Depuis le début de l’état d’urgence sanitaire lié à l’épidémie de covid-19, les mesures réglementaires d’exception ont induit un certain nombre de restrictions qui ont été contestées devant le juge administratif.
Dans plusieurs décisions des 20, 21 et 22 avril 2020, le Conseil d’Etat a rejeté des requêtes en référé-liberté. Deux requêtes avaient notamment été introduites pour contester l’insuffisance des mesures de protections mises en œuvre pour les avocats, d’une part, et les détenus, d’autre part.
Pour rappel, l’article L. 521-2 du code de justice administrative dispose que « saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».
Ainsi, le recours au référé est évidemment conditionné par l’urgence, étant précisé qu’eu égard aux enjeux présentés par le respect des libertés fondamentales, le juge est tenu de se prononcer avec une particulière célérité. Ce contexte d’urgence est pleinement cohérent et justifié par la nature de l’atteinte, qui constitue la seconde condition de recevabilité de l’action. En effet, le recours au référé-liberté est conditionné à l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale à laquelle l’intervention du juge est censé mettre fin.
Dans les deux contentieux en cause, le juge administratif a dû apprécier in concreto l’atteinte portée aux libertés fondamentales de requérants se trouvant dans des situations bien différentes.
Tout d’abord, dans un premier litige, l’Ordre des avocats du barreau de Marseille sollicitait qu’il soit enjoint à l’Etat « de fournir des masques de protection, gants, blouses de protection et gels hydro alcooliques aux avocats du barreau de Marseille dans l’exercice de leurs missions » pour faire face aux risques induits par la propagation du covid-19.
L’Ordre faisait valoir que le manque de protection des avocats portait tant atteinte au droit au respect de la vie des avocats, qu’à leur droit d’exercer leur profession, et que, par ricochet, au droit des justiciables à bénéficier d’une défense effective devant les juridictions.
Le juge relève qu’un certain nombre de mesures ont été adoptées par l’Etat : les règles de procédure ont été adaptées de sorte à limiter les contacts entre les personnes ; l’organisation des services judiciaires a également été adaptée (par une distanciation matérielle des acteurs de la justice, et une désinfection des locaux) ; et enfin, la demande de masques n’était pas satisfaite en raison d’une « stratégie de gestion et d’utilisation maitrisée des masques de protection à l’échelle nationale […] face à l’insuffisance des stocks ».
A l’aune de ces éléments d’instruction, le juge considère qu’il n’y a pas d’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées qui justifierait que les injonctions demandées soient prononcées.
L’atteinte est donc appréciée ici tant au regard des mesures adoptées par l’Administration face au risque, qu’au regard des mesures qu’elle pouvait matériellement prendre compte tenu du contexte de pénurie de masques de protection.
Conseil d’État, Juge des référés, Ordre des avocats au barreau de Marseille, 20 avril 2020, n°439983
De la même manière, un détenu de la maison d’arrêt de Rouen avait saisi le juge des référés du TA de Rouen d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration de ladite maison d’arrêt de « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer sa protection, durant l’épidémie de covid-19, et réduire le risque de contamination ». Le tribunal avait rejeté sa demande au motif qu’aucune atteinte n’était portée à ses droits.
Devant le Conseil d’Etat, le requérant invoquait l’atteinte à son droit au respect de la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ainsi qu’au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé. Il alléguait notamment divers manquements de l’administration : fourniture insuffisante de produits de protection (savon, gel hydro-alcoolique, masques), carence de son suivi médical. Il soutenait, au regard de son état de santé fragile, devoir bénéficier de mesures « de protection renforcée » (notamment son placement en cellule individuelle).
Dans sa décision, le Conseil d’Etat reconnait bien le caractère particulier de la situation du requérant, qui bénéficie d’un suivi médical spécifique eu égard à son état de santé. Cependant, au terme de son examen, eu égard aux mesures prises par l’Etat et à l’administration de la maison d’arrêt, la Haute-juridiction n’a pas relevé d’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés du requérant.
En effet, le Conseil rappelle que le ministère de la justice a su adapter, au fur et à mesure des phases de l’épidémie, les mesures permettant d’éviter la propagation du virus, permettant en l’espèce le respect des gestes barrières, des mesures d’hygiènes nécessaires ; et ouvrant au requérant l’accès à des consultations médicales supplémentaires. La décision relève également que la non-distribution de masques et l’absence de dépistages étaient justifiées, en l’état des disponibilités et eu égard aux critères de priorités définis par l’Etat pour l’affectation de ces dispositifs particuliers.