2 janvier 2020 - Le Conseil d’Etat admet la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat du fait des lois inconstitutionnelles
Depuis la décision Gardedieu rendue le 8 février 2007 par le Conseil d’Etat, dans sa formation d’Assemblée du contentieux (req. n° 295722), la Haute-juridiction avait ouvert, à côté du régime classique de responsabilité sans faute du fait des lois (rupture d’égalité devant les charges publiques), la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat en réparation des préjudices subis du fait d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France.
Ce dernier régime constituait un régime de responsabilité fondé sur l’idée que l’adoption d’une loi inconventionnelle, comme toute illégalité, est fautive – même si la décision du Conseil d’Etat ne le mentionnait pas expressément – et que les préjudices qu’elle peut engendrer doivent ainsi être réparés par l’Etat.
Ce régime n’avait, jusqu’à présent, pas été étendu aux préjudices causés par les effets d’une loi déclarée contraire à la Constitution, après une période pendant laquelle elle a été en vigueur.
Cela pouvait s’entendre avant l’adoption, en droit français, du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), dans la mesure où les situations étaient rares dans lesquelles une loi était déclarée inconstitutionnelle après avoir été en vigueur et donc après avoir pu occasionner des préjudices. Les prérogatives du Conseil constitutionnel étaient, en effet, limitées à un contrôle dit a priori de la constitutionnalité de la loi, qui était ainsi examinée avant sa promulgation, et seules les déclarations d’inconstitutionnalité concernant des dispositions modifiant ou complétant des dispositions existantes et qui révélaient, par ricochet, l’inconstitutionnalité originelle de ces dernières auraient pu justifier un régime de responsabilité de l’Etat.
Or, l’instauration de la QPC a permis aux sujets de droit de contester la constitutionnalité de dispositions législatives déjà en vigueur et qui ont pu, pendant toute la durée de leur application, produire des effets préjudiciables pour les administrés. Il apparaissait ainsi légitime, au même titre que le régime dégagé par la décision Gardedieu, d’envisager une possible mise en cause de l’Etat du fait des lois contraires à une norme d’une autorité supérieure. Ce sont, essentiellement, des considérations politiques qui auraient (et, peut-être, ont) pu freiner ce mouvement.
Le pas est désormais franchi, puisque l’Assemblée du contentieux a admis, dans une décision rendue le 24 décembre 2019 (Paris Eiffel Suffren, req. n° 425983) la possibilité d’engager une action en responsabilité de l’Etat du fait des dommages subis en conséquence de l’application d’une loi déclarée contraire à la Constitution.
Le Conseil d’Etat a ainsi défini les conditions auxquelles est subordonné l’engagement de la responsabilité de l’Etat :
Le cas d’espèce sur lequel le Conseil d’Etat s’est prononcé portait sur des dispositions législatives relatives à la participation des salariés aux résultats de l’entreprise déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel en 2013. Le Conseil d’État a considéré qu’il n’y avait pas de lien direct de causalité entre l’inconstitutionnalité de ces dispositions et le préjudice subi par les demandeurs, dont les prétentions indemnitaires ont, par suite, été rejetées.
CE Ass. 24 décembre 2019, Paris Eiffel Suffren, req. n° 425983
3 janvier 2020 - Précisions sur l’office du juge administratif en matière de contentieux des dommages de travaux publics
Dans une décision Syndicat des copropriétaires de l’immeuble Monte-Carlo Hill du 2 décembre 2019, le Conseil d’État revient sur l’office du juge administratif dans le contentieux des dommages de travaux publics.
Il y confirme en substance l’extension du pouvoir d’injonction aux cas de responsabilité sans faute du contentieux des dommages de travaux publics sous réserve de la démonstration de l’existence d’une abstention fautive de la personne publique ainsi qu’une abstention et un préjudice qui perdurent à la date à laquelle se prononce le juge administratif (sur le principe : CE, 18 mars 2019, Commune de Chambéry, req. n° 411462 – voir également : Ferreira (J-P), « Injonction et responsabilité sans faute dans le contentieux des dommages de travaux publics », AJDA 2019, p.2002).
Par l’arrêt commenté, il expose ainsi que « Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l’exécution de travaux publics ou dans l’existence ou le fonctionnement d’un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s’il constate qu’un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s’abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures (…)» mais précise qu’ « en l’absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d’injonction, mais il peut décider que l’administration aura le choix entre le versement d’une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d’exécution. ».
Aux termes de cette même décision, la Haute juridiction relève par ailleurs qu’il appartient au juge saisi de conclusions tendant à ce que la responsabilité d’une personne publique soit engagée, de se prononcer sur les modalités de la réparation aux nombres desquelles figurent le prononcé d’injonctions alors même que le requérant demanderait l’annulation du refus de la personne publique de mettre fin aux dommages, assortie de conclusions à fins d’injonctions de prendre de telles mesures – ce refus devant être regardé comme ayant pour seul effet de lier le contentieux.
Aussi et dans le cas d’espèce, la décision de refus de la commune de procéder à la réfection d’une voie publique a eu « pour seul effet de lier le contentieux à l’égard de la demande » du requérant dont la requête avait bien le « caractère d’un recours de plein contentieux » du fait de la formulation d’une demande indemnitaire.
Dans ces conditions, il incombait à la cour administrative d’appel, « après avoir constaté, d’une part, que l’action engagée tendait à la mise en cause de la responsabilité de la commune et non, seulement, à l’annulation du refus de la commune d’exécuter des travaux, d’autre part, que le dommage perdurait, de déterminer si l’abstention de réaliser les travaux demandés était, eu égard au coût des travaux rapporté à la gravité du préjudice et à l’existence éventuelle d’une atteinte à l’intérêt général, constitutive d’une faute.».
L’arrêt de la cour administrative d’appel est ainsi annulé sur ce motif pour erreur de droit.
CE, 6 décembre 2019, Syndicat des copropriétaires de l’immeuble Monte-Carlo Hill, req. n° 417167.
17 janvier 2020 - Recours pour excès de pouvoir contre les actes dits de « droit souple » : le Conseil d’État considère que les délibérations du Conseil supérieur de l’audiovisuel sur la diffusion d’un programme télévisé comme faisant grief et donc susceptibles d’annulation
Le Conseil d’Etat, dans sa décision Société BFM TV du 31 décembre 2019, continue de préciser sa doctrine relative aux actes dit de « droit souple » formulée dans son étude annuelle de 2013 et en vertu de laquelle ces actes doivent pouvoir être contestés par les justiciables concernés dans la mesure où ils sont susceptibles de produire des effets de nature économique ou d’influencer les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent
En 2019, il avait eu l’occasion de se prononcer à ce sujet, sur une prise de position publique (communiqués de presse) de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CE 16 octobre 2019, Associations “La Quadrature du net” et “Caliopen”, req. n°433069, publié au recueil) ainsi que sur les prises de position publiques accompagnant la déclaration de situation patrimoniale de Haute autorité pour la transparence dans la vie publique (CE Ass., 19 juillet 2019, Mme A, req. n°426389, publié au recueil) – démontrant ainsi l’importance croissante du contentieux lié à cette catégorie d’actes.
Dans l’affaire commentée, le Conseil Supérieur de l’audiovisuel (ci-après, « CSA ») avait adopté une délibération par laquelle il avait estimé que la diffusion par la chaîne BFM TV de l’intégralité de la finale de la Ligue des champions le 1er juin 2019 ne correspondrait à aucune des catégories de programme que ce service était autorisé à diffuser et qu’elle serait incompatible avec l’article 3-1-1 de la convention conclue le 19 juillet 2005 entre le CSA et la société BFM TV. La société BFM TV avait malgré tout retransmis cet évènement en direct. Faisant suite à cette retransmission, le CSA avait alors, par une nouvelle délibération, mis la société BFM TV en demeure de se confirmer à l’avenir aux stipulations de la convention les liant.
La Haute juridiction a considérée que la première délibération « ne présente pas le caractère d’une mise en demeure ou d’une disposition générale et impérative, elle traduit la position prise par le Conseil, avant la retransmission, sur l’incompatibilité de la programmation envisagée par la société BFM TV avec les stipulations de la convention du 19 juillet 2015. Cette prise de position, qui a donné lieu à la diffusion d’un communiqué du Conseil sur son site internet, doit être regardée, dans les circonstances de l’espèce, comme ayant eu pour objet d’influer de manière significative sur le comportement de la chaîne. Eu égard à sa portée et aux conditions dans lesquelles elle a été prise, la délibération du 3 avril 2019 revêt le caractère d’un acte susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. »
Sur le fond, elle rejette les demandes d’annulations des délibérations sollicitées par BFM TV en relevant que celle-ci est une chaîne « consacrée à l’information » qui ne peut donc que procéder qu’à des « rediffusions d’évènements d’anthologie du sport » selon sa convention conclue avec le CSA et n’était par conséquent pas autorisée à retransmettre en direct et en intégralité la finale de la Ligue des champions.
CE, 31 décembre 2019, Société BFM TV, req. n° 431164.
24 janvier 2020 - Ne démontrant ni que l’échelle d’un quai portuaire est un ouvrage public exceptionnellement dangereux, ni le défaut d’entretien de celle-ci, l’usager victime d’un accident n’est pas fondé à engager la responsabilité de la personne publique
Le 5 novembre 2006, alors que son bateau de transport fluvial stationnait dans la darse n° 2 du port de Gennevilliers, Madame H a chuté du quai en utilisant l’une des échelles pour regagner son embarcation. A la suite de cette chute, elle a été hospitalisée, puis admise dans un centre de réadaptation.
Etant devenue définitivement paraplégique, Madame H a sollicité, postérieurement au dépôt du rapport d’expertise, l’indemnisation de ses préjudices au Port Autonome de Paris, lequel a rejeté cette demande, à la faveur d’une décision du 20 décembre 2013.
Les consorts H ont soumis cette décision à la censure du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en demandant la condamnation du Port autonome de Paris et de son assureur à lui verser la somme de 2.307.845,60 euros en réparation de leurs préjudices.
Les juges de première instance ayant rejeté leur recours, les consorts H ont interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Versailles.
Les juges d’appels commencent par rappeler que si « une collectivité publique peut en principe s’exonérer de la responsabilité qu’elle encourt à l’égard des usagers d’un ouvrage public victimes d’un dommage causé par l’ouvrage si elle apporte la preuve que ledit ouvrage a été normalement aménagé et entretenu », « sa responsabilité ne peut être engagée à l’égard des usagers, même en l’absence de tout défaut d’aménagement ou d’entretien normal, que lorsque l’ouvrage, en raison de la gravité exceptionnelle des risques auxquels sont exposés les usagers du fait de sa conception même, doit être regardé comme présentant par lui-même le caractère d’un ouvrage exceptionnellement dangereux ».
Or, en l’espèce, la cour administrative d’appel considère que si l’échelle de quai litigieuse présente des particularités qui supposent que les usagers l’utilisent avec précaution, elle ne saurait pour autant présenter des risques excédants ceux qui sont inhérents à ce type d’ouvrage, et présenter le caractère d’un ouvrage exceptionnellement dangereux.
Ainsi, dès lors que l’échelle ne présente pas le caractère d’un ouvrage public exceptionnellement dangereux, il revient à l’usager victime du dommage d’apporter la preuve du lien de causalité entre l’ouvrage et le dommage dont il se prévaut. En contrepartie, Port autonome de Paris peut s’exonérer en rapportant la preuve soit de l’entretien normal de l’ouvrage, soit de ce que le dommage est imputable à l’usager victime, soit encore d’un cas de force majeure.
Et, sur ce point, les consorts H prétendent que la cause de la chute de Madame H s’expliquerait par le fait que, pour accéder à l’échelle, elle a dû enjamber une poutre de couronnement formant un surplomb par rapport aux palplanches du quai contre lesquelles se trouve l’échelle.
Cependant, les juges d’appel s’appuient sur les photographies versées au débat pour relever qu’un dispositif constitué de deux crosses était présent pour pallier le manque de visibilité et permettre à l’usager d’enjamber la poutre et d’atteindre ainsi l’échelle. Ce dispositif permet donc l’utilisation suffisamment sécurisée de l’échelle de quai par un usager normalement vigilant.
Au surplus, il est également précisé à la charge de Madame H que celle-ci était habituée des installations portuaires en sa qualité de conjoint collaborateur et connaissait les lieux.
Ce faisant, la cour administrative d’appel de Versailles conclut que Port autonome de Paris a apporté la preuve de l’absence de vice de conception de l’ouvrage public en cause et, plus généralement, de son entretien normal. En conséquence, elle rejette le recours formé par les consorts H.
CAA Versailles, 16 janvier 2020, Consorts H, req. n° 17VE01304
27 janvier 2020 - Dommage de travaux publics : le Conseil d’Etat juge que l’absence d’utilisation effective de l’ouvrage lors de la survenance du dommage est sans incidence sur la qualité d’usager
De manière classique, il ressort de la jurisprudence administrative des régimes de responsabilité distincts, s’agissant des dommages causés par un ouvrage public, selon que la victime est un participant à une opération de travaux publics, qu’elle est un usager ou un tiers à l’ouvrage public.
La distinction entre ces deux dernières catégories de victimes est importante dans la mesure où, en cas de dommage, l’usager bénéficie d’un régime de faute présumée de la personne responsable de l’ouvrage public, quand le tiers peut engager la responsabilité de l’administration dans le cadre d’un régime de responsabilité sans faute, qu’il subisse un dommage permanent ou accidentel.
La qualité d’usager est habituellement reconnue à celui qui utilise l’ouvrage public de façon personnelle et directe et bénéficie de cet ouvrage, critères dont l’application par certaines décisions avaient pu suggérer que peut être alternativement qualifiée d’usager ou de tiers à l’ouvrage public une même personne, selon qu’elle utilise ou non l’ouvrage au moment de la survenance du dommage (voir, pour une illustration ancienne, CE, 4 février 1972, Min. des postes et télécommunications, req. n° 82473).
Dans une décision rendue le 17 janvier 2020 (Société EDF, req. n°433506) en matière de référé-provision, le Conseil d’Etat a précisé les conséquences, sur la qualification de la victime, de la circonstance qu’elle utilisait ou non l’ouvrage lors de la survenance du dommage, lorsqu’elle est par ailleurs un usager de l’ouvrage considéré.
En l’espèce, en vertu d’une concession portant sur une usine hydroélectrique, la société EDF exploitait notamment un canal d’amenée d’eau, en surplomb d’une voie communale dont l’effondrement, du fait des eaux rejetées par ce canal, avait entraîné la rupture d’une canalisation d’adduction d’eau installée par la régie des eaux du canal de Belletrud (RECB), intervenant en matière de production et distribution d’eau.
Tant le tribunal administratif de Nice que la cour administrative d’appel de Marseille avaient considéré que la RECB avait la qualité de tiers par rapport au canal d’amenée exploité par EDF, au motif qu’elle ne prélevait pas d’eau dans ce canal lorsque le dommage s’est produit.
Le Conseil d’Etat censure l’ordonnance d’appel pour erreur de droit, en ce que le juge d’appel avait irrégulièrement subordonné la qualité d’usager de la RECB à l’égard de l’ouvrage public constitué par le canal d’amenée d’eau à ce que la RECB ait utilisé l’ouvrage au moment de la survenance du dommage.
Il s’en déduit que, s’agissant d’un sujet de droit qui utilise effectivement un ouvrage public, la circonstance qu’il n’ait pas été en cours d’utilisation de cet ouvrage lors de la survenance du dommage est sans incidence sur sa qualification : il demeure un usager de l’ouvrage, y compris lorsqu’il ne l’utilise pas, et c’est donc en application du régime de responsabilité applicable aux usagers de l’ouvrage qu’il peut obtenir réparation du dommage subi. La généralité des termes employés par la décision peut surprendre, dans la mesure où elle pourrait recouvrir y compris les usagers très ponctuels d’un ouvrage public.
Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat relève, que les premiers juges avaient également inexactement qualifié les faits, observant que la RECB utilisait effectivement le canal d’amenée d’eau.
Toutefois, constatant qu’EDF n’apportait aucun élément permettant de démontrer que le dommage aurait eu une autre cause qu’un défaut d’entretien normal de l’ouvrage, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi et confirmé le caractère non sérieusement contestable de l’obligation d’EDF de réparer les préjudices causés à la RECB.
31 janvier 2020 - Confidentialité et accès aux documents des institutions de l’Union Européenne : malgré l’existence d’une présomption jurisprudentielle de confidentialité portant sur les documents contenus dans une demande de mise sur le marché de médicaments, l’Agence européenne du médicament a toujours la possibilité de procéder à un examen concret et individuel des documents en cause
Dans un contexte juridique où la notion de « secret des affaires » prend une réelle consistance et importance juridique (notamment dernièrement avec la création d’un « référé en matière de secret des affaires » par le décret n° 2019-1502 du 30 décembre 2019 portant application du titre III de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et autres mesures relatives à la procédure contentieuse administrative), le juge de l’Union Européenne vient rappeler, dans deux affaires respectives, les principes qui fondent l’accès aux documents des institutions de l’Union ainsi que ses limites (CJUE, 22 janvier 2020, PTC Therapeutic International Ltd c/ Agence européenne des médicaments (EMA), aff. C-175/18 P et CJUE 22 janvier 2020, Animal Health Innovation GmbH c/ Agence européenne des médicaments (EMA), aff. C-178/18P).
Dans ces affaires, l’Agence européenne du médicament (EMA) avait donné accès à des tiers à des documents produits par des sociétés pharmaceutiques dans le cadre de leur demande d’autorisation de mise sur le marché de leurs médicaments. Elle considérait effectivement qu’à l’exclusion des informations occultées, ces documents ne présentaient pas un caractère confidentiel. Les sociétés pharmaceutiques concernées ont toutefois estimé que ces documents devaient bénéficier d’une présomption de confidentialité.
Par les décisions commentées, juge de l’Union vient rappeler qu’il existe, en vertu de l’article 1er du règlement n° 1049/2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, un droit d’accès au public aux documents des institutions de l’Union qui doit être le plus large possible (point 53).
Les limitations à ce principe prévues à l’article 4 dudit règlement (comprenant les intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée) doivent ainsi être interprétées et appliquées strictement.
Il ajoute que s’il existe des présomptions jurisprudentielles de confidentialité pour certaines catégories de documents tels que ceux objet du litige, il ne s’agit que d’une simple faculté pour l’institution concernée qui conserve toujours la possibilité de procéder à un examen concret et individuel des documents en cause pour vérifier si ces documents pourraient porter concrètement et effectivement atteinte à des intérêts protégés.
La légalité des décisions de l’Agence européenne du médicament donnant accès à des tiers aux documents contenus dans la demande d’autorisation de mise sur le marché des médicaments concernés est ainsi confirmée par le juge de l’Union qui rappelle également que les sociétés requérantes n’avaient pas démontré les passages des documents qui, s’ils étaient divulgués, pouvaient porter atteinte à ses intérêts commerciaux.
CJUE, 22 janvier 2020, PTC Therapeutic International Ltd c/ Agence européenne des médicaments (EMA), aff. C-175/18 P et CJUE 22 janvier 2020, Animal Health Innovation GmbH c/ Agence européenne des médicaments (EMA), aff. C-178/18 P.
15 janvier 2020 - Manquement du maître d’œuvre à son devoir de conseil
Aux termes d’une décision rendue le 8 janvier 2020, le Conseil d’Etat rappelle le principe en vertu duquel un maître d’ouvrage public peut engager la responsabilité du maître d’œuvre qui a failli à son devoir de conseil lors de la réception d’un ouvrage concernant des désordres dont il pouvait avoir connaissance lors de la réception, sans que le caractère apparent ou non de ces vices lors de la réception n’entre toutefois en considération.
En l’espèce, Bordeaux Métropole, qui vient aux droits de la communauté urbaine de Bordeaux, avait confié la maitrise d’œuvre d’une opération d’un réseau urbain de tramway, d’une part, au Groupement d’Etudes Tramway (GET), groupement conjoint de sociétés et, d’autre part, à un groupement conjoint constitué notamment d’une agence d’architecture.
Par un autre marché signé le 26 novembre 2001, la communauté urbaine de Bordeaux avait confié les travaux de plateforme et de voirie du cours de l’Intendance et d’une partie de la place de la Comédie à un groupement d’entreprises solidaires. Ces travaux comportaient notamment la pose d’un revêtement en dallage de pierres.
La réception de ces travaux est intervenue le 8 janvier 2004 avec des réserves qui ont été levées en décembre 2004. Toutefois, des désordres affectant les dalles de revêtement sont intervenus.
En raison de ces désordres, la Métropole a saisi le Tribunal administratif de Bordeaux d’une demande tendant, à titre principal, à l’engagement de la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale et, à titre subsidiaire, à l’engagement de la responsabilité contractuelle des maîtres d’œuvre.
Par un jugement en date du 25 juillet 2016, le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de la Métropole, celle-ci a alors interjeté appel.
La Cour administrative d’appel de Bordeaux a également rejeté sa requête. Cette dernière s’est en effet fondée, pour écarter la responsabilité contractuelle des maîtres d’œuvre sur le fait que les désordres allégués ne présentaient pas de caractère apparent lors de la réception des travaux et qu’il ne résultait pas que les maîtres d’œuvre auraient eu connaissance de ces désordres au cours du chantier.
Le Conseil d’Etat rappelle ici le principe issu de la décision Société Sogreah Consultants (CE, 28 janvier 2011, req n°330693) et en vertu duquel « la responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves ».
Le Conseil d’Etat relève que la Cour administrative d’appel de Bordeaux a entaché son arrêt d’une erreur de droit dès lors qu’elle « aurait dû aussi vérifier, comme Bordeaux Métropole le lui demandait expressément, si les maîtres d’œuvre auraient pu avoir connaissance de ces vices s’ils avaient accompli leur mission selon les règles de l’art ».
La Haute Juridiction conclut ainsi que la Métropole est fondée à demander l’annulation de l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Bordeaux.
CE, 8 janvier 2020, Bordeaux Métropole, req. n°428280
29 janvier 2020 - Méthode de notation et lésion dans le cadre d’un marché lancé par une société concessionnaire d’autoroutes
Aux termes d’un arrêt rendu le 15 janvier 2020, la Cour de cassation est venue préciser que le juge judiciaire du référé précontractuel doit, dans le cadre de la passation d’un marché lancé par un concessionnaire d’autoroutes, apprécier la méthode de notation retenue au regard de son contenu et des effets qu’elle est susceptible de produire.
En l’occurrence, par un avis publié le 2 septembre 2017, la société concessionnaire d’autoroute Autoroutes du Sud de la France a lancé une procédure de passation d’un marché public ayant pour objet l’entretien des chaussées d’une section d’une autoroute.
L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, devenue l’Autorité de régulation des transports, a introduit un référé précontractuel en vertu duquel cette dernière soutenait que la méthode de notation des offres retenues ici était de nature à priver de portée le critère technique ou à neutraliser la pondération des critères de notation annoncée aux candidats.
Elle sollicitait donc par le biais de ce référé que soit prononcée l’annulation de la procédure de passation dudit marché. Toutefois, selon une ordonnance rendue le 9 janvier 2018, le Tribunal de grande instance de Nanterre a rejeté sa demande.
La Cour de cassation fait toutefois ici droit au pourvoi en rappelant tout d’abord que l’Autorité de régulation des transports « est, comme les personnes ayant intérêt à conclure l’un de ces contrats et susceptibles d’être lésées par ce manquement, habilitée à saisir le juge en la forme des référés avant la signature du contrat ».
La Cour de cassation censure ensuite le raisonnement adopté par le juge des référés précontractuels et estime que celui-ci aurait dû « vérifier objectivement si la méthode de notation retenue et appliquée par la société ASF n’était pas, par elle-même, de nature à priver de portée le critère technique ou à neutraliser la pondération des critères annoncée aux candidats, comme le soutenait l’Autorité, le juge des référés précontractuels a violé les textes susvisé ».
La Cour de cassation constatant toutefois que les marchés relatifs aux deux lots ayant été conclus, cette dernière conclut à ce qu’il « n’y a plus lieu à référé précontractuel ».
Cass., com., 15 janvier 2020, Autorité de la régulation des transports, n°18-11-134
8 janvier 2020 - Information des conseillers municipaux sur les affaires soumises à délibération
Le Conseil Municipal de Mios a approuvé, par délibération en date du 14 janvier 2015, la modification de son plan local d’urbanisme.
L’association Légalité et urbanisme à Mios (LUM) a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d’une requête en excès de pouvoir dirigée contre cette délibération. Elle faisait notamment valoir que les dispositions de l’article L.2121-12 du code général des collectivités territoriales, aux termes desquelles « dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal » n’avaient pas été respectées.
Le tribunal administratif n’a pas fait droit à la requête de l’association, tout comme la Cour administrative d’appel de Bordeaux, en sorte que l’association a saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi.
Le Conseil d’Etat commence par préciser qu’il « résulte des dispositions [de l’article L.2121-12 du CGCT] que, dans les communes de 3 500 habitants et plus, la convocation aux réunions du conseil municipal doit être accompagnée d’une note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l’ordre du jour » et que « le défaut d’envoi de cette note ou son insuffisance entache d’irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n’ait fait parvenir aux membres du conseil municipal, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d’une information adéquate pour exercer utilement leur mandat ».
Et le Conseil d’Etat d’ajouter que « cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires, doit permettre aux intéressés d’appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Elle n’impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés, à qui il est au demeurant loisible de solliciter des précisions ou explications conformément à l’article L. 2121-13 du même code, une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises ».
Dans le cas de la délibération adoptée par le Conseil Municipal, la notice de présentation, les conclusions et l’avis du commissaire enquêteur n’avaient pas été joints à la convocation adressée aux membres du Conseil Municipal.
Si la Cour a estimé que « la transmission du projet de délibération mentionnant l’annexion du projet de modification et du rapport du commissaire enquêteur mettait les conseillers municipaux à même de les réclamer », le Conseil d’Etat casse l’arrêt de la Cour en énonçant que « la seule circonstance que le projet de délibération faisait référence à des documents ayant vocation à être annexés à la délibération à intervenir ne suffit pas à regarder l’obligation résultant de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales comme remplie ».
La Cour administrative d’appel ayant commis une erreur de droit dans l’interprétation du code général des collectivités territoriales, le Conseil d’Etat annule l’arrêt en date du 26 avril 2018 et renvoie l’affaire devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux.
CE, 31 décembre 2019, Association Légalité et urbanisme à Mios, req. n° 421780.
13 janvier 2020 - Transformation du groupe public ferroviaire : les décrets portant statuts des nouvelles entités ont été publiés
Alors que la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire et l’ordonnance n° 2019-552 du 3 juin 2019 portant diverses dispositions relatives au groupe SNCF avaient fixé au 1er janvier 2020 la prise d’effet de la restructuration du groupe public ferroviaire, le gouvernement a attendu les dernières heures de l’année 2019 pour l’adoption d’une pluralité de décrets nécessaires à l’entrée en vigueur du nouveau dispositif.
Pour mémoire, c’est une « sociétisation » des entités du groupe public ferroviaire qui a été décidée, des sociétés anonymes à capitaux intégralement publics s’étant substituées, au 1er janvier 2020, aux anciens établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités. La société nationale SNCF succède à l’ancien EPIC dit « de tête » ; la société SNCF Voyageurs succède à l’EPIC SNCF Mobilité, et la société SNCF Réseau à l’EPIC du même nom. La principale modification structurelle du groupe public réside dans la translation, dans le giron de SNCF Réseau, de la gestion des gares de voyageurs, laquelle donne lieu à la création d’une filiale spécifique.
Par quatre décrets du 31 décembre 2019, les nouveaux statuts de chacune de ces entités ont été approuvés :
Parmi les quelques points discutés avant l’élaboration de ces statuts, l’on observe notamment que SNCF Voyageurs conserve statutairement l’exploitation d’installations de services (à l’exception des gares de voyageurs), qui constitueront un enjeu important dans la perspective de l’ouverture à la concurrence.
Ces textes ne sont toutefois qu’une partie du bloc normatif adopté en cette fin d’année.
Le décret n° 2019-1582 a ainsi été adopté pour préciser les règles de financement des investissements de SNCF Réseau (procédant de la fameuse « règle d’or », qui impose à SNCF Réseau le respect d’un ratio entre sa dette financière nette et sa marge opérationnelle).
Un décret n° 2019-1516 définit les règles de gestion domaniale applicables à la société SNCF Réseau et à SNCF Gares & Connexions, notamment en matière de déclassement, de cession (par exemple aux collectivités territoriales, en vertu des dispositions de l’article L. 2111-20-1 du code des transports) ou de transfert de gestion.
Autre enjeu essentiel pour l’ouverture à la concurrence, des précisions ont été apportées, par décret n° 2019-1450 du 24 décembre 2019 sur les conditions de transfert des ateliers de maintenance à la demande des autorités organisatrices qui le solliciteront pour l’exploitation des services conventionnés. Pour définir ceux des ateliers de maintenance dont le transfert pourra ainsi être sollicité par les autorités organisatrices, le VIII de l’article 21 de la loi du 27 juin 2018 avait retenu le critère de l’ « utilisation majoritaire » des ateliers de maintenance, en se référant au « volume d’activité consacré à la maintenance des matériels roulants affectés au contrat de service public, par rapport au volume d’activité consacré à la maintenance des matériels roulants ferroviaires des autres utilisateurs de cet atelier ». Le décret n° 2019-1450 vient préciser que ce volume d’activité s’apprécie au regard de « la durée d’utilisation des voies de cet atelier sur une période d’un an », mesurée « par la différence entre le moment d’arrivée effective et le moment de départ effectif de ce matériel roulant », tandis que la période d’un an considérée correspondra aux douze mois précédant la date de la demande formulée par l’autorité organisatrice. Alors que la pertinence de ce critère avait été mise en doute à plusieurs reprises par l’Autorité de régulation des transports (ART), tant du fait de la disponibilité de l’information que, sans le dire, de son possible détournement, c’est donc bien un critère de durée d’occupation qui a été retenu par le pouvoir réglementaire et qui pourrait donner lieu à une mise en œuvre délicate.
Enfin, un décret n° 2019-1583 est venu définir les règles relatives à l’élaboration du contrat entre l’Etat et SNCF Gares & Connexions, en cohérence avec les dispositions du code des transports, ce contrat ayant notamment pour objet d’assigner des objectifs ou obligations à Gares & Connexions, s’agissant de sa trajectoire financière, de la qualité de service rendu, de la rénovation des gares ou de l’accès des entreprises ferroviaires à ces dernières.
En dernier lieu, il convient de souligner également l’adoption de plusieurs textes relatifs aux conditions d’accès aux services conventionnés pour certaines catégories d’usagers (décrets n° 2019-1522 à n° 2019-1525) et un décret relatif aux conditions de saisine de l’ART sur la nomination, le renouvellement ou la révocation du dirigeant de la société SNCF Réseau.
Décret n° 2019-1450 du 24 décembre 2019 fixant les conditions d’évaluation des volumes d’activité consacrés à la maintenance de matériels roulants ferroviaires
6 janvier 2020 - Publication au Journal officiel du 1er janvier 2020 de deux décrets concernant la rupture conventionnelle dans la fonction publique
Deux décrets datant du 31 décembre 2019 ont été publiés au Journal officiel du 1er janvier 2020 et sont entrés en vigueur le jour même, à savoir :
Le premier décret, le décret n°2019-1593, est pris pour application des I et III de l’article 72 de la loi n°2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.
Ce décret a pour objet d’instaurer une procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique et précise les conditions de sa mise en œuvre.
On relèvera à ce titre que le chapitre Ier du décret est consacré aux fonctionnaires et précise que, pour ces derniers, la procédure de rupture conventionnelle est créée à titre expérimentale pour une période allant ainsi du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2025.
Toujours s’agissant du chapitre Ier, on retiendra pour l’essentiel que l’article 2 du décret précise que la procédure de rupture conventionnelle peut être engagée « à l’initiative du fonctionnaire ou de l’administration, de l’autorité territoriale ou de l’établissement dont il relève ».
L’article 6 de ce décret prévoit quant à lui que chacune des parties dispose d’un droit de rétractation qui s’exerce « dans un délai de quinze jours francs, qui commence à courir un jour franc après la date de la signature de la convention de rupture conventionnelle ».
Enfin, on relèvera que ledit décret prévoit également les modalités de procédure applicables aux agents contractuels de la fonction publique de l’Etat (article 9), à ceux de la fonction publique territoriale (article 10), et aussi aux agents contractuels de la fonction publique hospitalière (article 11).
S’agissant du second décret, le décret n°2019-1596, celui-ci fixe les règles relatives au montant plancher de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle instaurée par l’article 72 de la loi n°2019-828 tout en précisant les modalités de calcul ainsi que le montant plafond de cette indemnité.
A ce titre, l’article 2 de ce décret précise que le montant de l’indemnité ne pourra pas être inférieur aux montants suivants, à savoir :
Un montant maximum est également fixé à l’article 3 et selon lequel ce montant ne pourra pas excéder « une somme équivalente à un douzième de la rémunération brute annuelle perçue par l’agent par année d’ancienneté, dans la limite de vingt-quatre ans d’ancienneté ».
Enfin, on relèvera que ce même décret tire les conséquences de l’instauration de cette indemnité spécifique de rupture conventionnelle en abrogeant à compter du 1er janvier 2020 l’indemnité de départ volontaire pour création ou reprise d’entreprise existante dans la fonction publique de l’Etat et la fonction publique territoriale ainsi que l’indemnité de départ volontaire pour projet personnel existante dans la fonction publique territoriale.
10 janvier 2020 - Le versement de l’indemnité de départ volontaire de la fonction publique suppose que l’ancien agent ait sollicité son attribution avant la création ou la reprise d’une entreprise
A compter du mois de novembre 2000, M. A, ingénieur du génie rural, des eaux et des forêts, a été placé sur sa demande en disponibilité pour convenances personnelles. En application du décret du 17 avril 2008, il a sollicité pour la première fois, au mois de juin 2011, et sans succès, le versement d’une indemnité de départ volontaire. M. A a renouvelé sa demande en décembre 2014, laquelle a de nouveau été rejetée par décision prise par le ministre de l’agriculture le 2 avril 2015.
S’estimant lésé, M. A a déféré cette décision à la censure du juge administratif. Mais, tant le tribunal administratif de Paris que la cour administrative de Paris ont rejeté ses recours.
Saisi par pourvoi, le Conseil d’État, aux termes de l’article 3 du décret du 17 avril 2008 instituant l’indemnité de départ volontaire, rappelle qu’une telle indemnité ne peut être attribuée qu’aux agents publics qui la demandent avant de créer ou de reprendre une entreprise.
Or, en l’espèce, pour refuser le bénéfice de cette indemnité à M. A, les juges d’appel ont relevé qu’au 26 avril 2013, date à laquelle il avait effectivement créé son entreprise d’expertise comptable et de commissaire aux comptes, il n’avait pas quitté définitivement la fonction publique.
La Haute Juridiction censure pour erreur de droit l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel. En effet, cette dernière avait considéré, en méconnaissance du décret du 17 avril 2018, que le départ définitif de la fonction publique de M. A devait être préalable à la création de son entreprise.
L’affaire est donc renvoyée à la Cour administrative d’appel de Paris.
CE, 24 décembre 2019, M. A, req. n° 423168
20 janvier 2020 - Décision de non renouvellement du contrat d’un agent non titulaire et faute de l’administration
Madame D a été engagée par la commune de Rueil-Malmaison en qualité de rédacteur territorial non titulaire pour exercer les fonctions d’assistante de direction de l’office de tourisme de la ville. Son contrat a été renouvelé et elle a alors exercé les fonctions de directrice de l’office de tourisme. Un contrat à durée indéterminée a ensuite été conclu entre Madame D et l’office de tourisme de Rueil-Malmaison.
Son contrat a toutefois été transformé, par un avenant en date du 10 décembre 2015, en contrat à durée déterminée avec un terme fixé au 30 avril 2016.
En début d’année 2016, le président de l’office de tourisme de Rueil-Malmaison informait Madame D du non-renouvellement de son contrat de travail.
Cette dernière a alors saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’une requête tendant à ce que la responsabilité de l’office de tourisme soit engagée, et à ce que son préjudice soit indemnisé.
La condamnation prononcée par le Tribunal administratif ayant été limité à la somme de 36.400 euros, Madame D a saisi la Cour administrative d’appel de Versailles.
Le Tribunal administratif de Cergy Pontoise avait considéré que l’office de tourisme de Rueil-Malmaison avait commis trois fautes qui étaient de nature engager sa responsabilité, lesquelles tenaient en la transformation du contrat à durée indéterminée en contrat à durée déterminée, dans le détournement de procédure, et au fait que le licenciement n’était pas justifié par l’intérêt du service.
La Cour administrative d’appel de Versailles juge que la décision de ne pas renouveler le contrat de la requérante n’était pas justifiée par l’intérêt du service résultant de sa manière de servir et de l’existence d’une perte de confiance « mais résultait d’une volonté délibérée de l’évincer du service ». Elle retient ainsi que « cette éviction présentait un caractère abusif caractérisant l’existence d’un détournement de pouvoir », et estime que Madame D est bien fondée à soutenir qu’il en résulte une faute distincte de nature à engager la responsabilité de l’administration.
S’agissant de la réparation du préjudice de Madame D, la Cour précise qu’ « en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité des personnes publiques, l’agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre, y compris au titre de la perte des rémunérations auxquelles il aurait pu prétendre s’il était resté en fonctions », et que « lorsque l’agent ne demande pas l’annulation de cette mesure mais se borne à solliciter le versement d’une indemnité en réparation de l’illégalité dont elle est entachée, il appartient au juge de plein contentieux, forgeant sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties, de lui accorder une indemnité versée pour solde de tout compte et déterminée en tenant compte notamment de la nature et de la gravité des illégalités affectant la mesure d’éviction, de l’ancienneté de l’intéressé, de sa rémunération antérieure ainsi que, le cas échéant, des fautes qu’il a commises ».
Après avoir rappelé le montant des indemnités que l’office de tourisme avait été condamné à verser à la requérante par le Tribunal administratif, la Cour réévalue ce montant « compte tenu des conditions dans lesquelles l’intéressée a été licenciée, de son ancienneté, de sa rémunération nette mensuelle de 2 800 euros à la date de son éviction, et de ses difficultés à retrouver un emploi en raison de son âge ».
Partant, la condamnation de l’office de tourisme de Rueil-Malmaison, arrêté en première instance à la somme totale de 36 400 euros, est portée en appel à la somme de 49 400 euros.
CAA Versailles, 16 janvier 2020, D c/ Office de tourisme de Rueil Malmaison, req. n° 18VE03954
22 janvier 2020 - A l’issue d’une opération de construction, l’action d’un constructeur à l’encontre d’un autre se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer
La SNC Finance Plus a, en qualité de maître d’ouvrage, entrepris la construction d’un immeuble, pour lequel elle s’est adjoint les services de M. X, architecte, et de M. Y, carreleur assuré en garantie décennale par la société Maaf Assurances.
Les travaux ont été réceptionnés le 23 décembre 1999.
Mais, se plaignant de l’absence de dispositif d’évacuation des eaux pluviales sur la terrasse d’un appartement et de l’existence de traces sur certaines façades de l’immeuble, le syndicat des copropriétaires a assigné, le 17 décembre 2009, M. X, le 28 décembre 2009, M. Y, et le 25 janvier 2010, la Maaf, en référé expertise.
Un expert a été désigné par ordonnance de référé du 9 février 2010, et aux termes des opérations d’expertise, le syndicat des copropriétaires a assigné M. X en indemnisation par acte du 11 décembre 2013, cependant que ce dernier a appelé en garantie M. Y et la société Maaf par actes du 10 et 12 juin 2014.
Par arrêt du 5 mars 2018, la Cour d’appel de Riom a déclaré l’action en garantie prescrite sur le fondement de l’article 1792-4-3 du code civil, lequel prévoit qu’une prescription de dix ans à compter de la réception s’applique aux recours entre constructeurs fondés sur la responsabilité contractuelle ou quasi-contractuelle.
La Cour d’appel conclut donc que M. Y et la Maaf ont été assignés en référé postérieurement à l’expiration du délai décennal.
Saisie de ce litige, la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel le recours d’un constructeur contre un autre constructeur a pour objet de déterminer la charge définitive de la dette que doit supporter chaque responsable.
Cependant, la troisième chambre civile précise, en faisant référence à sa jurisprudence du 8 février 2012 (Cass., 3e civ., 8 février 2012, n° 11-11417), qu’une telle action ne pouvant être fondée sur la garantie décennale, est nécessairement de nature contractuelle ou quasi-contractuelle, selon que les constructeurs soient ou contractuellement liés.
Or, ni le point de départ ni le délai de prescription de l’action en garantie exercée par un constructeur à l’encontre d’un autre ne relèvent de l’article 1792-4-3 du code civil, ces dispositions ayant vocation à s’appliquer uniquement aux actions en responsabilité à l’initiative du maître d’ouvrage contre les constructeurs ou les sous-traitants.
Pour la Cour de cassation, fixer la date de réception comme point de départ du délai de prescription de l’action d’un constructeur à l’encontre d’un autre pourrait avoir pour effet de priver ce premier du droit d’accès à un juge, lorsqu’il est assigné par le maître d’ouvrage en fin de délai d’épreuve.
Ainsi, selon la troisième chambre civile, le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du code civil, lesquelles prévoient que l’action se prescrit par cinq ans, à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Or, la troisième chambre civile fait une nouvelle fois preuve de pédagogie en rappelant les termes de sa jurisprudence du 19 mai 2016 (Cass., 3e civ., 19 mai 2016, n° 15-11355) selon laquelle l’assignation en référé-expertise délivrée par le maître d’ouvrage à l’entrepreneur principal mettant en cause la responsabilité de ce dernier constitue le point de départ du délai de son action récursoire à l’encontre des sous-traitants.
Partant, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel, en ce qu’il a déclaré prescrite l’action en garantie exercée par M. X prescrite contre M. Y et la société Maaf.