Parmi les multiples problématiques liées à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire intérieur de voyageurs figurent les questions liées au transfert du personnel « attaché » à l’exploitation d’un service public conventionné, lorsqu’au terme d’une procédure de mise en concurrence, l’autorité organisatrice aura désigné un autre exploitant que l’opérateur historique.
Ce sujet est stratégique à plusieurs égards. S’agissant, d’abord, de la bonne information des candidats à l’attribution du contrat (profil des effectifs transférés, charges sociales afférentes, etc.). Pour assurer, ensuite, leur capacité à répondre aux appels d’offres qui seront lancés à la fois en ayant la certitude de disposer, avec l’attribution du contrat, d’effectifs pertinents et permettant de faire face à l’essentiel des besoins de l’exploitation du service et de ne pas avoir à assumer de charges disproportionnées par rapport aux besoins de l’exploitation.
Il s’agit, naturellement, d’un levier dont l’opérateur historique peut être tenté d’user pour consolider son avantage compétitif, ce qui justifie une vigilance spontanée accrue de la part de l’Autorité de régulation des transports (ART).
Celle-ci a également été dotée par le législateur de prérogatives spécifiques, codifiées au III de l’article L. 1263-2 du code des transports, en matière de règlement de différends qui permettent aux entités concernées (autorités organisatrices ou employeur initial des salariés concernés) de porter devant l’ART les différends relatifs à la fixation, dans les conditions définies à l’article L. 2122-22 du code des transports, du nombre de salariés dont le contrat de travail se poursuit auprès du nouvel employeur.
C’est dans ce cadre que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) a saisi l’ART le 28 novembre 2019 d’une demande tendant à :
- enjoindre à SNCF Voyageurs de transmettre les informations nécessaires à la détermination du nombre de salariés à transférer ;
- préciser les modalités d’application du décret n°2018-1242 du 26 décembre 2018, relatif au transfert des contrats de travails des salariés en cas de changement d’attributaire d’un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs ;
- fixer, pour le lancement de la procédure de mise en concurrence, le nombre de salariés à reprendre sur la base des éléments transmis par la région et SNCF Voyageurs.
L’enjeu essentiel du différend avait trait à la méthodologie à mettre en œuvre, en application du décret précité, pour la détermination du nombre de salariés à transférer.
SNCF Voyageurs, arguant de ce que les salariés concernés n’étaient pas exclusivement affectés aux liaisons figurant dans les deux lots définis par la région, avait déterminé par reconstitution la part représentée, parmi toutes les liaisons régionales, par les deux lots considérés.
Autrement formulé par l’ART, il s’agissait, « à partir du nombre total d’ETP par catégorie d’emplois sur le périmètre de la convention TER, [d’]opérer un « travail de détourage » pour calculer les ressources concourant à la production du lot concerné sur la base de l’organisation existante à la date de publication de l’avis de pré-information ».
En l’absence de données chiffrées correspondant aux affectations effectives, la région avait fait établir par un conseil extérieur un nombre d’ETP à transférer en se fondant sur des projections relatives aux besoins du service, intégrant également des réductions d’effectifs prévues dans la « trajectoire RH » incluse dans la convention TER antérieure, et excluant du personnel qu’elle estimait surnuméraire.
Dans sa décision n° 2020-019 du 28 février 2020, l’ART a apporté d’utiles précisions sur la méthodologie de détermination du nombre de salariés à transférer.
Elle rappelle, tout d’abord, que conformément à l’article L. 2121-22 du code des transports, il convient de prendre en considération les salariés concourant directement ou indirectement à l’exploitation du service à la date de publication de l’avis de pré-information.
Elle valide, ensuite, la méthode suivie par la région visant à reconstituer le nombre d’ETP nécessaires en repartant des besoins du service, compte tenu de l’indisponibilité de données suffisantes fournies par SNCF Voyageurs, auquel l’ART rappelle qu’incombe la « charge de la preuve ». La décision de l’ART est particulièrement importante sur ce point, puisqu’elle pourra trouver un écho dans d’autres domaines qui intéressent les relations entre SNCF Voyageurs et les autorités organisatrices : là où il y aura rétention, ou trop peu d’efforts pour rendre les données disponibles, les autorités organisatrices seront fondées, lorsque cela sera possible, à reconstituer des données elles-mêmes et il appartiendra à SNCF Voyageurs de démontrer que les données reconstituées établies par l’autorité organisatrice sont erronées. Cela va évidemment participer à rééquilibrer les rapports entre les parties et probablement contraindre SNCF Voyageurs, dans son propre intérêt, à faire preuve de plus de transparence qu’envisagé.
L’ART estime néanmoins que ni les réductions d’effectifs prévues dans la convention TER, ni la décision de la région d’écarter un certain nombre de personnels qui seraient en « sureffectif » n’apparaissaient pouvoir être prises en compte en vertu des dispositions légales et réglementaires.
S’agissant de la reprise du personnel affecté aux prestations en gare, l’ART précise qu’il suit un régime identique aux autres personnels, dès lors que l’autorité organisatrice a décidé, en vertu de l’article L. 2121-14-7 du code des transports, d’exercer ou de faire exercer certaines missions de gestion et d’exploitation des gares considérées, l’autorité organisatrice ne bénéficiant donc pas de davantage de latitude, dans cette hypothèse, pour la détermination du nombre de salariés à reprendre.
L’ART rappelle, enfin, les termes de l’article 2 du décret n° 2018-1242 relatifs au calcul des emplois concourant directement à la production, pour conclure à l’invalidité de la méthode initialement retenue par SNCF Voyageurs.
A la faveur de ces précisions méthodologiques, l’ART a ensuite, catégorie par catégorie de personnels, défini elle-même dans sa décision de règlement de différend le nombre d’ETP à transférer. Sur plusieurs points, elle a identifié des biais importants dans la méthode initialement employée par SNCF Voyageurs, concourant notamment à une sous-estimation du volume horaire effectivement consacré par ses personnels à l’exploitation du service considéré.
Là où l’ART aurait peut-être pu retenir une acception plus limitée de son office, cette décision en révèle au contraire une conception volontariste, tendant à régler, en tant que de besoin, les difficultés rencontrées par les autorités organisatrices dans leurs rapports avec SNCF Voyageurs dans la perspective de l’ouverture à la concurrence.
https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2020/04/version-publique-avec-annexes-decision-2020-019.pdf