Pour mémoire, l’article 172 de la loi n° 2019-1458 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) a introduit en droit positif la possibilité, pour les autorités organisatrices de transport ferroviaire, de solliciter un transfert de gestion portant sur tout ou partie des missions de gestion d’infrastructure s’agissant des lignes dites d’intérêt local ou régional et à faible trafic. L’ouverture de cette faculté – codifiée aux articles L. 2111-1 et L. 2111-9-1-A du code des transports – a répondu à la volonté de donner davantage de responsabilité aux régions lorsque cela apparaît pertinent pour l’amélioration de la performance de ces lignes qui ne revêtent, bien souvent, pas de dimension stratégique à l’échelle de la gestion nationale de l’infrastructure.
L’essentiel du régime juridique de ces transferts de gestion (catégories de lignes concernées, modalités, notamment financières, du transfert) doit être défini par décret, dont l’adoption est prévue avant la fin de l’année civile. Le gouvernement avait saisi l’Autorité de régulation des transports (ART), d’un projet qui a fait l’objet d’un avis rendu le 22 octobre dernier.
Dans son avis, l’ART rappelle que ce dispositif a pour effet de faire sortir du giron de SNCF Réseau et SNCF Gares & Connexions certaines infrastructures ferroviaires et installations de service, mais qu’il ne doit en aucun cas se traduire par une remise en cause de l’applicabilité des grands principes relatifs à l’accès au réseau (transparence, non-discrimination, équité), ni des exigences d’interopérabilité et de sécurité ferroviaires.
L’ART relève, en premier lieu, s’agissant de la consistance des lignes d’intérêt local ou régional et à faible trafic susceptibles de faire l’objet d’un transfert de gestion, que les critères de définition n’apparaissent « pas aussi [restrictifs] que la loi semble l’exiger ».
En particulier, s’agissant des lignes d’intérêt régional, dont le projet de décret précise qu’il s’agit de celles qui, au cours des trois derniers horaires de service, ont accueilli au moins 90 % de services conventionnés organisés par les AOT, ou n’ayant accueilli aucun trafic, l’ART souligne que le transfert de gestion effectif devra s’accompagner de garanties suffisantes pour permettre la poursuite de la coactivité (lignes qui continueront à accueillir d’autres services de transport de voyageurs ou de fret).
Surtout, concernant le critère du « faible trafic », le projet de décret renvoie à des éléments de définition contenus dans le contrat de performance conclu entre l’Etat et SNCF Réseau, les parties à ce contrat pouvant ainsi modifier la consistance des lignes à faible trafic en modifiant le contenu du contrat de performance. L’ART estime que cette rédaction « ne permet pas de connaître avec suffisamment de précision et dans la durée les lignes concernées par l’article 172 de la [LOM] et, avec elles, le champ matériel d’application des régimes juridiques qu’il prévoit ».
Le transfert de gestion peut également porter, en complément des lignes ferroviaires, sur des installations de services « exclusivement dédiées aux lignes (…) dont le transfert est souhaité ». Alors que le projet de décret précise que la demande de l’AOT peut porter sur « un ensemble cohérent de gares exclusivement dédiées à la ligne » transférée, l’ART estime que les termes « exclusivement dédiées » sont insuffisants pour s’assurer, ce qui lui semble souhaitable, que « seules les gares durablement mono-transporteurs puissent faire l’objet d’un transfert de gestion », lorsque cette dernière sera transférée à une entreprise ferroviaire conventionnée.
L’ART relève, en deuxième lieu, que les obligations des AOT bénéficiaires du transfert (ou du tiers qu’elles désigneraient pour en bénéficier) sont insuffisamment définies.
S’agissant, tout d’abord, des missions de gestion de l’infrastructure, l’ART regrette que, compte tenu de la nature des infrastructures concernées, susceptibles d’entrer dans le champ des dérogations prévues par la directive 2012/34/UE, un cadre minimal n’ait pas été défini dans le texte, s’agissant des obligations d’accès au réseau, de sécurité et d’interopérabilité. Elle craint que cette carence du texte n’aboutisse à complexifier la tâche des AOT dans l’hypothèse où elles entendraient externaliser la gestion de ces missions et où elles pourraient se heurter à la difficulté d’en définir la consistance. La même critique est formulée s’agissant des installations de services.
En troisième lieu, l’ART émet également des réserves sur les dispositions du projet de décret relatives à la compensation financière des transferts de gestion.
Elle estime, ainsi, que s’agissant de l’évaluation de l’impact économique du transfert, l’approche retenue par le projet de décret est trop imprécise et risque d’exposer à des difficultés de mises en œuvre entre les parties prenantes.
Elle relève également, concernant les redevances prises en compte pour définir la compensation financière, que le projet de décret vise sous les termes « redevances liées aux circulations de trains », que leur champ est ambigu dans la mesure où ces termes ne renvoient pas à une catégorie normative de redevances et où, en toute hypothèse, la détermination des recettes à prendre en compte est insuffisamment précise.
Le régulateur observe, enfin, que le projet de décret souffre également d’imprécisions s’agissant des coûts à prendre en compte pour établir le montant de la compensation financière.
L’Autorité préconise, en conclusion, d’améliorer sensiblement la lisibilité et la simplicité du système de compensation, de manière à atteindre la neutralité économique du transfert pour SNCF Réseau, en prenant en compte le cas échéant, les effets d’échelle négatifs induits par le transfert pour SNCF Réseau, qui devraient renchérir le coût du transfert pour les AOT.
Autorité de régulation des transports, avis n° 2020-069 du 22 octobre 2020