Parmi les principes fondamentaux qui régissent le transfert de compétences aux collectivités territoriales et l’exercice de celles-ci, figure la règle aujourd’hui contenue à l’article L. 1614-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) selon laquelle le transfert d’une compétence à une collectivité territoriale, lorsqu’il induit un accroissement net de charges pour celle-ci, donne lieu au transfert concomitant des ressources nécessaires à l’exercice normal de cette compétence. L’article L. 1614-2 du CGCT précise qu’en cas de charge nouvelle pesant sur les collectivités du fait de la modification par l’Etat des règles relatives à l’exercice des compétences transférées, cela donne également lieu à compensation. Enfin, les articles L. 1614-3 et L. 1614-5-1 du CGCT disposent (i) qu’en cas d’accroissement de charges, le montant des dépenses corrélatives pour chaque collectivité concernée est constaté par arrêté conjoint des ministres chargés de l’intérieur et du budget, après avis de la commission consultative sur l’évaluation des charges du Comité des finances locales et (ii) que cet arrêté conjoint intervient dans les six mois suivant la publication des dispositions législatives ou réglementaires auxquelles il se rapporte.
L’attribution du revenu de solidarité active (RSA) relève, en vertu de l’article L. 262-13 du code de l’action sociale et des familles, de la compétence des départements. Les modalités de détermination du montant du RSA sont fixées aux articles L. 262-2 et suivants du même code, et reposent notamment sur un montant forfaitaire fixé par décret, lequel doit faire l’objet d’une revalorisation annuelle assise sur une évolution indiciaire et peut également faire l’objet de revalorisations exceptionnelles.
Cinq décrets (n° 2013-793 du 30 août 2013, n° 2014-1127 du 3 octobre 2014, n° 2015-1231 du 6 octobre 2015, n° 2016-2176 du 29 septembre 2016 et n° 2017-739 du 4 mai 2017) avaient été adoptés entre 2013 et 2017 pour revaloriser de manière exceptionnelle (c’est-à-dire hors revalorisation annuelle) le montant forfaitaire du RSA, sans être suivies de l’adoption d’un arrêté interministériel qui serait venu constater l’accroissement des charges pesant, du fait de ces revalorisations, sur les départements. Le surcroît de dépenses engendré par ces revalorisations n’avait ainsi pas été compensé selon les conditions prévues par le CGCT.
Trois départements normands (Calvados, Manche et Orne) ont, par conséquent, saisi les deux ministres concernés d’une demande tendant à l’édiction de l’arrêté prévu par l’article L. 1641-3 du CGCT, en lien avec les accroissements de charge induits par chacun des décrets susvisés. Leurs demandes ayant été implicitement rejetées, les trois départements ont saisi le Tribunal administratif de Paris d’une requête en annulation de ces rejets implicites et tendant à ce qu’il soit enjoint à l’Etat d’adopter les arrêtés considérés.
En défense, l’Etat soutenait, en particulier, que des compensations avaient été accordées aux départements par la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.
Dans un jugement rendu le 30 juin 2020, le Tribunal administratif de Paris a estimé qu’à la différence des revalorisations annuelles indiciaires du RSA, les revalorisations exceptionnelles présentent le caractère de modifications « des règles relatives à l’exercice des compétences transférées » au sens de l’article L. 1614-2 du CGCT, qui entraînent des dépenses nouvelles et doivent donner lieu à compensation.
Il a également jugé que les mesures contenues par la loi du 29 décembre 2013 précitée ne « saurai[en]t rendre inutile (…) l’édiction des arrêtés litigieux constatant le droit à compensation des départements » et que les départements requérants étaient ainsi fondés à prétendre à l’annulation des décisions de rejet contestées.
Le Tribunal a également fait droit à la demande d’injonction formulée par les départements, et a enjoint aux ministres concernés d’adopter un arrêté conjoint, dans les conditions définies à l’article L. 1614-3 du CGCT, pour chacun des cinq décrets considérés, dans les six mois suivant la notification du jugement.
La revalorisation du RSA a représenté plusieurs milliards d’euros pour l’ensemble des départements français …