Manquement de l’expert à son obligation d’exécution personnelle de la mission qui lui est confiée : la nullité du rapport d’expertise ne peut être obtenue que sous réserve d’apporter la preuve d’un grief
Cass. civ., 2ème, 8 septembre 2022, Société Pieral c/ Association laïque de gestion d’établissements pour l’éducation et l’insertion (ALGEEI), n° 21-12030, publié au Bulletin
A la faveur d’un arrêt du 8 septembre 2022 à paraître au Bulletin, la Cour de cassation est venue préciser que les irrégularités affectant le déroulement des opérations d’expertise, y compris lorsque l’expert désigné manque à son obligation d’exécution personnelle de la mission qui lui est confiée, ne peuvent être sanctionnées par la nullité que si le demandeur apporte la preuve d’un grief.
Plus précisément, dans cette affaire, par un acte notarié du 9 août 2016, la société Pieral a consenti à l’ALGEEI un bail commercial d’une durée de neuf ans portant sur des locaux à usage de bureaux. Saisi par l’ALGEEI qui invoquait de multiples désordres, le juge des référés a, par une ordonnance du 13 février 2018, désigné un expert.
Précisons qu’à la suite du dépôt du rapport d’expertise :
– d’un côté, l’ALGEEI a assigné à jour fixe la société Pieral en résiliation du bail et en paiement de dommages-intérêts ;
– d’un autre côté, la société Pieral a reconventionnellement demandé l’annulation du rapport d’expertise aux motifs, notamment, que l’expert judiciaire missionné pour apprécier les désordres d’infiltrations d’eaux pluviales ne s’est pas personnellement rendu sur le toit du bâtiment lors de l’unique accédit et s’est fondé, pour cette partie, sur les photographies d’un rapport amiable établi plusieurs mois auparavant et non-contradictoirement par un expert missionné par l’ALGEEI.
Aussi, et pour mémoire, il importe de rappeler qu’aux termes de l’article 233 du code de procédure civile il est prévu que : « Le technicien, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée.
Si le technicien désigné est une personne morale, son représentant légal soumet à l’agrément du juge le nom de la ou des personnes physiques qui assureront, au sein de celle-ci et en son nom l’exécution de la mesure. »
C’est dans ce cadre que la Cour de cassation a rappelé, à l’occasion de la présente affaire, que : « les irrégularités affectant le déroulement des opérations d’expertise, en ce comprises celles résultant d’un manquement à l’article 233 du code de procédure civile, sont sanctionnées selon les dispositions de l’article 175 du code de procédure civile qui renvoient aux règles régissant la nullité des actes de procédure, et notamment aux irrégularités de forme de l’article 114 du code de procédure civile, dont l’inobservation ne peut être sanctionnée par la nullité qu’à charge de prouver un grief. »
C’est ainsi que, pour considérer que la société Pieral n’avait subi aucun grief – de sorte que sa demande de nullité du rapport d’expertise avait, à bon droit, été rejetée par la cour d’appel d’Agen – , la Cour de cassation a rappelé que : « Ayant relevé, d’abord, que, lors de la réunion d’expertise sur les lieux, il n’avait pas été possible de monter sur le toit en raison de la météorologie et que l’expert avait examiné, avec les parties, les documents photographiques annexés au rapport d’expertise amiable, et retenu, ensuite, que la société Pieral n’avait pas contesté, dans son dire du 28 mai 2018, la réalité des désordres, mais qu’elle avait soutenu qu’ils pouvaient avoir une autre origine que celle retenue par l’expert, ce à quoi ce dernier avait répondu, faisant ressortir que la société Pieral n’avait pas subi de grief […] ».