Par un avis publié le 29 juin 2015, la Commune d’Auletta (Italie) a lancé une procédure pour l’attribution d’un marché public de conception et d’exécution de travaux d’assainissement hydrogéologique du centre historique communal.
La société Lombardi, classée en troisième position à l’issue de l’examen des offres, a contesté le rejet de son offre devant le Tribunale amministrativo regionale per la Campania (tribunal administratif régional de Campanie), motifs pris de l’admission à la procédure de passation de marché d’une part de l’attributaire, la société Delta Lavori, en ce que le concepteur indiqué par cette dernière ne possédait pas les qualités requises par le cahier des charges et, d’autre part, du soumissionnaire classé en deuxième position.
De son côté, l’attributaire a introduit un recours incident visant à faire constater que la société Lombardi aurait elle-même dû être exclue de la procédure par la Commune d’Auletta, puisqu’elle avait cessé de répondre aux exigences fixées par les documents du marché.
Statuant prioritairement sur le recours incident, le tribunal administratif régional de Campanie a constaté l’illégalité de la procédure de passation du marché public en raison du fait que la société Lombardi n’en avait pas été exclue. Au principal, le tribunal rejette donc le recours de la société Lombardi pour irrecevabilité du fait de son défaut d’intérêt à agir.
La société Lombardi a saisi le Consiglio di Stato (Conseil d’Etat italien), lequel a décidé de surseoir à statuer et de poser la question préjudicielle suivante à la CJUE :
« L’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, et paragraphe 3, de la directive [89/665] peut-il être interprété en ce sens que, lorsque plusieurs entreprises qui ont participé à la procédure de passation de marché ne sont pas parties à l’instance (et que, en tout cas, les offres de certaines d’entre elles n’ont pas fait l’objet d’un recours), il permet que soit confiée au juge, en vertu de l’autonomie procédurale reconnue aux États membres, la tâche de vérifier le caractère concret de l’intérêt invoqué, dans son recours principal, par le concurrent qui est défendeur à un recours incident en exclusion qui est jugé fondé, en utilisant à cette fin les instruments de procédure qui sont prévus par la législation nationale, ce qui rendrait la protection accordée à cette situation subjective conforme aux principes constants du droit interne que sont le principe dispositif (article 112 du code de procédure civile), la charge de la preuve (article 2697 du code civil) et les limites subjectives de l’autorité de chose jugée qui ne se forme qu’entre les parties et ne peut pas affecter la situation des personnes étrangères au litige (article 2909 du code civil) ? »
En clair, le Conseil d’Etat demande à la CJUE si l’article 1er de la directive 89/665 s’oppose à ce qu’un recours principal introduit par un soumissionnaire ayant un intérêt à obtenir un marché et ayant été ou risquant d’être lésé par une violation alléguée du droit de l’Union en matière de marchés publics ou des règles transposant ce droit, et visant à l’exclusion d’un autre soumissionnaire soit déclaré irrecevable, en application des règles ou des pratiques jurisprudentielles procédurales nationales.
Aux termes des dispositions de l’article 1er de la directive 89/665, la CJUE relève que les recours contre les décisions prises par le pouvoir adjudicateur doivent être accessibles à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.
Or, si à l’occasion d’une même procédure de passation, deux candidats introduisent des recours visant à obtenir leur exclusion réciproque, ceux-ci doivent être considérés comme ayant un intérêt à obtenir le marché.
La CJUE considère donc que l’action incidente de l’attributaire ne peut pas conduire à écarter le recours d’un soumissionnaire évincé dans l’hypothèse où la régularité de l’offre de chacun des opérateurs est mise en cause dans le cadre de la même procédure, en ce que chacun des concurrents dispose d’un intérêt légitime à obtenir le marché.
Ainsi, eu égard à la circonstance que les recours en exclusion réciproques sont considérés comme équivalents, la juridiction saisie de ces recours ne peut pas déclarer irrecevable le recours en exclusion principal, quand bien même des règles procédurales nationales prévoiraient l’examen prioritaire du recours incident formé par un autre soumissionnaire.
A cet égard, les juges européens précisent que le principe d’autonomie procédurale des Etats membres ne saurait justifier des dispositions internes qui rendent pratiquement impossible l’exercice des droits issus du droit communautaire.
Partant, en application de l’article 1er de la directive 89/665, des règles procédurales nationales ne sauraient priver le soumissionnaire évincé de son droit au recours aux fins de solliciter l’exclusion des autres soumissionnaires.
La CJUE en conclut finalement :
« Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, et paragraphe 3, de la directive 89/665 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un recours principal introduit par un soumissionnaire ayant un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésé par une violation alléguée du droit de l’Union en matière de marchés publics ou des règles transposant ce droit, et visant à l’exclusion d’un autre soumissionnaire soit déclaré irrecevable en application des règles ou des pratiques jurisprudentielles procédurales nationales, qui portent sur le traitement des recours en exclusion réciproques, quels que soient le nombre de participants à la procédure de passation de marché et le nombre de ceux ayant introduit des recours ».