’informations sur les offres de la société La Méridionale, le président du conseil exécutif de la collectivité de Corse a décidé de ne pas admettre la participation de cette société aux négociations pour les lots n° 1 et 4.

Sur le fondement des dispositions prévues par l’article L.551-1 du code de justice administrative, la société évincée a demandé au juge administratif, premièrement, l’annulation des deux décisions prises par le président du conseil exécutif de la collectivité de Corse, deuxièmement, que ses offres soient déclarées recevables, et troisièmement à ce qu’il soit enjoint à la collectivité de Corse de l’admettre à participer à la négociation pour ces deux lots.

A la faveur d’une ordonnance datée du 19 mars 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande, de sorte que la société La Méridionale s’est pourvue en cassation.

Par un arrêt du 24 juin 2019, le Conseil d’Etat a, à son tour, refusé de faire droit aux prétentions de la société requérante.

Pour parvenir à une telle décision, la Haute juridiction a d’abord considéré, après avoir rappelé les dispositions prévues par l’article 25 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concessions, que les offres de la société demanderesse étaient inappropriées, dans la mesure où celle-ci avait substitué les bateaux proposés dans ses offres initiales par d’autres navires, et ce après la date limite du dépôt des offres.

Ensuite, si la société La Méridionale soutenait que le pouvoir adjudicateur avait méconnu les dispositions de l’article 23 du même décret en ne l’informant pas des demandes qu’il avait adressées à une société concurrente, le Conseil d’Etat juge – aux prix d’une première substitution de motif – que l’obligation édictée par cet article ne s’applique qu’à la phase d’examen des candidatures. Or, le manquement au principe de transparence s’étant produit au stade de l’examen des offres n’était pas de nature à avoir lésée la société La Méridionale.

Enfin et surtout, la requérante faisait valoir que le principe de confidentialité des offres n’avait pas été respecté, puisque des informations relatives à son offre avaient été divulguées dans la presse.

A l’appui d’un nouveau considérant de principe, la Haute juridiction précise qu’il incombe au pouvoir adjudicateur, dans l’hypothèse où des informations relatives à l’offre d’un candidat auraient été divulguées, d’apprécier si une telle divulgation est de nature à porter atteinte au principe d’égalité entre les candidats :

« 7. En quatrième lieu, les délégations de service public sont soumises aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique. Pour assurer le respect de ces principes, la personne publique informée, avant la signature d’un contrat, de l’existence d’une irrégularité de procédure affectant le choix du concessionnaire doit s’abstenir de signer le contrat litigieux, alors même qu’elle ne serait pas responsable de cette irrégularité. Ainsi, lorsqu’est constatée, au cours de la procédure de passation, qu’ont été divulguées des informations relatives à l’offre déposée par un candidat à l’attribution du contrat, il appartient à la personne publique d’apprécier si cette divulgation peut être regardée comme étant de nature à porter atteinte au principe d’égalité entre les candidats. La seule circonstance qu’une telle divulgation ne soit pas imputable à la personne publique responsable de la procédure de passation ne la dispense pas de cette obligation ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat retient que le juge des référés du Tribunal administratif de Bastia a commis une erreur de droit en considérant que la personne publique n’était pas à l’origine de la divulgation d’informations relatives aux offres de la société La Méridonale. Mais, une nouvelle fois, la Haute juridiction opère une substitution de motif en retenant que la société La Méridionale n’avait pu être lésée par cette divulgation, dès lors que ses offres avaient été éliminées.

CE, 24 juin 2019, Société La Méridionale, req. n° 429407

3 juillet 2019 - Le pouvoir adjudicateur peut valablement justifier l’exclusion d’un candidat par le comportement adopté par ce dernier lors de précédentes procédures de passation

Après avoir présenté une offre pour deux lots d’une procédure de passation d’un marché public de travaux initiée par le département des Bouches-du-Rhône, la société EGBTI a été informée par le pouvoir adjudicateur qu’elle était susceptible d’être exclue du marché, pour la raison que son dirigeant de fait avait tenté d’influer indûment le processus décisionnel d’attribution de plusieurs marchés publics passés les années précédentes par le département, ce qui avait d’ailleurs conduit à l’ouverture d’une information judiciaire dans laquelle le département s’était constitué partie civile.

Or, n’ayant pas réussi à prouver au département qu’elle aurait pris des mesures correctives assurant son professionnalisme et sa fiabilité, la société EGBTI a été exclue par le pouvoir adjudicateur dudit marché.

La société EGBTI a donc saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Marseille, sur le fondement de l’article L.551-1 du code de justice administrative, d’une demande tendant à l’annulation de la décision d’exclusion d’une part, et de la procédure de passation du marché litigieux d’autre part.

Le juge des référés du Tribunal administratif de Marseille a fait droit à ses prétentions en retenant que l’exclusion de la société ne pouvait survenir en raison d’agissements constatés à l’occasion de précédentes procédures de passation.

Cependant, constatant qu’une erreur de droit avait été commise, le Conseil d’Etat censure cette ordonnance.

En effet, après avoir rappelé les dispositions de l’article 48 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, le Haute juridiction précise que « ces dispositions permettent aux acheteurs d’exclure de la procédure de passation d’un marché public une personne qui peut être regardée, au vu d’éléments précis et circonstanciés, comme ayant, dans le cadre de la procédure de passation en cause ou dans le cadre d’autres procédures récentes de la commande publique, entrepris d’influencer la prise de décision de l’acheteur et qui n’a pas établi, en réponse à la demande que l’acheteur lui a adressée à cette fin, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être mis en cause et que sa participation à la procédure n’est pas de nature à porter atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats ».

Ainsi, au cas présent, le Conseil d’Etat retient qu’en raison des différents éléments relevés à charge contre la société EGBTI à l’occasion de précédentes procédures de passation, le département pouvait valablement avoir des raisons de mettre en doute la probité de cette entreprise et de craindre pour la régularité de la procédure de passation du marché litigieux. Or, la société ayant non seulement réfuté les faits avancés par le département, mais de surcroît n’ayant pas produit d’éléments pour justifier de son professionnalisme et de sa fiabilité, le département était fondé à l’exclure de la procédure de passation.

CE, 24 juin 2019, Département des Bouches-du-Rhône, n° 428866

5 juillet 2019 - La loi « PACTE » met un terme à la pratique des travaux supplémentaires ou modificatifs non valorisés dans les marchés de travaux publics

Promulguée le 22 mai 2019, la loi n° 2019-486 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi « PACTE » a, via son article 195, complété le code de la commande publique en l’agrémentant de l’article L.2194-3, lequel prévoit ce qui suit :

« Les prestations supplémentaires ou modificatives demandées par l’acheteur au titulaire d’un marché public de travaux qui sont nécessaires au bon achèvement de l’ouvrage et ont une incidence financière sur le marché public font l’objet d’une contrepartie permettant une juste rémunération du titulaire du contrat ».

Par cette nouvelle disposition, il est désormais interdit à l’acheteur public de notifier au titulaire d’un marché public de travaux des ordres de service contenant des travaux supplémentaires ou modificatifs nécessaires au bon achèvement de l’ouvrage public sans aucune contrepartie dès lors qu’ils ont une incidence financière.

En conséquence, les travaux supplémentaires ou modificatifs donneront systématiquement lieu à une compensation financière dès lors qu’ils ont une incidence financière sur le marché public.

Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises 

 

10 juillet 2019 - La mise en œuvre d’une méthode de notation différente de celle qui avait été annoncée dans les documents de la consultation n’entraîne pas l’annulation du marché

La Communauté d’agglomération de la Riviera française a lancé une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de la conclusion d’un marché de fourniture et de services divisé en six lots portant sur la fourniture, la maintenance et le lavage des moyens de pré collecte des déchets ménagers.

Par déféré, le préfet des Alpes-Maritimes a sollicité du Tribunal administratif de Nice l’annulation des marchés correspondant aux lots n° 1, 2, 3, 4 et 6, lequel n’a pas fait droit à ses demandes. Néanmoins, sur appel du préfet, la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement, ainsi que le marché correspondant au lot n° 3.

La société Plastic Omnium Systèmes Urbains, attributaire de ce lot, s’est pourvue en cassation.

Le Conseil d’Etat rappelle le principe selon lequel « il appartient au juge du contrat, lorsqu’il est saisi par le représentant de l’Etat d’un déféré contestant la validité d’un contrat, d’apprécier l’importance et les conséquences des vices entachant la validité du contrat. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci ».

Ainsi, le juge du contrat n’est fondé à prononcer l’annulation du marché, le cas échéant après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, que dans l’hypothèse où le contrat a un contenu illicite ou se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité devant être relevé d’office.

Or, relevant que le marché a été annulé au motif que la personne publique avait mis en œuvre une méthode de notation différente de celle qui avait été annoncée dans les documents de la consultation, et que cette irrégularité ne pouvait être regardée comme un vice de consentement, le Conseil d’Etat considère que les juges d’appel ont commis une erreur de droit.

L’arrêt rendue par la Cour administrative d’appel est donc annulé.

CE, 28 juin 2019, Société Plastic omnium systèmes urbains, req. n° 420776

17 juillet 2019 - Le recours en contestation de la validité du contrat peut être exercé par les parties pendant toute la durée d’exécution de celui-ci

Pour rappel, en 2009, dans sa décision communément appelée « Commune de Béziers I », l’Assemblée du Conseil d’Etat avait redéfini l’office du juge du contrat saisi par l’une des parties d’un recours en contestation de la validité de ce dernier (CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, req. n° 304802).

Le 1er juillet 2019, à la faveur d’un arrêt qui sera publié au recueil Lebon, la Section du Conseil d’Etat a approfondi la jurisprudence « Commune de Béziers I », en précisant que le recours en contestation de la validité du contrat peut être exercé par les parties pendant toute la durée d’exécution du contrat.

En l’espèce, le 31 décembre 1998, l’Association pour le musée des Iles de Saint-Pierre-et-Miquelon avait conclu avec le conseil général de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon une convention prévoyant d’une part le transfert à cette dernière de la propriété de l’ensemble des œuvres d’art et objets constituant sa collection, en vue de son affectation au musée de l’Arche, et, d’autre part, les modalités de participation de l’Association à la mission de service public dudit musée.

Postérieurement, l’Association a sollicité du juge administratif l’annulation de cette convention. Cependant, ni le Tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon, ni la Cour administrative d’appel de Bordeaux n’ont fait droit à sa demande.

L’Association ayant formé un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat a d’abord renvoyé l’affaire au Tribunal des conflits, lequel a désigné le juge administratif compétent, au motif que la convention conclue entre l’Association et la collectivité territoriale avait le caractère d’un contrat public.

Procédant donc à l’examen du litige, la Haute juridiction commence par rappeler le considérant de sa jurisprudence « Commune de Béziers I », tout en précisant que l’action en contestation de la validité du contrat peut être exercée par les parties pendant toute la durée d’exécution de celui-ci :

« Les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d’un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie. Il appartient alors au juge, lorsqu’il constate l’existence d’irrégularités, d’en apprécier l’importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu’elles peuvent, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise et en tenant compte de l’objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d’une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation. Cette action est ouverte aux parties au contrat pendant toute la durée d’exécution de celui-ci ».

Or, relevant que faisant application de la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du code civil, la Cour administrative d’appel avait rejeté la demande de l’Association en ce qu’elle aurait été prescrite, la Haute juridiction considère que les juges d’appel ont commis une erreur de droit.

Réglant donc l’affaire au fond en vertu des dispositions prévues par l’article L.821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat juge qu’aucune règle de prescription n’est opposable dans la mesure où l’action a été introduite par l’Association lors de la période d’exécution de la convention :

« Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 qu’aucune règle de prescription n’est opposable à l’action en contestation de validité de la convention du 31 décembre 1998 de l’association requérante qui a été exercée pendant la durée d’exécution de ce contrat. Il s’ensuit que l’association est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté sa demande au motif qu’elle était prescrite par application de la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du code civil ».

CE, Section, 1er juillet 2019, Association pour le musée des Iles Saint-Pierre-et-Miquelon, req. n° 412243

 

 

22 juillet 2019 - L’entrepreneur qui transmet au maître d’œuvre un document intitulé « projet de décompte final » ne peut par la suite prétendre que le document ainsi transmis ne constituerait qu’un simple état d’acompte mensuel pour faire échec à l’établissement du décompte général

Les juridictions administratives sont régulièrement amenées à se prononcer sur les procédures d’établissement de décomptes généraux, et à apprécier la nature et la teneur des documents échangés dans le cadre de ces procédures.

Amenée à statuer sur une telle problématique, la Cour administrative d’appel de Paris a écarté l’argumentation de l’entrepreneur qui prétendait avoir adressé au maître d’œuvre un simple état d’acompte mensuel, et non un projet de décompte final.

La Cour administrative d’appel de Paris écarte une telle argumentation au vu des éléments transmis par l’entrepreneur au maître d’œuvre.

Avant d’en venir à l’examen du document initialement transmis par l’entrepreneur, la Cour administrative d’appel de Paris rappelle la procédure d’établissement du décompte résultant tant des pièces générales que des pièces particulières du marché :

« Il ressort des dispositions des articles 11.3 et 11.4 du cahier des clauses et conditions générales applicables au marché, qu’il appartient à l’entrepreneur, après l’achèvement des travaux, de dresser un projet de décompte final établissant le montant total des sommes auxquelles il peut prétendre et que ce projet doit être remis au maître d’oeuvre dans un délai que le cahier des clauses administratives particulières de ce marché a fixé à soixante jours, à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux. Il ressort de l’article 13-4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux et applicable à ce marché en vertu de l’article 3-02 du cahier des clauses administratives particulières, qu’il appartient ensuite au maître d’oeuvre, faute pour l’entrepreneur de se conformer au délai fixé, et après mise en demeure restée sans effet, d’établir le décompte final. Enfin, il revient au maître de l’ouvrage d’établir à partir de ce décompte final et des autres documents financiers du marché, un décompte général et de le notifier à l’entrepreneur. Ce dernier dispose d’un délai fixé, selon le cas, à trente ou à quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte général par le maître de l’ouvrage pour faire valoir, dans un mémoire de réclamation remis au maître d’oeuvre, ses éventuelles réserves, le règlement du différend intervenant alors selon les modalités précisées à l’article 50. En outre, il ressort de l’article 50.3 du cahier des clauses administratives générales que si, dans le délai de trois mois à partir de la date de réception, aucune décision n’a été notifiée à l’entrepreneur, celui-ci peut saisir le tribunal administratif compétent ».

Dans l’affaire en cause, la société Aqua avait adressé au maître d’œuvre un document intitulé « projet de décompte final ». A l’issue de la procédure d’établissement du décompte, le maître d’ouvrage avait alors adressé à cette société un décompte général, sans que cette dernière ne conteste ce décompte dans le délai de 45 jours qui lui était imparti pour ce faire.

 

La société Aqua avait alors saisi le tribunal administratif de la Martinique aux fins d’obtenir la condamnation du maître d’ouvrage à lui verser les sommes qu’elle estimait lui être dues en vertu de son marché.

Le tribunal administratif de la Martinique ayant rejeté sa requête, la société Aqua a alors saisi la Cour administrative d’appel de Paris.

La société requérante soutenait devant la Cour que le courrier qu’elle avait adressé au maître d’œuvre le 18 octobre 2010 ne constituait pas un projet de décompte final mais un simple état d’acompte mensuel. Elle faisait ainsi valoir que la procédure d’établissement du décompte n’avait pu être enclenchée.

Après avoir relevé que le document ainsi transmis comportait « expressément la mention  » projet de décompte final «  », avait « été transmis sous cette appellation », et exposait « la  » situation cumulée  » et le total du prix des travaux duquel la société a déduit les avances reçues », la Cour administrative d’appel de Paris considère qu’un tel document « qui mettait ainsi le maître d’ouvrage à même d’établir le décompte général, doit être analysé comme un projet de décompte final au sens des stipulations citées au point 2 du cahier des clauses administratives générales ».

Et la Cour de relever qu’il appartenait en conséquence à la société Aqua de transmettre au maître d’œuvre un mémoire en réclamation dans le délai de 45 jours dont elle disposait à compter de la réception du décompte général.

La société Aqua n’ayant pas adressé son mémoire en réclamation dans les délais impartis, elle n’était plus recevable à saisir le juge d’une contestation relative au décompte général qui avait acquis un caractère définitif.

CAA Paris, 5 juillet 2019, Société Aqua TP, req. n° 17PA20563

 

Droit de l'urbanisme et de l'aménagement

12 juillet 2019 - Le service instructeur peut valablement refuser d’accorder un permis de construire lorsque le projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique

Le maire de la commune de Tanneron a refusé de délivrer un permis de construire une maison d’habitation et une piscine, en se fondant sur les risques élevés d’incendie de forêt dans le secteur concerné, lesquels ont conduit le service d’incendie et de secours à rendre un avis défavorable au projet porté par le pétitionnaire.

Ce dernier a saisi le Tribunal administratif de Toulon d’un recours tendant à l’annulation de l’arrêté pris par le maire. Tant les juges de première instance que ceux d’appel ont rejeté la demande du pétitionnaire.

Saisi du litige, le Conseil d’Etat a précisé, sur le fondement des dispositions prévues par l’article R.111-2 du code de l’urbanisme, qu’un permis de construire ne peut être refusé que s’il n’est pas possible de l’assortir de prescriptions spéciales :

« En vertu de ces dispositions, lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu’il n’est pas légalement possible, au vu du dossier et de l’instruction de la demande de permis, d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modification substantielle nécessitant la présentation d’une nouvelle demande, permettraient d’assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect ».

Or, relevant non seulement que la situation du projet de construction – lequel était situé au bord d’un plateau dominant un très important massif forestier – l’exposait à des risques, mais également le fait que pour assurer sa défense en cas de sinistre, ni l’existence d’une bouche d’incendie à 80 mètres du projet, ni la réalisation de l’aire de manœuvre prévue dans le dossier de demande, ni même la réalisation complémentaire d’autres équipements envisagés dont se prévalait le requérant n’était suffisant. Ainsi, la Haute juridiction conclut que la Cour administrative d’appel a souverainement apprécié les faits de l’espèce sans les dénaturer et n’a commis aucune erreur de droit.

CE, 26 juin 2019, M. A, req. n° 412429

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000038691269&fastReqId=915413742&fastPos=1

 

 

 

24 juillet 2019 - L’édification en zone agricole d’une serre de production maraîchère dont la toiture est équipée de panneaux photovoltaïques est autorisée en zone agricole

Par arrêtés des 11 juillet 2013 et 30 octobre 2014, le Maire de Montauban a délivré à un exploitant agricole un permis de construire et un permis de construire modificatif en vue de la construction en zone agricole d’une serre de production maraîchère d’une surface de près de 2 hectares, et dont la toiture est en partie équipée de panneaux photovoltaïques.

Le Tribunal administratif de Toulouse a annulé ces arrêtés, étant indiqué que la Cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par l’exploitant agricole. Ce dernier s’est donc pourvu en cassation.

Après avoir rappelé les dispositions prévues par l’article R.123-7 du code de l’urbanisme, puis celles édictées par l’article A2 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Montauban, le Conseil d’Etat précise que l’implantation en zone agricole de constructions à usage agricole n’est pas incompatible avec d’autres activités, telles que la production d’électricité, dès lors que ces autres activités n’ont pas pour effet de remettre en cause la destination agricole de ces constructions :

« La circonstance que des constructions et installations à usage agricole puissent aussi servir à d’autres activités, notamment de production d’énergie, n’est pas de nature à leur retirer le caractère de constructions ou installations nécessaires à l’exploitation agricole au sens des dispositions précédemment citées, dès lors que ces autres activités ne remettent pas en cause la destination agricole avérée des constructions et installations en cause ».

Or, en se fondant sur les dimensions de la serre et sur la circonstance qu’une partie de sa toiture serait recouverte de panneaux photovoltaïques destinés à produire de l’électricité, la Cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que cette construction ne pouvait être regardée comme nécessaire à l’activité agricole, alors qu’elle permettra au contraire le développement de l’exploitation agricole du requérant, tout en améliorant sa production maraîchère selon le modèle de production qu’il avait choisi.

Le Conseil d’Etat fait donc droit à la demande de l’exploitant agricole et annule l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Bordeaux.

CE, 12 juillet 2019, M. D., req. n° 422542

 

 

 

29 juillet 2019 - Ayant uniquement pour effet d’instituer des règles de procédure relatives au pouvoir du juge administratif et n’étant aucunement contraire aux droits des requérants, la rédaction des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme issue de la loi ELAN n’est pas contraire à la Constitution

Bien que les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, imposant au juge de surseoir à statuer sur certaines autorisations d’urbanisme jusqu’à ce qu’intervienne une régularisation, soient d’application immédiate aux instances en cours dès leur entrée en vigueur, celles-ci ont uniquement pour effet d’instituer des règles de procédure portant exclusivement sur les pouvoirs du juge administratif, sans affecter la substance du droit au recours, ni porter atteinte à aucun des droits des requérants. Dès lors, l’article L. 600-5-1 n’est pas contraire au principe d’égalité devant la loi, aux droits de la défense et au droit à un procès équitable garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

A l’appui de sa demande tendant à l’annulation des permis de construire et d’aménager un complexe sportif sur un terrain situé 84 rue Gutenberg délivrés par le maire de Palaiseau à la société civile immobilière INRAA, ainsi que du certificat d’autorisation tacite se rapportant à cette opération de construction, le syndicat des copropriétaires de l’ensemble immobilier sis 86 à 94 rue Gutenberg a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité.

Par jugement avant dire droit, le Tribunal administratif de Versailles a décidé de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018.

En l’occurrence, l’article 80 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « loi ELAN » a modifié la rédaction de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, lequel dispose désormais ce qui suit :

« Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ».

Or, le Conseil d’Etat considère que si ces dispositions imposent au juge administratif de « surseoir à statuer sur les conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable dont il est saisi, en vue de permettre la régularisation en cours d’instance d’un vice qui entache la décision litigieuse et entraîne son illégalité, c’est à la condition que, à la date à laquelle il se prononce, une autorisation d’urbanisme puisse légalement intervenir pour régulariser le projet, compte tenu de ses caractéristiques, de l’avancement des travaux et des règles d’urbanisme applicables, dans les mêmes conditions que si l’autorisation d’urbanisme initiale avait été annulée pour excès de pouvoir ». Par ailleurs, en vertu de ces dispositions, il appartient au juge administratif – avant de sursoir à statuer – d’inviter les parties au litige à présenter leurs observations sur cette mesure.

Ainsi, bien que ces dispositions soient d’application immédiate aux instances en cours dès leur entrée en vigueur, celles-ci ont uniquement pour effet d’instituer des règles de procédure portant exclusivement sur les pouvoirs du juge administratif, sans affecter la substance du droit au recours, ni porter atteinte à aucun des droits des requérants. Dès lors, l’article L. 600-5-1 n’est pas contraire au principe d’égalité devant la loi, aux droits de la défense et au droit à un procès équitable garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Au surplus, ces dispositions ne sauraient affecter le droit des requérants de contester une autorisation d’urbanisme devant le juge de l’excès de pouvoir pour obtenir qu’une telle décision soit conforme aux lois et règlements applicables. Partant, aucune méconnaissance au droit à un recours juridictionnel effectif et au droit de propriété, garantis par les articles 16 ainsi que 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne saurait être constituée.

Et la seule circonstance que le recours du requérant soit finalement rejeté en raison de la régularisation dont il est à l’origine ne devrait pas nécessairement conduire le juge à le regarder comme étant la partie perdante dans l’instance au sens des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

En conséquence, en ce que la question n’est pas nouvelle et ne présente aucun caractère sérieux, le Conseil d’Etat conclut qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

CE, 24 juillet 2019, Syndicat des copropriétaires de l’ensemble immobilier sis 86 à 94 rue Gutenberg, req. n° 430473

Droit des transports publics

17 juillet 2019 - Tarification des redevances d’accès aux quais à voyageurs : une décision de la CJUE remet en cause les dispositions en vigueur en droit français et ouvre la voie à des régularisations au bénéfice des autorités organisatrices et des exploitants

Par un arrêt attendu rendu le 10 juillet 2019 (WESTBahn Management GmbH c/ ÖBB-Infrastrucktur AG, aff. C-210/18), la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les quais à voyageurs appartiennent à l’infrastructure ferroviaire, comprise dans les prestations dites « minimales », et non à la catégorie des gares de voyageurs et à leurs bâtiments et infrastructures.

Cette décision emporte des conséquences lourdes en matière de tarification dans la mesure où, en vertu de l’article 31 de la directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen, les redevances d’utilisation de l’infrastructure ferroviaire pour l’ensemble des prestations minimales sont limitées au coût directement imputable à l’exploitation ; alors que les redevances imposée pour l’accès aux installations de services peuvent inclure, outre le coût de la prestation des services, une majoration permettant à l’exploitant de réaliser un bénéfice raisonnable.

Or, en droit interne, les quais à voyageurs sont intégrés à la catégorie des installations de services aux termes de l’article 1er du décret n° 2012-70 du 20 janvier 2012 relatif aux installations de service du réseau ferroviaire, l’article 3 du même texte précisant que les prestations régulées fournies dans ces installations donnent lieu à la perception de redevances dont le tarif « ne dépasse pas le coût de leur prestation majorité d’un bénéfice raisonnable ».

Conformément à ces dispositions, SNCF Réseau (gestionnaire des quais à voyageurs) applique une méthode de tarification dite « Cost+ » qui intègre une part correspondant à la rémunération du capital investi.

La validité de cette méthode de tarification est directement remise en cause par l’arrêt rendu le 10 juillet 2019 par la CJUE et il appartient à présent à l’ensemble des acteurs intéressés du secteur ferroviaire français – y compris les autorités organisatrices compétentes – d’en tirer les conséquences qui s’imposent. Pour l’avenir immédiat, cela va de soi ; mais la possibilité de solliciter la régularisation rétroactive des tarifications illégales appliquées depuis l’échéance du délai de transposition de la directive 2012/34/UE (16 juin 2015) devrait également faire l’objet d’une réflexion approfondie.

CJUE, 10 juillet 2019, WESTBahn Management GmbH c/ ÖBB-Infrastrucktur AG, aff. C-210/18

 

 

 

31 juillet 2019 - L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) devient compétente en matière de redevances aéroportuaires et est renommée Autorité de régulation des transports (ART)

C’est à une réflexion menée de longue date que l’ordonnance n° 2019-761 du 24 juillet 2019 relative au régulateur des redevances aéroportuaires est venue répondre en investissant l’ARAFER de compétences en matière de régulation des redevances aéroportuaires et en la renommant, à compter du début de l’exercice de ces nouvelles compétences le 1er octobre 2019, Autorité de régulation des transports.

A l’instar des modèles existants dans d’autres Etats européens (Italie, Belgique, Suède, pour n’en citer que quelques-uns), la France se dote ainsi d’un véritable régulateur multimodal des transports, auquel n’échappent plus que quelques secteurs (portuaire, notamment), étant précisé que le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) pourrait venir encore accroître le spectre des compétences du régulateur (activité de gestionnaire d’infrastructure de la RATP, billettique multimodale, etc.).

Pour le secteur aéroportuaire français, il s’agit d’une nouvelle modification dans le paysage institutionnel. Une autorité de supervision indépendante, au sens de la directive 2009/12/CE du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires, avait, en effet, été mise en place auprès du Conseil général de l’environnement et du développement durable, par décret n° 2016-825 du 23 juin 2016. Cela faisait suite à une décision du Conseil d’Etat du 29 avril 2015 (n° 379574), qui avait jugé qu’au vu des participations détenues par l’Etat au capital d’une compagnie aérienne et de plusieurs sociétés gestionnaires d’aéroports, le schéma antérieur dans lequel la direction générale de l’aviation civile (DGAC) exerçait les fonctions d’autorité de supervision indépendante ne permettait pas, en l’état, de considérer que cette autorité présentait des garanties d’indépendance suffisante.

Ce ne sont vraisemblablement pas des considérations juridiques qui ont motivé la modification introduite par l’ordonnance du 24 juillet 2019. Il demeure que le rattachement du secteur aéroportuaire à un régulateur multimodal répond à d’évidentes préoccupations de transversalité, d’efficience et de cohérence dans l’action régulatrice, auxquelles on ne peut que souscrire.

En vertu de l’article 2 de l’ordonnance n° 2019-761, l’ART sera compétente pour l’homologation des tarifs des aéroports relevant de sa compétence – matière qui a donné lieu, dans la période récente, à un contentieux nourri devant le Conseil d’Etat – et pour formuler un avis conforme sur les projets de contrats de régulation économique qui seront conclus entre l’Etat et les exploitants des aéroports concernés.

L’ART sera investie de pouvoirs d’enquête et de contrôle, comme cela est déjà le cas dans les autres secteurs qu’elle régule, susceptible d’aboutir à des sanctions et/ou à la saisine de l’Autorité de la concurrence.

Ordonnance n° 2019-761 du 24 juillet 2019

Communiqué de presse de l’ARAFER

 

 

 

 

 

Droit de la fonction publique

26 juillet 2019 - L’agent public qui a été détaché puis intégré dans un autre corps ne peut contester le refus opposé à sa demande de bénéficier du régime indemnitaire de ce corps que dans un délai raisonnable

Employée par le centre hospitalier de Toulouse en qualité d’agent titulaire relevant des statuts locaux du personnel informatique, Mme A. a, en application de l’article 49-II de la loi de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007, été détachée dans le corps des ingénieurs hospitaliers à compter du 1er avril 2008, puis intégrée dans ce corps à compter du 1er avril 2009 en application d’un protocole d’accord signé entre le CHU et les organisations syndicales.

Le 30 janvier 2014, Mme A. a sollicité du CHU, d’une part, que lui soit octroyé le régime indemnitaire applicable au corps des ingénieurs hospitaliers à compter du 1er avril 2008, et d’autre part, que sa situation indemnitaire soit régularisée à compter de cette même date.

Le CHU ayant implicitement rejeté sa demande, Mme A. a saisi le Tribunal administratif de Toulouse aux fins d’annulation de cette décision. Puis, les juges de première instance n’ayant pas fait droit à sa demande, Mme A. a interjeté appel du jugement devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux.

Après avoir rappelé les dispositions prévues par l’article R.421-1 du code de justice administrative, la Cour administrative d’appel de Bordeaux cite le considérant de la jurisprudence « Czabaj » aux termes duquel le principe de sécurité juridique fait obstacle à ce qu’une décision administrative ne mentionnant pas les voies et délais de recours puisse être contestée au-delà de l’expiration d’un délai raisonnable, fixé à un an (CE, Ass., 13 juillet 2016, M. B., req. n° 387763).

En l’espèce, pour rejeter la demande formée par l’appelante, les juges d’appel considèrent d’une part que le protocole par lequel Mme A. a sollicité son détachement puis son intégration dans le corps des ingénieurs hospitaliers mentionnait expressément que les agents intégrés dans les corps nationaux continueraient à bénéficier du régime indemnitaire des agents sous statuts locaux. Or, les bulletins de salaires des mois d’avril 2008 et d’avril 2009, lesquels concernaient respectivement la période de détachement et la période d’intégration, faisaient mention de ce protocole, si bien que Mme A. doit être considérée comme ayant eu connaissance de ces décisions.

D’autre part, la requérante, qui se prévaut des négociations entreprises entre le CHU et les organisations syndicales postérieurement à son détachement et à l’issue desquelles la prime de technicité perçue par les techniciens supérieurs hospitaliers issus des statuts locaux a été alignée à compter du 1er juin 2014, n’établit pas que le déroulement de ces négociations l’aurait empêché d’exercer son recours contentieux dans un délai raisonnable.

Partant, la Cour administrative d’appel de Bordeaux conclut que si le délai de deux mois fixé par les dispositions de l’article R.421-1 du code de justice administrative n’était pas opposable à Mme A., faute pour le CHU de lui avoir notifié les décisions par lesquelles il a décidé de la faire bénéficier du régime indemnitaire des agents sous statuts locaux après son détachement puis après son intégration dans le corps des ingénieurs hospitaliers, la requérante n’a pas contesté ces décisions dans un délai raisonnable tel que prévu par la jurisprudence « Czabaj ».

Dans ces conditions, la requête de Mme A. étant tardive, et par suite irrecevable, la Cour administrative d’appel confirme le jugement rendu en premier ressort.

CAA Bordeaux, 16 juillet 2019, Mme A., req. n° 17BX02892