Par une décision du 16 octobre 2019, le Conseil d’Etat a poursuivi la mise en œuvre de la jurisprudence Fairvesta (CE Ass. 21 mars 2016, req. n° 368082)qui a étendu le champ du recours pour excès de pouvoir à une nouvelle catégorie d’actes de droit souple émanant des autorités de régulation.
Dans l’affaire qui était soumise au Conseil d’Etat, la Commission nationale de l’informatique et des Libertés (CNIL) avait annoncé, par deux communiqués de presse des 28 juin et 18 juillet 2019, un plan d’actions élaboré pour préciser les conditions dans lesquelles elle allait accompagner les opérateurs concernés par les nouvelles règles applicables en matière de ciblage publicitaire dans leur mise en conformité avec ces règles.
Il se déduisait de ces communiqués une position de la CNIL tendant à ménager, au bénéfice desdits opérateurs, une période de transition pour leur permettre de se mettre en conformité avec ces nouvelles règles.
Deux associations de défense des droits et libertés individuels sur Internet ont saisi le Conseil d’Etat d’un recours en annulation de la décision révélée par ces deux communiqués, par lesquelles elles soutenaient que la CNIL aurait regardé comme acceptables, pendant une période transitoire (douze mois), des pratiques pourtant devenues illégales et aurait d’ores et déjà renoncé à utiliser les pouvoirs dont elle dispose pour réprimer, pendant cette période, les manquements qui seraient commis.
Ce recours posait une question de recevabilité et une question de fond, s’agissant de la possibilité, pour une autorité de régulation, de moduler ainsi la mise en œuvre de ses pouvoirs de sanction.
Sur le premier point, la Haute-juridiction a suivi les requérants, estimant que les deux communiqués concernés « révélaient » un acte constitutif d’une prise de position publique de la CNIL « quant au maniement des pouvoirs dont elle dispose, en particulier en matière répressive, pour veiller au respect des règles applicables au recueil du consentement au dépôt de cookies et autres traceurs ». Le Conseil d’Etat a considéré que cet acte avait pour objet d’influer sur le comportement des opérateurs concernés et qu’il était de nature à produire des effets notables tant sur ces opérateurs que sur les utilisateurs et abonnés de services électroniques. Il a donc conclu qu’il s’agissait bien d’un acte susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir en vertu de la jurisprudence Fairvesta.
Sur le second point, le Conseil d’Etat a rappelé (comme cela avait déjà été jugé, à propos de la CNIL : CE Sect., 27 oct. 1999, req. n° 196306 ; de l’ARCEP : CE, 4 juillet 2012, Association française des opérateurs de réseaux et services de télécommunications, req. n° 334062 ; ou de l’ACAM : CE Sect. 30 nov. 2007, req. n° 293952) que les autorités de régulation disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans la mise en œuvre de leurs prérogatives, en particulier pour ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir de sanction. Il en a déduit qu’aux fins de cet exercice, la CNIL peut « tenir compte de la gravité des manquements en cause au regard de la législation ou de la réglementation qu’elle est chargée de faire appliquer, de la date à laquelle ils ont été commis, du contexte dans lequel ils l’ont été et, plus généralement, de l’ensemble des intérêts généraux dont elle a la charge ».
Dans ce cadre, le Conseil d’Etat a rejeté les critiques formulées sur le fond par les requérants, estimant qu’il était bien loisible à la CNIL de rendre publiques les orientations qu’elle a arrêtées pour l’exercice de ses pouvoirs et qu’elle n’avait ainsi pas méconnu l’étendue de sa compétence en élaborant le plan d’actions exposé par les deux communiqués de presse publiés.
Il a considéré, en outre, que le délai de six mois ménagé au bénéfice des opérateurs régis par les nouvelles règles applicables permettait à la CNIL d’accompagner ces derniers, confrontés à la nécessité de définir de nouvelles modalités pratiques de recueil du consentement des usagers et que, ce faisant, la CNIL n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en retenant les orientations qu’elle a définies pour l’exercice de ses pouvoirs.