L’une des prérogatives exorbitantes reconnue à la personne publique dans l’exécution de tout contrat administratif est son pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général.
L’usage de ce pouvoir se traduit, dans le silence du contrat, par l’indemnisation des dépenses engagées par le cocontractant pour l’exécution du contrat et non amorties à la date de la résiliation et, le cas échéant, du gain dont il est privé du fait de la résiliation anticipée du contrat. Les parties disposent toutefois de la possibilité d’aménager les conséquences indemnitaires de cette résiliation, sous réserve de respecter le principe de l’interdiction des libéralités et de ne pas retenir des conditions qui aboutiraient à dissuader, par principe, la personne publique d’exercer son pouvoir de résiliation.
La question se posait, au regard notamment de l’exigence de loyauté des relations contractuelles consacrée par la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE Ass. 28 décembre 2009, Commune de Béziers, req. n° 304802), des conditions dans lesquelles la personne publique peut décider de résilier unilatéralement un contrat administratif au motif que celui-ci est entaché d’illégalité.
L’on sait, en effet, que l’exigence de loyauté des relations contractuelles impose désormais en principe de rester sur le terrain contractuel dans le cadre des litiges relatifs à l’exécution du contrat, et que seules certaines irrégularités d’une gravité particulière (contenu illicite du contrat, illégalité des conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, etc.) peuvent conduire à écarter le contrat et à régler le litige sur un terrain extracontractuel (ibid.).
En écho à cette solution, il apparaissait logique d’estimer que le pouvoir de résiliation unilatérale du contrat par l’administration du fait de l’irrégularité dont celui-ci est entaché ne pouvait plus s’exercer que dans les cas où l’exigence de loyauté des relations contractuelles ne commandait pas la poursuite de son exécution, c’est-à-dire lorsque le contrat était entaché d’un vice d’une gravité particulière.
Dans une décision rendue le 10 juillet 2020, le Conseil d’Etat, confirmant implicitement qu’il s’agit là d’un cas de résiliation pour motif d’intérêt général, est venu préciser que « dans le cas particulier d’un contrat entaché d’une irrégularité d’une gravité telle que, s’il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l’annulation ou la résiliation, la personne publique peut, sous réserve de l’exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans qu’il soit besoin qu’elle saisisse au préalable le juge ».
Il apparaît ainsi (i) que le pouvoir de résilier unilatéralement un contrat administratif au motif de son illégalité, sans saisine préalable du juge, ne demeure que dans l’hypothèse où le contrat est entaché d’une irrégularité grave, selon la typologie dégagée par la jurisprudence du Conseil d’Etat, et que (ii) cette résiliation ne peut intervenir que « sous réserve de l’exigence de loyauté des relations contractuelles ». Cette dernière mention peut surprendre, a priori, dans la mesure où la première condition pourrait déjà n’englober que des vices suffisamment graves pour neutraliser le jeu de l’exigence de loyauté des relations contractuelles. Elle pourrait induire qu’à cette condition de gravité du vice, s’ajoute une condition liée à la cause et à l’imputabilité de cette illégalité : un vice résultant d’un manquement commis exclusivement par l’administration pourrait ainsi ne pas permettre de fonder la résiliation du contrat par l’administration, quelle que soit sa gravité. La lecture des conclusions du rapporteur public sera probablement éclairante à cet égard.
S’agissant des conséquences indemnitaires d’une telle résiliation, la décision du Conseil d’Etat apporte également d’utiles éclairages.
Ainsi :
« le cocontractant peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d’effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé. Si l’irrégularité du contrat résulte d’une faute de l’administration, le cocontractant peut, en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration. Saisi d’une demande d’indemnité sur ce second fondement, il appartient au juge d’apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice ».
Ces conditions indemnitaires, fidèles aux principes classiques applicables au droit indemnitaire du titulaire d’un contrat administratif entaché de nullité (CE Sect. 10 avril 2008, Société JC Decaux, req. n° 244950), sont plus favorables à la personne publique que les conditions habituelles en matière de résiliation pour motif d’intérêt général (cf. supra), ce qui peut augurer d’un contentieux subtil quant à l’usage – potentiellement déloyal ? – que pourraient être tentées de faire les personnes publiques de ce fondement spécifique de résiliation pour motif d’intérêt général lorsqu’elles envisagent de résilier un contrat.
En l’espèce, l’arrêt rendu par la Cour administrative de Nancy est censuré pour erreur de droit, dans la mesure les juges d’appel s’étaient abstenus de vérifier si l’irrégularité résultant de spécifications techniques imposées dans le dossier de consultation des entreprises pour l’attribution d’un marché public pouvait être invoquée par la personne publique au regard de l’exigence de loyauté des relations contractuelles et si elle était d’une gravité suffisante telle que, si le juge du contrat avait été saisi, il aurait pu prononcer l’annulation ou la résiliation du marché en litige.
CE, 10 juillet 2020, Comptoir Négoce Equipements, req. n° 430864