6 janvier 2021 - Un candidat évincé peut introduire autant de référés contractuels qu’il le souhaite s’il soulève de nouveaux manquements et que le délai de suspension de la signature du contrat n'est pas expiré
Dans le cadre de l’affaire commentée, Société Pompes funèbres funérarium Lemarchand, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser qu’un candidat évincé peut introduire autant de référés contractuels qu’il le souhaite s’il soulève de nouveaux manquements et que le délai de suspension de la signature du contrat n’est pas expiré.
Il relève effectivement, pour exclure l’irrecevabilité soulevée à l’encontre des conclusions de la Société Pompes funèbres funérarium Lemarchand, que la circonstance qu’un candidat évincé ait déjà exercé deux référés précontractuels au cours desquels il aurait pu soulever le manquement dont il se prévalait, ne faisait pas obstacle à ce qu’il forme un nouveau référé précontractuel tant que le délai de suspension de la signature du contrat n’était pas expiré :
« pour conclure à l’irrecevabilité des conclusions de la société Pompes funèbres funérarium Lemarchand en annulation de la convention de concession de service public présentées sur le fondement des dispositions précitées des articles L. 551-13 et L. 551-18 du code de justice administrative, le juge des référés a relevé qu’en admettant que la commune de Challans ait méconnu le délai pendant lequel elle ne devait pas signer le contrat, cette méconnaissance n’avait pas privé la société de son droit de saisir le juge du référé précontractuel d’une troisième requête invoquant un nouveau manquement dès lors qu’elle avait déjà pu présenter deux référés précontractuels rejetés au fond. En statuant ainsi, alors que la circonstance que la société évincée avait déjà exercé deux référés précontractuels au cours desquels elle aurait pu soulever le manquement dont elle se prévalait, ne faisait pas obstacle à ce qu’elle forme un nouveau référé précontractuel tant que le délai de suspension de la signature du contrat n’était pas expiré, l’auteur de l’ordonnance attaquée a commis une erreur de droit ».
Une décision dont la portée était proche avait d’ailleurs été récemment adoptée en matière de référé suspension (CE, 29 juin 2020, SCI Eaux Douces, req. n° 435502).
Le Conseil d’Etat y précise également que le pouvoir adjudicateur peut signer le contrat sans attendre que la décision juridictionnelle lui soit directement notifiée s’il est informé du rejet de l’ordonnance rendue par le biais de son avocat qui en a reçu la notification.
En effet, dans ces circonstances, le pouvoir adjudicateur « doit être [regardé] comme (…) ayant reçu notification [de la décision juridictionnelle] au sens et pour l’application de l’article L. 551-4 du code de justice administrative ».
La demande de la Société Pompes funèbres funérarium Lemarchand est, dans ces conditions, rejetée.
CE, 8 décembre 2020, Société Pompes funèbres funérarium Lemarchand, req. n° 440704.
8 janvier 2021 - Une offre ne peut être qualifiée d’irrégulière au seul motif qu’elle proposerait un prix inférieur au montant minimum de l’accord-cadre figurant dans les documents de la consultation
La Région Provence-Alpes-Côte d’Azur a initié la conclusion d’un accord-cadre mono-attributaire portant sur la fourniture et la maintenance de déshydrateurs thermiques et la collecte, le transport et la valorisation des biodéchets pour un groupement de commande constitué de sept lycées membres.
La Région a informé la société C., classée en seconde position, du rejet de son offre et de l’attribution du marché à la société D. La société C. a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Marseille en vue d’obtenir la censure de la décision rejetant sa candidature mais également de la procédure de passation de l’accord-cadre.
Par une ordonnance du 18 septembre 2020, le juge des référés a annulé la procédure attaquée et a enjoint à la Région, si elle entendait conclure un marché ayant le même objet, de lancer une nouvelle procédure. La Région Provence-Alpes-Côte d’Azur s’est pourvue en cassation contre l’ordonnance rendue
Le Conseil d’Etat applique, tout d’abord, le principe tiré de la décision Société Autocars de l’Ile de Beauté (CE, 9 novembre 2015, req. n° 392785) en vertu duquel l’acheteur est tenu d’exiger la production de justificatifs par les candidats lorsque la valeur des offres est examinée au regard d’une caractéristique technique déterminée :
« Lorsque, pour fixer un critère ou un sous-critère d’attribution du marché, le pouvoir adjudicateur prévoit que la valeur des offres sera examinée au regard d’une caractéristique technique déterminée, il lui incombe d’exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l’exactitude des informations données par les candidats ».
En l’occurrence, le juge des référés avait censuré la procédure en estimant que la Région avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence dès lors que, selon lui, « le respect effectif des normes européennes » constituait une exigence précise, sanctionnée par le système de notation des offres, impliquant dès lors la production de justificatifs.
Néanmoins, selon les juges du Palais Royal, la lecture du règlement de la consultation permettait de vérifier que l’ergonomie des équipements constituait seulement un élément d’appréciation du critère de la valeur technique. Cet élément d’appréciation ne comportait dès lors pas de conséquences directes sur la notation des offres.
Aussi, dès lors qu’était en cause un simple élément d’appréciation, le Conseil d’Etat en déduit qu’il n’était pas obligatoire d’exiger la production de justificatifs permettant à l’acheteur de vérifier l’exactitude des informations fournies s’agissant du respect des normes européennes de sécurité des personnes par les candidats et leurs équipements. En conséquence, le Conseil d’Etat estime ainsi que la Région est donc fondée à demander l’annulation de l’ordonnance litigieuse.
En outre, par cette décision, le Conseil d’Etat précise qu’une offre ne peut être considérée comme irrégulière en raison du fait qu’elle proposerait un prix inférieur au montant minimum de l’accord-cadre :
« une offre ne saurait être regardée comme ne respectant pas les exigences du règlement de la consultation au seul motif que le prix qu’elle propose est inférieur au montant minimum de l’accord-cadre figurant dans le règlement de la consultation. La société Cuisine froid professionnel n’est, par suite, pas fondée à soutenir que l’offre de la société Diffusion solutions écologiques serait irrégulière au motif que le détail quantitatif estimatif qu’elle a soumis, aux fins de la notation de son offre sur le critère du prix, afficherait un total inférieur au montant minimum de l’accord-cadre. Elle ne peut davantage soutenir que cette circonstance révélerait une ambiguïté des documents de la consultation ».
En l’espèce, la société évincée avait en effet soutenu que l’offre de la société attributaire était irrégulière en ce que le détail quantitatif estimatif qu’elle a soumis, affichait un total inférieur au montant minimum de l’accord-cadre.
Conséquemment, le Conseil d’Etat censure l’ordonnance attaquée.
CE, 24 décembre 2020, Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, req. n°445078
15 janvier 2021 - Un candidat évincé peut-il être indemnisé lorsque son offre était irrégulière mais pouvait faire l’objet d’une régularisation ?
Par une décision en date du 18 décembre 2020, le Conseil d’Etat considère que lorsque l’offre d’un candidat évincé était irrégulière et alors même que l’offre de l’attributaire l’était aussi, la circonstance que le pouvoir adjudicateur aurait été susceptible de faire usage de la faculté de l’autoriser à régulariser son offre n’est pas de nature, par elle-même, à ce qu’il soit regardé comme n’ayant pas été dépourvu de toute chance de remporter le contrat.
En l’espèce, le centre hospitalier de Chambéry a lancé une consultation en vue de la conclusion d’un marché de conception réalisation portant sur la construction d’un nouveau bâtiment hospitalier. La société Architecte Studio, dont l’offre a été classée en deuxième position, a saisi le tribunal administratif afin qu’il prononce l’annulation du marché et qu’il fasse droit à sa demande d’indemnisation de ses préjudices résultant de son éviction irrégulière.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle le principe de l’indemnisation des candidats irrégulièrement évincés d’un marché public selon lequel (CE, 18 juin 2003, Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, Société BIwater et Société Aqua req. n° 249630) :
Etant précisé que si l’acheteur renonce à conclure le contrat pour un motif d’intérêt général, le candidat perd alors tout droit à indemnité.
Dans un second temps, le Conseil d’Etat confirme et précise sa jurisprudence SIVOM de Saint-François-Longchamp Montgellafrey (8 octobre 2014, req. n° 370990).
En effet il confirme que lorsque l’offre d’un candidat irrégulièrement évincé d’une procédure de passation d’un marché est irrégulière, ce candidat, de ce seul fait, ne peut être regardé comme ayant été privé d’une chance sérieuse d’obtenir le marché, y compris lorsque l’offre retenue était tout aussi irrégulière.
Il précise en outre, que la circonstance selon laquelle l’acheteur aurait été susceptible de faire usage de la faculté de l’autoriser à régulariser son offre (article R. 2152-2 du Code de la commande publique) n’est pas de nature, par elle-même, à ce qu’il soit regardé comme n’ayant pas été dépourvu de toute chance de remporter le marché.
CE, 18 décembre 2020, Société Architecture Studio, req. n° 429768
29 janvier 2021 - Conservation des documents des marchés publics : Parution d’un référentiel pour éclairer les acteurs de la commande publique
Le service interministériel des archives de France (ci-après « le SIA ») a publié un référentiel de conservation le 6 janvier 2021 portant préconisations de sélection et de conservation des documents des marchés publics.
Rappelons qu’aux termes de l’article L. 211-1 du Code du patrimoine les archives sont définies comme « l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité ».
Le SIA rappelle que les documents produits dans le cadre des marchés publics sont considérés comme des archives publiques.
A cet égard, les articles R. 2184-12 et R. 2184-13 du Code de la commande publique prévoient l’obligation pour les acheteurs de conserver les candidatures et les offres et les documents relatifs à la passation du marché ainsi que ses pièces constitutives pendant une durée minimale.
Le référentiel donne des préconisations relatives aux durées d’utilité administrative, qu’il définit comme « le laps de temps durant lequel les services doivent conserver les documents qu’ils ont produits dans le cadre de leurs activités, parce que ces derniers, bien que n’étant plus d’utilisation courant, revêtent encore un intérêt administratif ». Ces recommandations tiennent compte des récentes évolutions normatives.
Il est ainsi préconisé de conserver durant :
Toutefois, la durée de conservation peut être allongée pour les dossiers identifiés « à risques ». En effet, le guide identifie trois matières pouvant faire l’objet d’un allongement de la durée d’utilité administrative :
A l’issue de la durée de conservation, les documents sont soit éliminés, soit transférés vers le service d’archives compétent pour conservation définitive à des fins historiques, mémorielles et patrimoniales. Etant précisé que toute élimination (papier ou électronique) doit être autorisée par la personne en charge du contrôle scientifique et technique sur les archives publiques.
22 janvier 2021 - Le sous-traitant d’un marché public est fondé à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de l’acheteur en vue d’obtenir l’indemnisation du préjudice subi du fait de la résiliation de ce contrat
En l’occurrence, le syndicat d’agglomération nouvelle Ouest Provence avait attribué à la société SMA Environnement un marché ayant pour objet l’exploitation de centres de transfert de déchets ménagers et le traitement des ordures ménagères en centre de stockage des déchets ultimes.
Toutefois, le préfet des Bouches-du-Rhône avait, dans le cadre de l’exercice de son contrôle de légalité, informé le président du syndicat de l’irrégularité de la procédure d’attribution de ce marché et lui avait demandé de procéder au retrait du lot n° 2 de l’opération. Aussi, par la suite, selon une décision du 6 août 2013, le président de ce syndicat a résilié le marché conclu.
Dans ce cadre, les sociétés SMA Environnement, SMA Propreté et SMA Vautubière ont sollicité l’allocation d’une indemnité en réparation des préjudices prétendument subies. On précisera que les sociétés SMA Propreté et SMA Vautubière avaient la qualité de « sous-traitant » dans le cadre du présent marché. Le président du syndicat a toutefois rejeté la réclamation indemnitaire des sociétés.
Ces sociétés ont saisi le tribunal administratif de Marseille de deux requêtes introductives d’instance tendant l’annulation de la décision de résiliation du marché, à la reprise des relations contractuelles ainsi qu’à l’annulation de la décision du 12 mars 2014 rejetant leur demande indemnitaire et à l’indemnisation de leur préjudice. Par un jugement du 5 avril 2017, le tribunal administratif de Marseille a toutefois rejeté leurs demandes.
Les sociétés requérantes ont donc interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Marseille qui, par un arrêt du 23 mai 2018, a jugé qu’il n’y avait pas lieu de se prononcer sur les conclusions relatives à la reprise des relations contractuelles dès lors que le terme du marché était intervenu le 31 août 2017 tout en rejetant également le surplus de leur appel.
Les requérantes se sont pourvues en cassation à l’encontre de cet arrêt. Par une décision du 27 novembre 2019 (req. n°422600), le Conseil d’Etat a décidé d’annuler l’article 2 de l’arrêt rendu par la CAA de Marseille – cet article rejetait en effet le surplus de l’appel des requérantes – et renvoyé l’affaire devant la Cour.
On précisera que, dans le cadre de la présente instance, les sociétés requérantes demandaient, à titre principal, la condamnation du syndicat à hauteur de 1.526.252 euros HT en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation du marché. A titre subsidiaire, elles sollicitaient la condamnation de l’acheteur à leur verser une somme forfaitaire contractuelle de 934 000 euros hors taxes du fait de la résiliation du marché.
En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Marseille rappelle qu’un sous-traitant, régulièrement accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées, n’est pas fondé à rechercher la responsabilité contractuelle de l’acheteur. Néanmoins, cet arrêt précise qu’un sous-traitant demeure fonder à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de l’administration en vue d’obtenir l’indemnisation du préjudice subi du fait de la décision de résiliation du marché :
« les sociétés SMA Vautubière et SMA Propreté, en leur qualité de sous-traitante de la société SMA Environnement, régulièrement acceptée et dont les conditions de paiement ont été agréées, sont fondées à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de la métropole Aix-Marseille Provence en vue de l’indemnisation du préjudice subi du fait de la résiliation du marché litigieux prononcée le 6 août 2013. Dans la mesure où le contrat de sous-traitance a été résilié du seul fait du maître de l’ouvrage, leur droit à indemnisation s’étend, comme pour le titulaire du marché, non seulement à tous les travaux qui ont été réalisés avant la résiliation, mais aussi aux gains que ce sous-traitant pouvait normalement escompter de la réalisation des travaux. En revanche, et ainsi que le fait valoir la métropole Aix-Marseille Provence, la qualité de sous-traitante des SMA Propreté et SMA Vautubière ne leur permet pas d’engager la responsabilité contractuelle de l’administration. Par suite, et ainsi que l’a jugé le tribunal, les conclusions présentées à titre subsidiaire par ces deux sociétés tendant à obtenir l’indemnité contractuelle de résiliation sont irrecevables ».
Il sera relevé que le juge d’appel précise d’ailleurs que le droit à indemnisation du sous-traitant s’étend à tous les travaux qui ont été réalisés avant la résiliation (i) mais également aux gains que le sous-traitant pouvait normalement attendre de la réalisation des travaux (ii).
La cour administrative d’appel considère que les conclusions des sous-traitantes tendant à l’obtention de l’indemnité contractuelle sont dès lors irrecevables. S’agissant des conclusions présentées sur le fondement de la faute commise par le syndicat en ce qu’il a résilié le marché, celles-ci sont rejetées dès lors que ce contrat a été résilié pour un motif d’intérêt général tiré de l’exercice du contrôle de légalité relevant une irrégularité affectant la procédure d’attribution.
11 janvier 2021 - L’installation d’un ensemble technique d’une usine, même technique et d’une certaine importance, ne constitue pas un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil, lorsqu’elle n’a pas fait l’objet de travaux de construction
En vue de la construction d’une usine, la société A a, en qualité de maître d’ouvrage, conclu un contrat de maîtrise d’œuvre avec un architecte et les sociétés Technip, Synergie et Betec. La société A a ensuite confié l’exécution des travaux relevant du lot « froid industriel et climatisation » à la société Imef, aux droits de laquelle vient la société B.
Ayant constaté des désordres, la société A a, après expertise, assigné les sociétés B, Technip et Synergie en indemnisation de ses préjudices.
Aux termes d’un arrêt rendu le 10 janvier 2019, la cour d’appel de Limoges a fait droit à la demande formulée par le maître d’ouvrage et a condamné in solidum les sociétés B, Technip et Synergie sur le fondement de la responsabilité décennale, en retenant une part de responsabilité équivalente à un tiers pour chacune d’elles.
Pour ce faire, les juges d’appel ont considéré que l’article 1792 du code civil devait s’appliquer au cas d’espèce, dans la mesure où les équipements industriels de l’usine qui présentaient des désordres constitue un ensemble technique qui, compte tenu de son importance et de sa technicité, doit être qualifié d’ouvrage.
Réfutant toute condamnation, les sociétés B, Technip et Synergie se sont toutes trois pourvues en cassation, prétendant qu’elles n’auraient pas dû être condamnées in solidum à verser au maître d’ouvrage des sommes au titre de la réparation des désordres d’une part et à titre de dommages-intérêts d’autre part.
Ces trois sociétés font valoir à cet égard, par des argumentations sensiblement comparables, que les équipements industriels de l’usine ne sauraient relever de la garantie décennale dans la mesure où leur installation n’a nécessité aucun travaux de construction, mais uniquement des travaux de pose.
Ainsi, selon elles, ces équipements industriels ne sauraient s’apparenter à un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil, excluant de fait toute responsabilité de leur part.
Saisie de ce contentieux, la Cour de cassation rappelle, au visa de l’article 1792 du code susvisé, que « tout constructeur est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination ».
Ce principe rappelé, la troisième chambre civile relève que pour considérer que les dispositions de cet article étaient applicables au cas d’espèce, les juges d’appel ont retenu que la centrale frigorifique installée dans l’usine de la société A comprend des chambres froides, des appareils techniques divers et complexes qui occupent plusieurs locaux de l’usine et sont reliés à des armoires électriques, qu’ils sont également raccordés entre eux par un réseau d’importantes canalisations qui traversent les cloisons des locaux pour desservir des lieux distincts et sont fixées à l’ossature métallique de l’immeuble par des points d’ancrage.
En dépit du fait que certaines des machines sont seulement posées au sol, la Cour d’appel a estimé que cet ensemble technique, relié dans ses différentes composantes, doit être qualifié d’ouvrage, compte tenu de son importance et de sa technicité.
La troisième chambre civile censure cette interprétation, retenant au contraire que l’installation atteinte de désordres n’avait pas fait l’objet de travaux de construction.
Partant, l’article 1792 du code civil étant inapplicable aux faits de l’espèce, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt et renvoie les parties devant la Cour d’appel de Limoges.
Cass., 3e civ., 17 décembre 2020, n° 19-14374
20 janvier 2021 - Précisions sur la qualification de domaine public concernant les lieux mixtes c’est-à-dire accueillant aussi bien une affectation publique que privée
Dans le cadre d’une question parlementaire, Mme Christine Herzog a sollicité Madame la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales pour savoir si un maire avait la possibilité de demander à un locataire partageant une partie commune avec les locaux de la mairie, en l’espèce un couloir, de ne pas s’en servir pour entreposer du matériel ou des objets personnels encombrants.
Elle s’interrogeait plus fondamentalement sur l’éventuelle qualification de ce couloir d’entrée commun à la mairie et aux logements locatifs en bien relevant du régime de domanialité publique.
La Ministre rappelle d’abord que « selon l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), les biens font partie du domaine public à la double condition qu’ils appartiennent à une personne publique et qu’ils sont affectés soit à l’usage direct du public, soit à un service public ayant reçu un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public », et « qu’un hôtel de ville [qui] appartient à la commune et a été aménagé en vue d’accueillir les services de la mairie, (…) relève alors du domaine public communal ».
Elle précise toutefois qu’il existe des « lieux mixtes accueillant aussi bien une affectation publique que privée ». Dans ces cas, le juge s’attache alors à déterminer, en fonction de la configuration des lieux, s’il est possible ou non de séparer ces affectations. Ainsi :
Ces exemples lui permettent de conclure que « quel que soit la configuration des lieux de la mairie, un couloir d’entrée commun à la mairie et aux logements locatifs fait partie du domaine public dès lors qu’il s’agit d’une voie d’accès aux services municipaux ».
En ce sens, il avait été retenu que les logements sans affectation à un service public au sein d’un lycée ne font pas partie du domaine public « nonobstant la communauté des accès avec les locaux affectés au lycée professionnel », laquelle fait donc partie du domaine public (CAA Paris, 18 mars 1999, n° 97PA00803).
Par conséquent, aucun effet personnel ne pouvait être entreposé dans un couloir d’entrée affecté au service public d’une mairie.
Rép. Min à question n°17650 du 27 août 2020, JO Sénat du 14 janvier 2021, p. 268.
13 janvier 2021 - Jour de carence : parution du décret n° 2021-15 du 8 janvier 2021 relatif à la suspension du jour de carence pour les agents publics et certains salariés testés positifs à la Covid-19
Pour mémoire, le jour de carence dans les trois versants de la fonction publique a été créé à l’origine par l’article 105 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 avant d’être abrogé le 1er janvier 2014 par l’article 126 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.
Il convient toutefois de préciser que le jour de carence a été réintroduit, toujours pour les agents publics, par l’article 115 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 de sorte que, sauf exceptions expressément prévues par le législateur, l’agent public ne peut légalement percevoir sa rémunération qu’après le délai de carence d’un jour.
Toutefois, afin de « corriger » une inégalité entre le secteur public et le secteur privé, les sénateurs ont décidé de suspendre temporairement l’application du jour de carence pour les agents publics ayant fait l’objet d’un arrêt de travail en raison de l’épidemie de Covid-19.
C’est dans ce contexte qu’a été adopté l’article 217 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, lequel prévoit qu’il est possible de déroger à l’application du jour de carence jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire. Notons toutefois que, concernant ses conditions de mise en œuvre, l’article précité renvoyait à un décret d’application, lequel a été publié au Journal officiel du 9 janvier 2021.
C’est ainsi que le décret n° 2021-15 du 8 janvier 2021 relatif à la suspension du jour de carence au titre des congés de maladie directement en lien avec la covid-19 accordés aux agents publics et à certains salariés prévoit que l’agent public ou le salarié qui a été testé positif à la Covid-19 ne se voit pas opposé le délai de carence prévu à l’article 115 de la loi du 30 décembre 2017 précité.
Toutefois, il appartiendra à l’agent public :
Notons enfin qu’aux termes de l’article 3 du décret n° 2021-15 du 8 janvier 2021 précité celui-ci ne s’applique que jusqu’au 31 mars 2021 inclus.
18 janvier 2021 - Publication du décret n° 2020-1820 du 29 décembre 2020 relatif au transfert de gestion des « petites lignes »
Pour mémoire, l’article 172 de la loi n° 2019-1458 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) a introduit en droit positif la possibilité, pour les autorités organisatrices de transport ferroviaire, de solliciter un transfert de gestion portant sur tout ou partie des missions de gestion d’infrastructure s’agissant des lignes dites d’intérêt local ou régional et à faible trafic. L’ouverture de cette faculté – codifiée aux articles L. 2111-1 et L. 2111-9-1-A du code des transports – a répondu à la volonté de donner davantage de responsabilité aux régions lorsque cela apparaît pertinent pour l’amélioration de la performance de ces lignes qui ne revêtent, bien souvent, pas de dimension stratégique à l’échelle de la gestion nationale de l’infrastructure.
L’essentiel du régime juridique de ces transferts de gestion (catégories de lignes concernées, modalités, notamment financières, du transfert) devait être défini par décret, après avis de l’Autorité de régulation des transports (ART) (voir notre brève sur l’avis rendu le 22 octobre 2020).
Ce décret a été adopté et publié le 29 décembre 2020. Le texte définit :
La version définitive du décret contient quelques ajustements à la suite de l’avis susvisé de l’ART, notamment :
25 janvier 2021 - Open data des décisions de justice : le Conseil d’Etat enjoint au Garde des Sceaux, ministre de la justice, de prendre, dans un délai de trois mois, l’arrêté prévu à l’article 9 du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020
Pour mémoire, les articles 20 et 21 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique ont, d’une part, modifié l’article L. 10 du code de justice administrative, et, d’autre part, créé l’article L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire, pour poser le principe d’une mise à disposition du public, à titre gratuit et dans le respect de la vie privée des personnes concernées, des décisions rendues par les juridictions administratives et judiciaires.
Ces deux articles ont par la suite été modifiés par l’article 33 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui encadre les règles relatives à l’anonymisation des décisions de justice.
Puis, le décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives (dont la publication devait intervenir avant la fin de l’année 2019, ainsi que nous avions eu l’occasion de le souligner) a clarifié les modalités de la mise à disposition du public des décisions de justice.
Cependant, l’article 9 de ce décret renvoie à un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, le soin de fixer « pour chacun des ordres judiciaire et administratif et le cas échéant par niveau d’instance et par type de contentieux, la date à compter de laquelle les décisions de justice sont mises à la disposition du public ».
Pour autant, le ministre de la justice n’a jamais pris cet arrêté.
Or, à la faveur d’un arrêt rendu le 21 janvier 2021, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur le défaut de publication de cet arrêté.
En l’espèce, l’association Ouvre-boîte avait engagé un recours en excès de pouvoir à l’encontre de la décision implicite de rejet opposée par le Premier ministre à sa demande de procéder à la publication des décrets d’application des articles L. 10 du code de justice administrative et L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire.
Et, si la Haute assemblée a pu relever que les décrets d’application en question ont, depuis l’introduction de la requête, bien été publiés au Journal officiel par l’intermédiaire du décret du 29 juin 2020, elle a également considéré que l’arrêté mentionné à l’article 9 dudit décret n’a jamais été adopté par le ministre de la justice, alors qu’il aurait dû l’être « dans un délai raisonnable ».
En conséquence, le Conseil d’Etat enjoint le ministre de la justice, en application de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre l’arrêté prévu par l’article 9 du décret du 29 juin 2020 dans un délai de trois mois à compter de la notification de cette décision.
CE, 21 janvier 2021, Association Ouvre-boîte, req. n° 429956
27 janvier 2021 - L’information par laquelle, postérieurement à la clôture d’instruction, le juge informe les parties que sa décision est susceptible d’être fondée sur un moyen relevé d’office n’a pas pour effet de rouvrir l’instruction
Dans le cadre de l’affaire commentée, Mme C c/ Centre hospitalier de Lagny Marne-la-Vallée, le Conseil d’Etat a eu l’occassion de préciser, dans un arrêt de section du 25 janvier 2021 à paraître au Recueil Lebon, que le fait pour le juge administratif de soulever d’office un moyen après la clôture de l’instruction ne vaut pas, de plein droit, réouverture de l’instruction.
En effet, après avoir fait un rappel des textes applicables, le Conseil d’Etat précise effectivement que « Lorsque, postérieurement à la clôture de l’instruction, le juge informe les parties, en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative cité ci-dessus, que sa décision est susceptible d’être fondée sur un moyen relevé d’office, cette information n’a pas par elle-même pour effet de rouvrir l’instruction. ».
Cette règle ainsi posée, le Conseil d’Etat, en déduit:
Enfin, notons que, toujours avec la même rigueur juridique, le Conseil d’Etat rappelle que lorsqu’une partie reprend à son compte un moyen soulevé d’office par le juge et qu’il s’avère par la suite que ce moyen n’est pas d’ordre public alors le juge n’est pas tenu de se prononcer sur le bien-fondé de ce moyen.