Face à l’urgence sanitaire liée à l’épidémie du virus covid-19, l’Etat a réagi progressivement, redoublant, au gré de la propagation du virus, de mesures restrictives des libertés individuelles. Les déplacements, en particulier, ont été strictement encadrés par le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, tel que celui-ci a été complété par le décret n° 2020-279 du 19 mars 2020.
L’article 1er du décret modifié impose ainsi une interdiction de principe de tout déplacement hors du domicile, jusqu’au 31 mars 2020, qui ne correspondrait pas aux dérogations suivantes :
- trajets domicile – lieu d’activité professionnelle, et déplacements professionnels impératifs ;
- déplacements nécessaires à l’achat de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et aux « achats de première nécessité» au sein des établissements dont les activités demeurent autorisées ;
- déplacements pour motif de santé ;
- déplacements pour motif familial impérieux, l’assistance des personnes vulnérables ou la garde d’enfants ;
- déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle et aux besoins des animaux de compagnie ;
- déplacements liés à une obligation judiciaire ou administrative de présentation aux services publics (police, gendarmerie, etc.) ;
- déplacements liés à une convocation juridictionnelle ;
- déplacements aux fins de participer à des missions d’intérêt général sur demande de l’autorité administrative.
Malgré le caractère exceptionnel de ces mesures, la question de leur dimension suffisamment restrictive a conduit le syndicat Jeunes Médecins à saisir le Conseil d’Etat d’un recours en référé-liberté, auquel sont intervenus le Conseil national de l’Ordre des médecins et l’Intersyndicale nationale des internes.
Leurs demandes tendaient à un durcissement des mesures en vigueur, notamment un confinement total de la population – qui serait nécessaire pour endiguer la progression du virus -, l’arrêt des transports en commun et des activités professionnelles non vitales, la mise en place d’un ravitaillement à domicile, et la réalisation de tests de dépistage plus systématiques. Les requérants soutenaient que la carence des autorités publiques à imposer des mesures suffisantes portaient une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé de la population.
Dans son ordonnance rendue le 22 mars 2020, après avoir rappelé que les mesures limitatives des libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent, le Conseil d’Etat a rejeté ces demandes, mais enjoint au gouvernement de préciser plusieurs des mesures en vigueur, afin de faciliter leur interprétation et leur respect par la population.
S’agissant du confinement et des mesures accessoires qui étaient demandées par les requérants, le juge des référés relève qu’ils ne pourraient être adoptés à l’échelle nationale, sauf à risquer des ruptures d’approvisionnement susceptibles d’être elles-mêmes périlleuses. Il rappelle que les services de soin et d’autres activités (distribution alimentaire, exploitation de réseaux) sont nécessaires à la continuité de la vie de la Nation et que leur bon fonctionnement est dépendant du maintien en fonctionnement des transports en commun. Il conclut qu’aucune carence grave et manifestement illégale ne saurait être reprochée au Premier ministre dans l’exercice de ses prérogatives.
Le juge des référés a néanmoins considéré, par ailleurs, que le dispositif textuel adopté par l’Etat pour faire face à l’urgence sanitaire était imparfait et méritait, sur plusieurs points fondamentaux, d’être précisé.
Il en va ainsi des déplacements pour « motif de santé », le Conseil d’Etat considérant qu’il conviendrait de les limiter à ceux qui présentent un certain degré d’urgence.
Il en est de même des « déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes », dont le juge des référés considère qu’il s’agit d’une dérogation « trop large, notamment en rendant possibles des pratiques sportives individuelles, telles le « jogging » ».
Il en va enfin également ainsi du fonctionnement des marchés ouverts, dont le maintien peut « autoriser dans certains cas des déplacements et des comportements contraires à la consigne générale ».
Le Conseil d’Etat appelle, ensuite, d’une part, l’Etat à renforcer les mesures de contrôle visant à s’assurer du respect des mesures de confinement édictées, voire à pénaliser plus fortement les contrevenants et, d’autre part, les autorités de police locales à adopter des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le requièrent.
En conséquence, l’Etat se voit enjoindre de prendre, sous un délai de 48 heures, les mesures propres à préciser la portée des deux motifs de dérogation précités et de réévaluer l’opportunité du maintien en fonctionnement des marchés ouverts.
CE 22 mars 2020, Syndicat jeunes médecins, req. n° 439674