Covid-19 et mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire / Covid-19 : le Conseil Constitutionnel rend sa décision concernant le projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire

Le Conseil Constitutionnel a été saisi par le Président de la République, le Président du Sénat, 60 députés et 60 sénateurs concernant plusieurs dispositions de la loi portant prorogation de l’état d’urgence sanitaire.

Était notamment contestée devant lui la constitutionnalité des dispositifs relatifs à l’engagement de la responsabilité pénale en cas de catastrophe sanitaire, le régime de mise en quarantaine ou à l’isolement, ainsi que le régime de collecte de données instaurés par la loi.

Pour l’essentiel, ces dispositifs avaient été amendés et précisés par le Sénat dans sa première lecture (voir brève précédente à ce sujet).

Dans sa décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, le Conseil constitutionnel a validé plusieurs dispositions critiquées (responsabilité pénale et plusieurs aspects de l’état d’urgence sanitaire), mais censuré partiellement et émis des réserves d’interprétation sur les traitements de données à caractère personnel de nature médicale aux fins de traçage et sur les mesures de quarantaine et d’isolement.

S’agissant, tout d’abord, des conditions d’engagement de la responsabilité pénale en cas de catastrophe sanitaire (modification apportée à l’article L. 3136-2 du code de la santé publique), auxquelles il était reproché d’exonérer certains « décideurs » (élus, dirigeants de sociétés, etc.) de leur responsabilité, le Conseil a considéré que la loi ne faisait que se rapporter au régime pénal de droit commun et qu’elle n’entrainait ainsi aucune différence de traitement contraire au principe d’égalité, ses dispositions n’étant, par ailleurs, pas entachées d’incompétence négative.

S’agissant, ensuite, des mesures relatives aux transports, aux établissements recevant du public, aux lieux de réunion et aux réquisitions, que le Premier ministre est habilité à prendre en cas d’état d’urgence sanitaire, et qui étaient contestées au regard de plusieurs libertés et droits individuels (liberté d’aller et venir, respect de la vie privée, et liberté d’entreprendre), le Conseil constitutionnel rappelle que la Constitution n’exclut pas la possibilité, pour le législateur, de prévoir un état d’urgence sanitaire. Il précise qu’il appartient toutefois au législateur d’assurer alors la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et les autres droits et libertés reconnus par la Constitution. Reconnaissant, ensuite, l’existence d’atteintes à la liberté d’aller et venir et à la liberté d’entreprendre, le Conseil juge néanmoins qu’une conciliation équilibrée a été opérée par le législateur entre les normes en jeu, notamment au regard des garanties procédurales et de l’exigence de proportionnalité qui s’appliquent aux mesures susceptibles d’être édictées. Le texte est ainsi jugé conforme à la Constitution sur ces aspects.

La décision est, ensuite, nettement plus critique sur le texte soumis à son examen, sur les dispositions relatives aux mesures de mise en quarantaine et de placement en isolement.

Le Conseil Constitutionnel a qualifié ces mesures de privatives de liberté ; celles-ci consistant en un isolement complet des personnes visées avec interdiction de toute sortie. Le Conseil souligne que l’obligation imposée à une personne de rester à son domicile plus de 12 heures par jour est également constitutive d’une privation de liberté.

Ce faisant, le Conseil a contrôlé la conformité desdites mesures à l’article 66 de la Constitution, qui dispose que « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi », rappelant sa jurisprudence constante selon laquelle les « atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis ».

En l’espèce, le Conseil a considéré qu’eu égard aux conditions de mise en œuvre de la quarantaine (tout particulièrement la nécessité d’aval médical et son délai limité de 14 jours), ce régime était équilibré.

Cependant, sur le contrôle juridictionnel de l’application de ces mesures, le Conseil, rappelant que c’est l’intervention rapide du juge qui permettait de considérer la liberté comme étant sauvegardée dans le cadre de la mise en œuvre de régimes attentatoires aux libertés individuelles, a émis une réserve concernant le régime relatif à la prolongation de la quarantaine. En effet, celle-ci n’est pas subordonnée à un avis du juge des libertés et de la détention.

Au demeurant, le Conseil a considéré que « le législateur n’a assorti leur mise en œuvre d’aucune autre garantie, notamment quant aux obligations pouvant être imposées aux personnes y étant soumises ».

Le Conseil censure également comme contraires à la liberté individuelle les dispositions de l’article 13 de la loi qui lui était déférée, qui avaient pour effet de faire subsister jusqu’au 1er juin 2020 le régime antérieur relatif aux mesures de mise en quarantaine et de placement et maintien à l’isolement, dont il estime qu’il n’est assorti, en méconnaissance des exigences constitutionnelles, d’aucune garantie s’agissant des obligations susceptibles d’être imposées aux personnes, leur durée maximale ou leur contrôle par le juge judiciaire.

La décision est également critique s’agissant du dispositif de traçage.

Le Conseil a rappelé ici sa jurisprudence relative à la protection de la vie privée. Pour rappel, celui-ci juge que la collecte, l’enregistrement et la conservation de données doivent être subordonnés à un motif d’intérêt général et à une mise en œuvre proportionnée à cet objectif. Il juge également que le caractère médical des données implique une « particulière vigilance » dans la mise en œuvre de tels dispositifs.

En l’espèce, le Conseil a jugé que cette collecte de données, procédant d’un objectif de valeur constitutionnelle, répondait à un motif d’intérêt général et relevé qu’elle ne pouvait être mise en œuvre que « dans la mesure strictement nécessaire » à l’une des finalités de protection de la santé visées par le texte (identification des personnes infectées, des personnes « contacts », l’orientation de ces personnes vers des prescriptions médicales, la surveillance épidémiologique, en vue de limiter la propagation du virus et de favoriser les travaux de recherche dans ce but).

Le Conseil a cependant de nouveau formulé plusieurs réserves concernant ce dispositif.

Tout d’abord, le juge a considéré que la suppression systématique des caractères identifiants des données devait s’étendre aux coordonnées de contact (téléphonique et électronique) des intéressés.

Concernant la liste des personnes habilitées par le texte à avoir accès à ces données, le Conseil a considéré que les accompagnants sociaux, n’ayant pas de lien direct avec la lutte contre l’épidémie, devaient être écartés.

Validant le dispositif en tant que tel, le Conseil laisse cependant au pouvoir réglementaire la charge de déterminer les modalités de collecte, traitement et partage des dites données, après avoir rappelé qu’en la matière, les sous-traitants seront bien pénalement responsables, et agiront en leur nom et pour leur compte.

Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020