N°6 – Septembre 2019

LA LETTRE DU CABINET

N°6 – Septembre 2019

Droit administratif général

13 septembre 2019 - La personne publique, qui peut émettre un titre exécutoire en vue de percevoir une indemnité de l’occupant irrégulier du domaine public n’est pas recevable à saisir le juge administratif, y compris d’une demande de référé provision

La commune de Grenoble a conclu en 1999 une convention d’une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction, aux termes de laquelle elle mettait gratuitement à la disposition de l’association Football Club Grenoble Rugby (FCGR) des locaux appartenant à son domaine public.

L’association a aménagé dans ces locaux un espace de bar-restaurant qu’elle a ouvert au public, et en a confié l’exploitation à la SAS Le Siège par convention du 5 avril 2005.

Le Maire de la commune de Grenoble devait néanmoins informer le président de l’association FCGR de la résiliation, à compter du 1er juin 2017, de la convention d’occupation du domaine public dont elle bénéficiait et a envisagé de conclure directement avec la SAS Le Siège une convention d’occupation du domaine public à compter de cette même date.

La société a refusé cette proposition, ce qui a conduit la commune à saisir le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’une demande tendant à ce que son expulsion soit ordonnée.

Le juge des référés a néanmoins rejeté cette requête, la condition d’urgence n’étant pas remplie.

La commune a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, d’une requête tendant à ce que la société Le Siège lui verse une somme provisionnelle de 2 500 euros HT mensuelle à compter du 1er juin 2017, en compensation des revenus qu’elle aurait pu percevoir d’un occupant régulier de son domaine public, ainsi que la somme provisionnelle de 7 764 euros en remboursement des sommes acquittées par elle au titre des consommations de fluides de la société pour 2017 et à lui régler le coût provisionnel de ses consommations de fluides à compter du 1er janvier 2018.

Le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble ayant fait droit à la demande de la commune, la Société Le Siège a interjeté appel de l’ordonnance ainsi rendue.

La Cour administrative d’appel de Lyon censure cependant l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble en rappelant qu’une personne publique ne peut demander au juge administratif de prononcer une mesure qu’elle a le pouvoir de prendre.

La Cour administrative d’appel revient tout d’abord que les principes applicables en la matière :

« Une commune est fondée à réclamer à l’occupant sans titre de son domaine public, au titre de la période d’occupation irrégulière, une indemnité compensant les revenus qu’elle aurait pu percevoir d’un occupant régulier pendant cette période. A cette fin, elle doit rechercher le montant des redevances qui auraient été appliquées si l’occupant avait été placé dans une situation régulière, soit par référence à un tarif existant, lequel doit tenir compte des avantages de toute nature procurés par l’occupation du domaine public, soit, à défaut de tarif applicable, par référence au revenu, tenant compte des mêmes avantages, qu’aurait pu produire l’occupation régulière de la partie concernée du domaine public communal. Toutefois une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu’elle a le pouvoir de prendre. En particulier, les collectivités territoriales qui peuvent émettre des titres exécutoires à l’encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d’une demande tendant au recouvrement de leur créance sauf lorsque la créance trouve son origine dans un contrat ».

Dans le cas de la commune de Grenoble, les magistrats de la Cour rappellent que la société Le Siège, bien qu’ayant conclu, « au demeurant irrégulièrement », une convention de mise à disposition des locaux, de matériel et de licence IV, avec l’association FCGR, n’était pas placée dans une situation contractuelle avec la commune.

Partant, la Cour conclut à l’irrecevabilité de la requête en référé de la commune, laquelle aurait dû émettre un titre à l’encontre de la société Le Siège.

CAA Lyon, 2 septembre 2019, Commune de Grenoble, req. n° 18LY04003

 

16 septembre 2019 - L’usager qui entend obtenir réparation du préjudice subi en raison d’un défaut d’entretien normal ne rapporte pas la preuve du lien de causalité entre son dommage et l’ouvrage public incriminé en produisant des photographies non datées.

Un usager a fait une chute, le 10 mai 2014, sur l’un des trottoirs d’une commune située en Corrèze. Cette chute lui a occasionné la fracture d’une cheville et a nécessité qu’une opération soit pratiquée à son retour aux Pays Bas dans les jours qui ont suivi l’incident.

La victime a saisi le tribunal administratif de Limoges, estimant que la responsabilité de la commune était engagée. Elle sollicitait l’indemnisation de ses préjudices ainsi que la désignation d’un expert aux fins d’évaluer son préjudice corporel.

Le tribunal administratif ayant rejeté sa demande, la victime a interjeté appel du jugement adopté le 18 mai 2017.

A l’appui de sa requête d’appel, la requérante évoquait le défaut d’entretien normal du revêtement de l’emplacement de stationnement pour personnes à mobilités réduites sur lequel elle avait chuté.

Après avoir rappelé qu’il « appartient à l’usager d’un ouvrage public qui demande réparation d’un préjudice qu’il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l’ouvrage » et que « le maître de l’ouvrage ne peut être exonéré de l’obligation d’indemniser la victime qu’en rapportant, à son tour, la preuve soit de l’absence de défaut d’entretien normal, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure », la Cour administrative d’appel rejette la requête d’appel de la requérante.

La Cour relève en effet qu’elle ne produit que cinq photographies de l’emplacement qui ne sont pas datées, et qui auraient été prises pour la plupart, et selon les indications de la requérante, plus d’un an après l’incident.

Aussi la Cour ne peut que retenir que ces photographies, « si elles révèlent l’existence d’une déformation de la chaussée à cet endroit, ne permettent pas de situer les circonstances précises de l’accident, compte tenu notamment de la position de l’étal de marché figurant sur l’une d’entre elles, et de l’absence de toute autre pièce au dossier venant étayer les allégations de la requérante ».

La Cour considère donc que la requérante « ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un lien de causalité direct entre son dommage et l’ouvrage public en cause » et ne peut que rejeter la requête de l’usagère.

CAA Bordeaux, 22 août 2019, A. C/ Commune de Bort-les-Orgues, req. n° 17BX03090.

20 septembre 2019 - En raison de l’indépendance de la procédure disciplinaire vis-à-vis de la procédure pénale, le maire d’une commune peut être révoqué sans avoir été condamné pénalement

Après avoir été informé par le préfet du Pas-de-Calais de l’ouverture d’une procédure tendant à la révocation de ses fonctions de maire de la Commune d’Hesdin, M. B a formulé des observations pour sa défense. Cependant, par décret du 21 août 2019, celui-ci a été révoqué de ses fonctions.

Sur le fondement des dispositions prévues par l’article L.521-1 du code de justice administrative, M. B a sollicité du juge des référés du Conseil d’Etat la suspension de l’exécution de ce décret.

Statuant au visa des dispositions de l’article L.2122-16 du code général des collectivités territoriales, le juge des référés de la Haute juridiction se prononce d’abord sur les moyens invoqués par le requérant qui créeraient, selon lui, un doute sérieux quant à la légalité du décret querellé.

Il sera indiqué que M. B prétend, en premier lieu, que l’article L.O 136-1 du code électoral ainsi que le principe « non bis in idem » auraient été méconnus. Sans consacrer le moindre développement, le juge des référés considère qu’aucun de ces moyens n’est de nature à faire naître un doute sérieux.

Et, en second lieu, le requérant soutient que les principes de présomption d’innocence et du respect des droits de la défense n’auraient pas été respectés, motif pris de la circonstance qu’il n’a pas encore été jugé pour les faits qui lui sont reprochés, si bien que le décret ne se fonde que sur des mises en examen et sur des agissements prétendus.

Précisant cependant que « la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale », le juge des référés considère que « l’autorité administrative ne méconnaît pas le principe de la présomption d’innocence, y compris dans l’hypothèse où c’est à raison des mêmes faits, étrangers ou non à l’exercice des fonctions de maire, que sont engagées parallèlement les deux procédures, en prononçant une sanction sans attendre que les juridictions répressives aient définitivement statué ».

Par ailleurs, et malgré l’absence de reconnaissance par le juge pénal, le juge des référés rappelle les faits qui sont reprochés à M. B.

Celui-ci est en effet visé par plusieurs procédures pénales ouvertes par le procureur de la République, pour lesquelles il est d’une part mis en examen pour prise illégale d’intérêts et complicité de faux en écriture publique, et d’autre part cité à comparaître devant le tribunal correctionnel pour détournement de fonds publics.

Aussi, il résulte d’un rapport rendu par la chambre régionale des comptes que la Commune d’Hesdin connaît « une situation très critique du pilotage de l’administration communale, devenu chaotique à bien des égards » et que de graves dysfonctionnements ont été relevés, notamment dans la gestion financière et la passation des marchés publics.

Constatant qu’aucun des moyens soulevés par M. B n’était susceptible de faire naître un doute quant à la légalité du décret, le juge des référés rejette donc le recours, sans qu’il soit besoin d’apprécier la condition d’urgence.

CE, 3 septembre 2019, M. B, req. n° 434072

 

27 septembre 2019 - La société dont la survie financière à court terme n’est pas menacée est infondée à solliciter la suspension d’un arrêté interrompant l’activité de parachutisme qu’elle exerce

Par arrêté du 28 juin 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire a suspendu l’activité de parachutisme sur l’aérodrome d’Amiens-Glisy à compter du 1er juillet 2019.

Sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la société Sauter en parachute a sollicité du juge des référés du tribunal administratif d’Amiens la suspension de l’exécution de cet arrêté. S’estimant incompétent, le président de cette juridiction a transmis le dossier au Conseil d’Etat en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative.

Statuant donc sur ce recours, le juge des référés du Conseil d’Etat se prononce d’abord sur l’urgence, première condition impérative pour pouvoir suspendre un acte administratif en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Le juge des référés précisant à cet égard que « l’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ».

Pour demander la suspension de l’arrêté du 28 juin 2019, la société Sauter en parachute prétend qu’il est susceptible de compromettre la poursuite de son activité, en ce qu’elle ne pourrait satisfaire les 1.200 clients qui lui auraient déjà passé commande, et qu’elle ne pourrait exercer son activité sur d’autres sites.

Au juge des référés de relever cependant que la requérante ne produit aucun élément au soutien de son allégation qui permettrait d’apprécier l’effet de l’arrêté sur sa situation financière. Pire, il ressort des précisions apportées au cours de l’audience que la société Sauter en parachute non seulement poursuit en partie son activité à Charleville-Mézières, mais de surcroît que sa survie n’est pas menacée à court terme.

Le juge des référés du Conseil d’Etat précise également qu’une reprise de l’activité de parachutisme demeure possible pour la société Sauter en parachute. En effet, d’une part, l’arrêté litigieux doit faire l’objet d’un réexamen au plus tard le 30 septembre 2019, et, d’autre part, une réunion regroupant l’Etat, la communauté d’agglomération d’Amiens métropole – propriétaire et exploitante de l’aérodrome – et les différents usagers signataires du protocole du 1er mars 2018 relatif à la pratique du parachutisme sportif sur l’aérodrome d’Amiens-Glisy, dont la société requérante, doit se tenir préalablement, le 17 septembre 2019, aux fins d’évoquer les problématiques afférentes à la sécurité ainsi que les conditions d’une révision dudit protocole.

Au final, « eu égard à l’intérêt qui s’attache à ce que [l’activité de parachutisme] s’exerce dans des conditions suffisantes de sécurité », le juge des référés de la Haute juridiction estime que la condition d’urgence n’est pas remplie.

Dans ces conditions, il rejette la requête sans même étudier la condition relative à l’existence de moyens sérieux susceptibles de créer un doute quant à la légalité de l’arrêté contesté.

CE, 9 septembre 2019, Société Sauter en parachute, req. n° 433758

Droit de la commande publique

2 septembre 2019 - Irrégularité de l’offre du candidat qui ne respecte pas le formalisme imposé par le règlement de la consultation

La commune de Montigny-en-Gohelle a initié une procédure de passation d’un marché public portant sur l’exploitation des installations thermiques de ses bâtiments communaux.

Les documents de la consultation prévoyaient que les candidats devaient remettre une offre de base et une offre tenant compte d’une option relative à la mise en place d’une solution de télérelève sur les sites les plus énergivores des bâtiments communaux.

Le marché a été attribué et conclu avec la société Dalkia. La société TPF Utilities a saisi le tribunal administratif d’un recours tendant à la contestation du contrat et à la condamnation de la commune à lui verser une somme de plus de 480 000 euros en réparation du préjudice qu’elle avait subi en raison de son éviction de la procédure de passation.

Le tribunal administratif de Lille a fait droit à la requête de la société TPF Utilities, et a, après avoir relevé que l’offre de l’attributaire était irrégulière, résilié le marché querellé à compter du 1er mars 2019, et condamné la commune à verser à la société TPF Utilities une somme de 213.586 euros.

La commune a interjeté appel du jugement du tribunal administratif de Lille, et la société TPF Utilities a présenté, par la voie de l’appel incident, des conclusions tendant à ce que le montant de la condamnation prononcée en première instance à l’encontre de la commune soit porté à 483.057, 63 euros.

Après avoir rappelé les termes de l’article 53 du code des marchés publics qui était applicable au contrat passé par la Commune, la Cour administrative d’appel énumère les exigences qui étaient posées par les documents de la consultation.

S’agissant précisément de l’option relative à la mise en place d’une solution de télérelève sur les sites les plus énergivores des bâtiments communaux, les documents de la consultation prévoyaient notamment que l’impact financier de l’option ne devait porter que sur le montant de la redevance dite  » P3 « , c’est-à-dire le montant dû par la commune au titre de la garantie totale de l’ensemble des équipements techniques à la charge du titulaire du marché.

Or la société Dalkia, à qui a été attribué le marché, n’avait pas procédé de la sorte et avait simplement diminué les prix du poste  » P1  » (fourniture de combustible pour la production de chauffage et d’eau chaude sanitaire et fourniture de chaleur pour la piscine Jules Verne).

La Cour administrative d’appel de Douai ne peut donc que relever que « quelle que soit la pertinence économique du calcul effectué par la société Dalkia, son offre ne respectait pas le règlement de la consultation », et ainsi conclure à l’irrégularité de l’offre de la société attributaire.

La Cour ne manque pas de souligner que la commune avait « nécessairement admis cette irrégularité, puisqu’elle a[vait] conclu avec la société Dalkia, le 18 janvier 2016, une  » mise au point du marché  » ».

Enfin, rappelant les dispositions de l’article 59 du code des marchés publics alors en vigueur, la Cour prend le soin de préciser que la Commune n’était, en toute hypothèse, pas autorisée à procéder à une régularisation de l’offre de la société Dalkia.

La Cour rejette donc la requête d’appel de la commune.

Statuant dans un second temps sur les conclusions présentées par la voie de l’appel incident par la société TPF Utilities, la Cour considère que les premiers juges n’ont pas fait une inexacte appréciation du manque à gagner de la société requérante en retenant un taux de marge de 12 %.

La Cour estime néanmoins que ne devait pas être déduite du manque à gagner de l’entreprise la somme de 3.500 euros « au motif que, dans l’hypothèse où la société aurait été déclarée attributaire du marché, elle aurait bénéficié de versements échelonnés et non d’un capital versé en une fois ».

La condamnation de la commune est donc réévaluée dans cette limite.

CAA Douai, 22 août 2019, Commune de Montigny en Gohelle, req. n°18DA02437

 

4 septembre 2019 - Le code de la commande publique offre aux acheteurs un cadre juridique plus souple pour la passation des marchés publics de service de réinsertion sociale et professionnelle

A la faveur d’une question écrite posée au Ministère de l’action et des comptes publics le 14 mai 2019, la députée Madame Jacqueline Dubois soulignait le fait que le décret n° 2018-1075 du 3 décembre 2018 portant partie réglementaire du code de la commande publique avait abrogé l’alinéa 10 de l’article 30 du décret n° 2016-360, lequel portait sur les marchés publics négociés sans publicité ni mise en concurrence préalables.

Cette disposition autorisait les acheteurs, sous réserve que la valeur du marché soit inférieure aux seuils européens, à recourir à la procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence préalables « lorsque la mise en concurrence est impossible ou manifestement inutile en raison notamment de l’objet du marché public ou du faible degré de concurrence dans le secteur considéré ».

Expliquant que cette disposition favorisait l’insertion des travailleurs sociaux, et que sa suppression risquait de mettre en difficulté les entreprises qui œuvrent dans le domaine de l’insertion professionnelle, la députée interrogeait donc le gouvernement pour connaître les dispositions qui seraient prises pour rétablir la souplesse initiale prévue par le code de la commande publique pour les marchés publics négociés sans publicité ni mise en concurrence préalables.

Répondant à cette question, le Ministère de l’action et des comptes publics commence par rappeler que la codification du droit de la commande publique a été réalisée, conformément à l’article 38 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dans l’objectif « d’assurer le respect de la hiérarchie des normes et d’abroger les dispositions devenues sans objet ».

Et, il assure que la suppression de l’alinéa 10 de l’article 30 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics est intervenue dans ce cadre. En effet, la présence de cet alinéa ne paraissait plus nécessaire depuis le relèvement du seuil de procédure à 25 000 euros HT, dans la mesure où l’hypothèse de recours à la négociation sans publicité ni mise en concurrence prévue par cette disposition « recouvrait les cas de dispense de procédure énumérés aux nouveaux articles R. 2122-1 à R. 2122-11 du code de la commande publique ».

Ainsi, l’abrogation de cette disposition, par ailleurs exigée par les objectifs suivis par la codification, ne supprime aucun dispositif pour l’acheteur.

Au Ministère de l’action et des comptes publics de préciser enfin, s’agissant des marchés publics de service de réinsertion sociale et professionnelle conclus avec des ateliers et chantiers d’insertion ou des associations intermédiaires, que l’article L. 2113-13 du code de la commande publique prévoit la possibilité pour l’ensemble des acheteurs de réserver leur attribution à ces structures.

Partant, il faut en conclure que par « cette faculté, associée au régime dérogatoire dont bénéficient les marchés de services sociaux (procédure adaptée et formalités de publicité allégées quel que soit leur montant) offre aux acheteurs un cadre juridique plus souple que précédemment ».

Rép. Min. à Q.E n° 19568, JO AN, 27 août 2019, p. 7635

9 septembre 2019 - En l’absence de paiement par l’entrepreneur, le sous-traitant qui n’a pas été déclaré et dont les conditions de paiement n’ont pas été agréées par le maître d’ouvrage n’est pas fondé à engager la responsabilité quasi-délictuelle et quasi-contractuelle du maître d’ouvrage et du maître d’œuvre

Dans l’optique de rénover sa salle polyvalente, la commune de Saint-Vincent de Mercuze a confié, d’une part, à M. B, architecte, une mission complète de maîtrise d’œuvre et, d’autre part, le lot n°4 « peintures – revêtements de sols » à la société JCD, à laquelle il incombait notamment de procéder à un ragréage de mise à niveau de toutes les surfaces et à la pose à la spatule de 3 mm de résine epoxy auto lissante. La société JCD a sous-traité des travaux à la société Peinta Concept, dont le devis prévoyait la pose d’une couche de résine d’une épaisseur de 1,6 à 2 mm sans ragréage.

Les travaux ont été exécutés sans que la société JCD ne fasse accepter son sous-traitant, ni agréer ses conditions de paiement par la commune de Saint-Vincent de Mercuze. Cette dernière a d’ailleurs refusé non seulement la réception des travaux, mais de surcroît de rémunérer la société JCD, laquelle n’a donc pas réglé les factures émises par la société Peinta Concept pour un montant total de 39.025,48 euros.

Après avoir désigné un expert à la demande de la société Peinta Concept, le tribunal de commerce de Chambéry a condamné la société JCD à payer à son sous-traitant le montant des factures émises augmenté des intérêts au taux légal, ainsi qu’à lui verser une somme de 1.000 euros en réparation de son préjudice commercial.

Cependant, la société JCD ayant fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire simplifiée, le jugement rendu par le tribunal de commerce n’a pu être exécuté.

C’est dans ce contexte que la société Peinta Concept a, sur le fondement de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, sollicité de la commune de Saint-Vincent de Mercuze le paiement des sommes mises à la charge de la société JCD par le tribunal de commerce de Chambéry.

En l’absence de réponse de la commune, la société Peinta Concept a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’une demande indemnitaire dirigée premièrement à l’encontre de la commune, mais également à l’encontre de M. B, sur le fondement de leurs responsabilités quasi-délictuelle et quasi-contractuelle.

Les juges de première instance ayant rejeté cette demande, la société Peinta Concept a interjeté appel auprès de la Cour administrative d’appel de Lyon.

Répondant premièrement sur le moyen portant sur la responsabilité quasi-délictuelle, la Cour administrative d’appel, sur le fondement des articles 3, 5, 6 et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, commence par rappeler le principe selon lequel commet une faute de nature à engager sa responsabilité, le maître d’ouvrage qui a connaissance d’une sous-traitance irrégulière et qui s’abstiendrait d’y mettre fin.

Néanmoins, les juges d’appel relèvent que si M. B avait été informé avant le démarrage des travaux de la circonstance qu’ils seraient exécutés par la société Peinta Concept, tel n’est pas le cas de la commune, laquelle n’en a été avertie qu’une fois ceux-ci réalisés, soit postérieurement au refus de paiement opposé par la société JCD à son sous-traitant. Le maître d’ouvrage n’a donc commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité quasi-délictuelle.

Et, à la Cour administrative d’appel d’ajouter que si la commune aurait pu reprocher à M. B de ne pas l’avoir informée de la présence d’un sous-traitant sur le chantier, l’appelante ne peut-elle se prévaloir d’aucune faute de la part du maître d’œuvre à son égard.

S’agissant ensuite de la responsabilité quasi-contractuelle, la société Peinta Concept prétend que la commune aurait bénéficié d’un enrichissement sans cause. Tel n’est pas le cas pour les juges d’appel, qui ont considéré qu’eu égard aux malfaçons dont la reprise a été estimée par l’expert désigné par le tribunal de commerce de Chambéry à la somme de 31.883,85 euros et dont la commune doit procéder à ses frais, les travaux exécutés par la société Peinta Concept n’ont présenté aucun caractère utile pour la collectivité.

Par ailleurs, le maître d’œuvre ne s’étant pas enrichi au détriment de l’appelante, elle ne peut invoquer sa responsabilité quasi-contractuelle.

Conséquemment, la Cour administrative d’appel de Lyon rejette l’appel formé par la société Peinta Concept.

CAA Lyon, 2 septembre 2019, Société Peinta Concept, req. n° 17LY02724

18 septembre 2019 - La décision de déclaration sans suite d’un marché public doit être motivée

A la faveur d’une question écrite datée du 28 mars 2019, Monsieur le député Jean-Louis Masson a exposé la situation selon laquelle certaines collectivités territoriales ou établissements publics déclarent sans suite des marchés publics après réception des offres des candidats, sans toutefois fournir d’éléments justificatifs à cette décision.

Monsieur le député interroge donc le Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales pour savoir si la déclaration sans suite d’un marché public doit faire l’objet d’une motivation.

Pour répondre à cette question, le Ministère rappelle, en application des dispositions prévues par l’article R.2185-2 du code de la commande publique, qu’il appartient à l’acheteur qui déclare sans suite une procédure de passation d’un marché public de communiquer dans les plus brefs délais aux soumissionnaires sa décision de ne pas attribuer le marché ou de recommencer la procédure, ainsi que les motifs justifiant celle-ci.

Cette obligation de motivation de la décision déclarant sans suite la procédure de passation d’un marché est applicable à l’ensemble des marchés publics, exception faite des marchés publics portant sur des services juridiques de représentation légale d’un client par un avocat dans le cadre d’une procédure juridictionnelle ou de consultation juridique fournis par un avocat en vue de la préparation d’une telle procédure.

Or, le non-respect ou l’insuffisance de motivation sont des irrégularités qui peuvent être retenues tant par le juge communautaire (CJUE, 18 juin 2002, Hospital Ingenieure Krankenhaustechnik Planungs Gmbh c/ Stadt Wien, aff. C-92/00) que par le juge administratif (CE, 18 mars 2005, Société Cyclergie, req. n° 238752) dans le cadre d’un recours contentieux exercé à l’encontre d’une telle décision.

Le Ministère précise enfin, en se référant à une décision rendue par le Conseil d’Etat, que l’illégalité de la décision déclarant sans suite le marché « peut également être invoquée à l’occasion d’un recours contre la passation d’un nouveau marché public fondée sur l’abandon de la procédure précédente » (CE, 3 octobre 2012, Département des Hauts-de-Seine, req. n° 359921).

Rép. Min. à Q.E n° 09685, JO AN 12 septembre 2019, p. 4653

25 septembre 2019 - L’autorité concédante du service public de distribution d’eau potable n’est pas tenue de hiérarchiser les critères d’attribution des offres et de faire connaître cette hiérarchie aux candidats

En vue de concéder le service public de distribution de l’eau potable, la Communauté de communes de l’Ile-Rousse-Balagne (ci-après « la CCIRB») a publié un avis d’appel public à la concurrence au bulletin officiel des annonces des marchés publics le 14 août 2018. La société des eaux de Corse, candidate à l’attribution de cette concession, a vu son offre rejetée, cependant que la CCIRB a attribué le contrat à l’Office d’équipement hydraulique de Corse (ci-après, « l’OEHC »).

Sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, la société des eaux de Corse a sollicité du juge des référés du Tribunal administratif de Bastia, entre autres, l’annulation de la procédure d’attribution du contrat de concession. Par une ordonnance du 18 avril 2019, le juge des référés a fait droit à cette demande.

La CCIRB et l’OEHC se sont pourvues en cassation.

Après avoir rappelé les termes des articles 9, 10 et 27 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession, ainsi que ceux de l’article 11 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, le juge des référés du Conseil d’Etat considère que l’objet du contrat de concession litigieux était visé par le 2° de l’article 10 du décret susvisé et qu’en cette qualité, l’autorité concédante n’était pas tenue de fixer les critères d’attribution du contrat par ordre décroissant d’importance. Or, en jugeant que la CCIRB aurait dû procéder à une hiérarchisation des critères d’attribution des offres et aurait dû indiquer cette hiérarchie dans l’avis de concession, dans l’invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation, le juge des référés du Tribunal administratif de Bastia a commis une erreur de droit, justifiant que soit prononcée l’annulation de l’ordonnance attaquée.

Le juge des référés de la Haute juridiction décide donc de régler l’affaire en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

Il revient en premier lieu sur le moyen portant sur le principe de spécialité de l’OEHC. A ce titre, il précise l’office du juge des référés, lequel doit vérifier si le principe de spécialité est respecté lorsqu’un établissement public est candidat à l’attribution d’un contrat de la commande publique :

« Il appartient au juge du référé précontractuel, saisi de moyens sur ce point, de s’assurer que l’appréciation portée par le pouvoir adjudicateur pour exclure ou admettre une candidature ne caractérise pas un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Dans ce cadre, lorsque le candidat est une personne morale de droit public, il lui incombe de vérifier que l’exécution du contrat en cause entrerait dans le champ de sa compétence et, s’il s’agit d’un établissement public, ne méconnaîtrait pas le principe de spécialité auquel il est tenu ».

Or, en application des dispositions de l’article L. 112-32 du code rural, le juge des référés du Conseil d’Etat estime que l’exploitation de réseaux de distribution pour le compte des collectivités territoriales est au nombre des missions qui relèvent de la spécialité de l’OEHC. Le juge des référés du Conseil d’Etat rejette donc le moyen porté par la société des eaux de Corse selon lequel l’intervention de l’OEHC ne serait justifiée par aucun intérêt public local.

En second lieu, le juge des référés du Conseil d’Etat examine le moyen portant sur l’équilibre économique de l’offre de l’OEHC. Il rappelle que « lorsqu’une personne publique est candidate à l’attribution d’un contrat de concession, il appartient à l’autorité concédante, dès lors que l’équilibre économique de l’offre de cette personne publique diffère substantiellement de celui des offres des autres candidats, de s’assurer, en demandant la production des documents nécessaires, que l’ensemble des coûts directs et indirects a été pris en compte pour la détermination de cette offre, afin que ne soient pas faussées les conditions de la concurrence. Il incombe au juge du référé précontractuel, saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que le contrat n’a pas été attribué à une personne publique qui a présenté une offre qui, faute de prendre en compte l’ensemble des coûts exposés, a faussé les conditions de la concurrence ».

Relevant que l’équilibre économique de l’offre présentée par l’OEHC ne diffère pas substantiellement de celui de l’offre présentée par la société des eaux de Corse, le juge des référés de la Haute juridiction considère que l’offre de l’OEHC ne faussait pas la concurrence.  Il en conclut que la CCIRB n’a pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

En dernier lieu, il incombe au juge des référés du Conseil d’Etat de statuer sur le moyen relatif à la méconnaissance du principe d’égalité de traitement des candidats allégé par la société des eaux de Corse. Il écarte également ce moyen, considérant d’une part que l’obligation d’achat de l’eau auprès de l’OEHC n’était pas de nature à altérer les conditions de mise en concurrence entre les candidats, dès lors que chaque candidat devait prendre en compte, dans son offre, le même prix d’achat de l’eau. D’autre part, le juge des référés estime que la société des eaux de Corse pouvait, tout autant que l’OEHC, prendre en compte les éventuelles pertes du réseau et d’adapter son offre en conséquence.

En conséquence, si le juge des référés du Conseil d’Etat conclut à l’annulation de l’ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal administratif de Bastia, il rejette la demande d’annulation de la concession présentée par la société des eaux de Corse.

CE, 18 septembre 2019, Communauté de communes de l’Ile-Rousse-Balagne, req. n° 430368

30 septembre 2019 - Irrégularité de l’offre d’un candidat n’ayant pas produit les éléments nécessaires prescrits par le règlement de la consultation

Aux termes d’un arrêt en date du 20 septembre 2019, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se prononcer sur le caractère régulier d’une offre remise par un groupement ayant soumissionné à une procédure de passation d’un marché public de travaux.

Dans cette affaire, la collectivité territoriale de Corse avait conclu, avec le groupement composé des entreprises Raffalli et Pompéani, un marché public de travaux en vue de la reconfiguration et de l’aménagement du carrefour de Furiani sur la route nationale n° 193.

La société Vendasi, mandataire d’un groupement ayant soumissionné à la procédure de passation initiée par la collectivité, a saisi le tribunal administratif de Bastia d’une demande tendant à l’annulation de ce marché et à l’indemnisation du préjudice né de l’éviction de son groupement de la procédure de passation de ce marché.

La société Vendasi a interjeté appel du jugement aux termes duquel le tribunal administratif de Bastia avait rejeté sa requête, et la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement et le marché en litige, et a ordonné une expertise aux fins de déterminer le montant du manque à gagner subi, du fait de son éviction irrégulière, par le groupement dont la société Vendasi est mandataire.

La Collectivité territoriale de Corse s’est donc pourvue en cassation aux fins de voir l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille annulé.

Le conseil d’état rappelle qu’« un pouvoir adjudicateur ne peut attribuer un marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement de la consultation », et qu’il « est tenu d’éliminer, sans en apprécier la valeur, les offres incomplètes, c’est-à-dire celles qui ne comportent pas toutes les pièces ou renseignements requis par les documents de la consultation et sont, pour ce motif, irrégulières ».

Il ajoute cependant que « cette obligation ne fait pas obstacle à ce que ces documents prévoient en outre la communication, par les soumissionnaires, d’éléments d’information qui, sans être nécessaires pour la définition ou l’appréciation des offres et sans que leur communication doive donc être prescrite à peine d’irrégularité de l’offre, sont utiles au pouvoir adjudicateur pour lui permettre d’apprécier la valeur des offres au regard d’un critère ou d’un sous-critère et précisent qu’en l’absence de ces informations, l’offre sera notée zéro au regard du critère ou du sous-critère en cause ».

Au cas d’espèce, la Cour administrative d’appel de Marseille avait estimé que l’offre du groupement attributaire était incomplète et, donc, irrégulière, dans la mesure où elle ne comportait pas certaines informations, relatives notamment aux matériaux utilisés pour la réalisation des travaux et à leurs fiches techniques.

Le Conseil d’Etat considère que la Cour, « en jugeant ainsi que la communication de ces éléments relatifs au contenu des offres était prescrite par le règlement de la consultation », n’a pas dénaturé ledit règlement, et n’a pas commis d’erreur de droit.

Le règlement prévoyait que le critère de la valeur technique serait apprécié sur la base de plusieurs sous-critères : un relatif à la méthodologie employée, un relatif aux matériels employés et aux personnels affectés et un autre relatif à la qualité des matériaux et des prestations. Le même règlement ajoutait en outre, en des termes que le Conseil d’Etat qualifie d’« ambigus », que « toute absence de renseignement d’un sous-critère sera sanctionnée d’une note égale à zéro ».

Ce rappel des prescriptions et indications du règlement de la consultation opéré, le Conseil d’Etat retient que « la production d’informations sur la qualité des matériaux employés, notamment de leurs fiches techniques, ne pouvait être regardée que comme une production d’éléments nécessaires prescrite par le règlement, dont l’absence dans une offre entraînait nécessairement son irrégularité ».

La solution rendue par la Cour administrative d’appel de Marseille est donc confirmée, tout comme l’est l’annulation du marché conclu par la collectivité territoriale de Corse.

CE, 20 septembre 2019 Collectivité territoriale de Corse, req. n°421075

 

Droit de l'urbanisme et de l'aménagement

6 septembre 2019 - Incidences de l’illégalité des décisions prises par le service instructeur relatives à la prolongation du délai d’instruction ou à la communication de pièces non requises sur l’obtention d’un permis de construire tacite

Le 15 juillet 2014, la société Ranchère a déposé à la mairie de Mérignac une demande de permis de construire pour l’édification de deux immeubles d’une surface de plancher totale de 1.512 m2 comprenant 24 logements. Le 1er août 2014, le maire de la commune de Mérignac a informé la société pétitionnaire d’une modification du délai d’instruction portée à six mois, ainsi qu’une demande de pièces manquantes. Ces pièces ont été transmises par la société Ranchère le 29 août suivant. Pourtant, par arrêté du 22 janvier 2015, le maire a opposé un sursis à statuer à la demande de permis de construire.

En réaction, la société pétitionnaire a sollicité du tribunal administratif de Bordeaux l’annulation dudit arrêté et qu’il soit enjoint au maire de lui délivrer le permis de construire. Les juges de première instance ayant rejeté cette demande par jugement en date du 9 février 2017, la société Ranchère a interjeté appel.

Devant d’abord répondre à l’interrogation selon laquelle la société pétitionnaire était ou non titulaire d’un permis tacite, la Cour administrative d’appel de Bordeaux rappelle, sur le fondement des dispositions prévues par les articles R. 423-23, R. 421-15 R. 423-22, R. 423-38, R. 423-39, R. 423-28, R. 423-42 et R. 423-43 du code de l’urbanisme, que si, par décision expresse, le service instructeur ne notifie pas au pétitionnaire une demande de pièces complémentaires ou une notification de majoration, de prolongation ou de suspension du délai d’instruction, ce dernier est fondé à se prévaloir d’un permis de construire tacite à l’issue d’un délai de trois mois (lorsque la demande de permis de construire porte sur un immeuble autre qu’une maison individuelle) ou de six mois suivant le dépôt de la demande (lorsque la demande porte sur un immeuble situé dans le périmètre de protection d’un immeuble inscrit au titre des monuments historiques).

Cependant, les juges d’appel précisent que le pétitionnaire n’est pas fondé à se prévaloir d’un permis de construire tacite « si l’illégalité d’une demande tendant à la production d’une pièce qui ne peut être requise est de nature à entacher éventuellement d’illégalité un refus de permis de construire ». Il en est d’ailleurs de même « si l’illégalité de la notification d’une prolongation du délai d’instruction du permis de construire peut entraîner celle d’une décision de sursis à statuer lorsque, du fait d’une évolution des circonstances de droit ou de fait intervenue pendant cette prolongation, elle a eu une incidence sur le sens de la décision ».

Sur cette question, la Cour administrative d’appel refuse de considérer que la société pétitionnaire serait titulaire d’un permis de construire tacite en raison des vices qui entacheraient le courrier valant décision de prolongation du délai d’instruction et demande de pièces complémentaires. Elle écarte donc ce moyen comme inopérant.

Ensuite, et s’agissant plus précisément de la légalité de l’arrêté du 22 janvier 2015 par lequel le maire avait sursis à statuer à la demande de permis de construire, la Cour administrative d’appel relève, qu’en application des articles R. 423-28, R. 423-42 et R. 423-43 du code de l’urbanisme, il appartient au service instructeur qui notifierait une majoration, une prolongation ou une suspension du délai d’instruction, d’indiquer au pétitionnaire le nouveau délai, son nouveau point de départ, ainsi que les motifs de la modification de délai.

Or, dans son courrier du 1er août 2014, la commune de Mérignac n’avait ni informé la société Ranchère du motif de la consultation de l’architecte des bâtiments de France, ni précisé la disposition du code de l’urbanisme sur laquelle elle se fondait.

Et, si la Cour administrative d’appel reconnaît que le courrier du 1er août 2014 a méconnu les dispositions de l’article R. 423-42 du code de l’urbanisme, il lui incombe de vérifier pour finir si la prolongation du délai d’instruction de la demande de permis de construire a eu une incidence sur le sens de la décision valant sursis à statuer prise par le maire le 22 janvier 2015.

A cet égard, la Cour administrative d’appel juge, sur le fondement des articles L. 111-7 et L. 123-6 du code de l’urbanisme, que l’illégalité de la décision de prolongation du délai d’instruction n’a pas eu d’incidence sur la décision attaquée, motif pris du stade avancé de la révision du plan local d’urbanisme de la communauté urbaine de Bordeaux.

Enfin, les juges d’appel concluent que le projet de construction porté par la société Ranchère contrevenait aux prescriptions du règlement projeté dans le cadre de la révision du plan local d’urbanisme, justifiant ainsi la décision de sursis à statuer prise par le maire de la commune de Mérignac.

CAA Bordeaux, 22 août 2019, Société Ranchère, req. n° 17BX03638

11 septembre 2019 - Saisie d’une demande de communication de documents d’urbanisme, une commune est parfaitement fondée à externaliser la reproduction des documents sollicités par un prestataire et à répercuter le coût exact au demandeur

A l’occasion d’une question écrite portant sur la saisine d’une commune de demandes de communication de documents en matière d’urbanisme, la sénatrice Madame Christine Herzog a interrogé le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales aux fins de savoir si une commune peut imposer aux administrés ayant formé une telle demande de faire établir préalablement par une entreprise de reproduction un devis pour la reproduction des plans. Une telle situation permettrait au service d’urbanisme de communiquer directement à l’entreprise de reproduction les documents dont la duplication est sollicitée, à charge ensuite pour l’administré d’en prendre possession auprès d’elle.

Par une réponse publiée au JO Sénat le 5 septembre 2019, le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a commencé par rappeler les principes applicables au droit à la communication des documents administratifs. En effet, en vertu des dispositions prévues par l’article L.311-9 du code des relations entre le public et l’administration, l’accès aux documents administratifs peut s’exercer, « au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration », de quatre manières différentes :

  • Soit, par consultation gratuite sur place ;
  • Soit, par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique ;
  • Soit, par publication des documents en ligne des informations publiques ;
  • Enfin, soit, sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou compatible avec celui-ci aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction et de l’envoi du document.

En outre, au ministère de préciser en application de l’article R. 311-11 du même code, que « les frais correspondant au coût de reproduction et, le cas échéant, d’envoi de celui-ci peuvent être mis à la charge du demandeur ».

Ces dispositions rappelées, le ministère considère, en application des avis rendus par la Commission d’accès aux documents administratifs, que lorsque l’administration doit externaliser la réponse à la demande de communication de documents administratifs du fait de ses propres contraintes techniques, elle peut elle-même faire établir un devis auprès d’un prestataire extérieur spécialisé dans la reproduction.

Dès lors, il incombe à l’administration d’adresser le devis au demandeur, afin que ce dernier décide ou non de donner suite à sa demande (avis n° 20152747, séance du 09/07/2015, Mairie de Mandres-les-Roses).

Et, dans l’hypothèse où le demandeur formaliserait son accord à l’administration, cette dernière pourra alors lui facture le prix exact de la reproduction des pièces par le prestataire extérieur.

En s’en tenant toujours à l’appréciation de la CADA, le ministère conclut que la présentation d’un devis au demandeur est une formalité essentielle, et qu’à défaut l’administration est réputée opposer un refus de communication : « en l’absence de devis préalable ou d’indications suffisantes de ce devis justifiant le montant réclamé pour réaliser les copies, ou encore la présentation d’un devis dont le montant serait manifestement excessif, sont assimilables à un refus de communication de la part de l’administration qui a été saisie » (avis n° 20161394, séance du 12/05/2016, Mairie de Villeneuve-Saint-Georges).

Rep. Min. à Q.E n° 09717, JO Sénat 5 septembre 2019, p. 4509

23 septembre 2019 - Irrecevabilité du déféré préfectoral en raison de l’absence de notification exigée par l’article R.600-1 du code de l'urbanisme

Le Maire de la commune de Pianottoli Caldarello a délivré à la société Corsea Promotion 36 un permis d’aménager sur un terrain situé sur son territoire.

Estimant que ce permis était entaché d’illégalité, la Préfète de la Corse du Sud a saisi le Maire de la commune d’un recours gracieux.

Ce recours ayant été rejeté, la Préfète a alors saisi le tribunal administratif de Bastia aux fins d’obtenir l’annulation du permis d’aménager. Elle a également saisi le juge des référés de ce même tribunal sur le fondement de l’article L.521-1 du code de justice administrative aux fins d’obtenir la suspension de l’exécution de cette autorisation d’urbanisme.

Par une ordonnance en date du 22 mai 2019, le juge des référés bastiais a fait droit à la demande de la Préfète et a en conséquence prononcé la suspension du permis d’aménager.

Statuant sur l’appel interjeté par la Commune à l’encontre de l’ordonnance du 22 mai 2019, la Cour censure toutefois la solution du juge des référés de première instance en raison de la méconnaissance des obligations de notification prescrites par l’article R.600-1 du code de l’urbanisme.

La Cour commence tout d’abord par rappeler les dispositions en cause aux termes desquelles il est prévu qu’ « En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l’encontre (…) d’un permis de construire, (…), le préfet ou l’auteur du recours est tenu, à peine d’irrecevabilité, de notifier son recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation. / Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant (…) un permis de construire, (…). / L’auteur d’un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d’irrecevabilité du recours contentieux qu’il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours. / La notification du recours à l’auteur de la décision et, s’il y a lieu, au titulaire de l’autorisation est réputée accomplie à la date d’envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre recommandée auprès des services postaux ».

Une fois ces obligations rappelées, la Cour relève que si la Préfète avait respecté ces formalités au stade du recours gracieux, elle n’établissait cependant pas y avoir procédé au stade du déféré préfectoral.

La Cour ne peut, par suite, que relever que tant le déféré préfectoral que la demande de suspension qui avait été introduits par la Préfète étaient irrecevables, et annule en conséquence l’ordonnance en date du 22 mai 2019.

CAA Marseille, 16 septembre 2019, Commune de Pianottoli Caldarello, req. n° 19MA02598.