L’autorité concédante du service public de distribution d’eau potable n’est pas tenue de hiérarchiser les critères d’attribution des offres et de faire connaître cette hiérarchie aux candidats

En vue de concéder le service public de distribution de l’eau potable, la Communauté de communes de l’Ile-Rousse-Balagne (ci-après « la CCIRB») a publié un avis d’appel public à la concurrence au bulletin officiel des annonces des marchés publics le 14 août 2018. La société des eaux de Corse, candidate à l’attribution de cette concession, a vu son offre rejetée, cependant que la CCIRB a attribué le contrat à l’Office d’équipement hydraulique de Corse (ci-après, « l’OEHC »).

Sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, la société des eaux de Corse a sollicité du juge des référés du Tribunal administratif de Bastia, entre autres, l’annulation de la procédure d’attribution du contrat de concession. Par une ordonnance du 18 avril 2019, le juge des référés a fait droit à cette demande.

La CCIRB et l’OEHC se sont pourvues en cassation.

Après avoir rappelé les termes des articles 9, 10 et 27 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession, ainsi que ceux de l’article 11 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, le juge des référés du Conseil d’Etat considère que l’objet du contrat de concession litigieux était visé par le 2° de l’article 10 du décret susvisé et qu’en cette qualité, l’autorité concédante n’était pas tenue de fixer les critères d’attribution du contrat par ordre décroissant d’importance. Or, en jugeant que la CCIRB aurait dû procéder à une hiérarchisation des critères d’attribution des offres et aurait dû indiquer cette hiérarchie dans l’avis de concession, dans l’invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation, le juge des référés du Tribunal administratif de Bastia a commis une erreur de droit, justifiant que soit prononcée l’annulation de l’ordonnance attaquée.

Le juge des référés de la Haute juridiction décide donc de régler l’affaire en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

Il revient en premier lieu sur le moyen portant sur le principe de spécialité de l’OEHC. A ce titre, il précise l’office du juge des référés, lequel doit vérifier si le principe de spécialité est respecté lorsqu’un établissement public est candidat à l’attribution d’un contrat de la commande publique :

« Il appartient au juge du référé précontractuel, saisi de moyens sur ce point, de s’assurer que l’appréciation portée par le pouvoir adjudicateur pour exclure ou admettre une candidature ne caractérise pas un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Dans ce cadre, lorsque le candidat est une personne morale de droit public, il lui incombe de vérifier que l’exécution du contrat en cause entrerait dans le champ de sa compétence et, s’il s’agit d’un établissement public, ne méconnaîtrait pas le principe de spécialité auquel il est tenu ».

Or, en application des dispositions de l’article L. 112-32 du code rural, le juge des référés du Conseil d’Etat estime que l’exploitation de réseaux de distribution pour le compte des collectivités territoriales est au nombre des missions qui relèvent de la spécialité de l’OEHC. Le juge des référés du Conseil d’Etat rejette donc le moyen porté par la société des eaux de Corse selon lequel l’intervention de l’OEHC ne serait justifiée par aucun intérêt public local.

En second lieu, le juge des référés du Conseil d’Etat examine le moyen portant sur l’équilibre économique de l’offre de l’OEHC. Il rappelle que « lorsqu’une personne publique est candidate à l’attribution d’un contrat de concession, il appartient à l’autorité concédante, dès lors que l’équilibre économique de l’offre de cette personne publique diffère substantiellement de celui des offres des autres candidats, de s’assurer, en demandant la production des documents nécessaires, que l’ensemble des coûts directs et indirects a été pris en compte pour la détermination de cette offre, afin que ne soient pas faussées les conditions de la concurrence. Il incombe au juge du référé précontractuel, saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que le contrat n’a pas été attribué à une personne publique qui a présenté une offre qui, faute de prendre en compte l’ensemble des coûts exposés, a faussé les conditions de la concurrence ».

Relevant que l’équilibre économique de l’offre présentée par l’OEHC ne diffère pas substantiellement de celui de l’offre présentée par la société des eaux de Corse, le juge des référés de la Haute juridiction considère que l’offre de l’OEHC ne faussait pas la concurrence.  Il en conclut que la CCIRB n’a pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

En dernier lieu, il incombe au juge des référés du Conseil d’Etat de statuer sur le moyen relatif à la méconnaissance du principe d’égalité de traitement des candidats allégé par la société des eaux de Corse. Il écarte également ce moyen, considérant d’une part que l’obligation d’achat de l’eau auprès de l’OEHC n’était pas de nature à altérer les conditions de mise en concurrence entre les candidats, dès lors que chaque candidat devait prendre en compte, dans son offre, le même prix d’achat de l’eau. D’autre part, le juge des référés estime que la société des eaux de Corse pouvait, tout autant que l’OEHC, prendre en compte les éventuelles pertes du réseau et d’adapter son offre en conséquence.

En conséquence, si le juge des référés du Conseil d’Etat conclut à l’annulation de l’ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal administratif de Bastia, il rejette la demande d’annulation de la concession présentée par la société des eaux de Corse.

CE, 18 septembre 2019, Communauté de communes de l’Ile-Rousse-Balagne, req. n° 430368