Pour mémoire, SNCF Réseau, gestionnaire de l’infrastructure du réseau ferré national, est chargée de la tarification de l’accès à cette infrastructure, dont le projet est, pour chaque horaire de service, soumis à un avis conforme de l’ART.
L’article L. 2111-25 du code des transports dispose que le calcul des redevances d’infrastructure « tient notamment compte du coût de l’infrastructure, de la situation du marché des transports et des caractéristiques de l’offre et de la demande ,des impératifs de l’utilisation optimale du réseau ferré national et de l’harmonisation des conditions de la concurrence intermodale ; il tient également compte de la nécessité (…) de permettre le maintien ou le développement de dessertes ferroviaires pertinentes en matière d’aménagement du territoire ; enfin, il tient compte, lorsque le marché s’y prête, et sur le segment de marché considéré, de la soutenabilité des redevances et de la valeur économique, pour l’attributaire de la capacité d’infrastructure, de l’utilisation du réseau ferré national et respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires (…) ». Le troisième alinéa de cet article précise que, pour les services de transport ferroviaire faisant l’objet d’un contrat de service public, dits « services conventionnés » (c’est en particulier le cas des TER), « la soutenabilité des redevances est évaluée selon des modalités permettant de prendre en compte les spécificités de tels services, en particulier l’existence d’une contribution financière des autorités organisatrices à leur exploitation, en vue d’assurer, le cas échéant, que les majorations sont définies sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires ».
Il est précisé, en outre, à l’article 31 du décret du 7 mars 2003 que des majorations des redevances peuvent être instituées pour certains segments particuliers de marché, afin de procéder au recouvrement total des coûts encourus par le gestionnaire de l’infrastructure et « si le marché s’y prête ». Parmi ces segments, le décret identifie notamment celui des « services de transport de passagers dans le cadre d’un contrat de service public ».
Pour l’horaire de service 2020, SNCF Réseau avait établi un projet de tarification intégrant une majoration de 2,4 % pour certaines redevances (redevances d’accès et de marché) applicables aux services conventionnés TER et d’Ile-de-France, cette majoration correspondant à la trajectoire qui avait été convenue dans le contrat de performance conclu entre SNCF Réseau et l’Etat.
Dans son avis rendu le 7 février 2019, l’ART (à l’époque encore l’ARAFER) avait émis une position favorable dans la limite d’une évolution fixée à 1,8 %, considérant que l’évolution envisagée n’était pas soutenable dans la mesure où elle excédait le plafond d’augmentation des dépenses de fonctionnement des régions (1,2 %) et était supérieure à l’évolution de l’indice des prix à la consommation harmonisé (ICPH) (1,8 %).
L’avis de l’ART a été contesté par SNCF Réseau devant le Conseil d’Etat qui soutenait que l’ART ne pouvait, dans le cadre de son pouvoir d’avis conforme, émettre un avis favorable sous réserve d’une modification du projet de tarification (c’est-à-dire que l’évolution soit limitée à 1,8 %), mais qu’elle devait soit approuver soit rejeter le projet qui lui était soumis. SNCF Réseau contestait, en outre, sur le fond, la conclusion de l’ART s’agissant du caractère non soutenable d’une évolution fixée à 2,4 %.
Dans une décision rendue le 27 novembre 2020 (n° 431748, mentionnée aux tables), le Conseil d’Etat a adopté une solution nuancée.
En premier lieu, il valide l’approche suivie par l’ART consistant à émettre un avis conforme « favorable sous réserve de modification » du projet de tarification. Il s’agit là d’un volet important de la décision, qui permet à l’autorité investie d’un pouvoir d’avis conforme d’en faire usage de manière constructive, dans la limite du pouvoir décisionnel qui appartient à l’autorité de saisine (SNCF Réseau).
En deuxième lieu, il confirme que le contenu du contrat de performance conclu entre l’Etat et SNCF Réseau ne constitue pas une donnée permettant de déroger aux principes fondamentaux qui régissent l’exercice de ses missions par le gestionnaire de l’infrastructure, notamment en matière de tarification, et qu’ainsi, c’est uniquement à l’aune des principes fixés par les normes de droit objectif que la validité de la tarification doit être contrôlée.
En revanche, et en troisième lieu, le Conseil d’Etat juge que l’avis de l’ART est entaché d’erreur de droit en ce que celle-ci a contrôlé la soutenabilité de l’évolution envisagée par SNCF Réseau, non exclusivement au regard des éléments d’appréciation visés au troisième alinéa de l’article L. 2111-25 du code des transports ou des objectifs de l’article 32 de la directive 2012/34/UE (existence d’une contribution financière des autorités organisatrices pour l’exploitation de ces services, impact des tarifs projetés sur l’équilibre économique des contrats de service public, notamment impossibilité pour les opérateurs de services conventionnés de supporter les majorations, ou nécessité, pour l’autorité organisatrice, de « prendre des mesures susceptibles d’affecter sensiblement l’utilisation de l’infrastructure sur [le] segment » des services conventionnés), mais au vu du plafond d’augmentation des dépenses de fonctionnement des régions, ou de l’évolution de l’ICPH.
Ce faisant, le Conseil d’Etat contraint l’ART à revoir le cadre d’examen de la soutenabilité des majorations tarifaires, en lui imposant de se fonder essentiellement sur des éléments de fait qui reposeront nécessairement sur des informations précises émanant des autorités organisatrices qui semblent, seuls, susceptibles de fonder le constat d’un défaut de soutenabilité des évolutions envisagées.
Conseil d’Etat, 27 novembre 2020, SNCF Réseau, req. n° 431748, T.