De manière classique, il ressort de la jurisprudence administrative des régimes de responsabilité distincts, s’agissant des dommages causés par un ouvrage public, selon que la victime est un participant à une opération de travaux publics, qu’elle est un usager ou un tiers à l’ouvrage public.
La distinction entre ces deux dernières catégories de victimes est importante dans la mesure où, en cas de dommage, l’usager bénéficie d’un régime de faute présumée de la personne responsable de l’ouvrage public, quand le tiers peut engager la responsabilité de l’administration dans le cadre d’un régime de responsabilité sans faute, qu’il subisse un dommage permanent ou accidentel.
La qualité d’usager est habituellement reconnue à celui qui utilise l’ouvrage public de façon personnelle et directe et bénéficie de cet ouvrage, critères dont l’application par certaines décisions avaient pu suggérer que peut être alternativement qualifiée d’usager ou de tiers à l’ouvrage public une même personne, selon qu’elle utilise ou non l’ouvrage au moment de la survenance du dommage (voir, pour une illustration ancienne, CE, 4 février 1972, Min. des postes et télécommunications, req. n° 82473).
Dans une décision rendue le 17 janvier 2020 (Société EDF, req. n°433506) en matière de référé-provision, le Conseil d’Etat a précisé les conséquences, sur la qualification de la victime, de la circonstance qu’elle utilisait ou non l’ouvrage lors de la survenance du dommage, lorsqu’elle est par ailleurs un usager de l’ouvrage considéré.
En l’espèce, en vertu d’une concession portant sur une usine hydroélectrique, la société EDF exploitait notamment un canal d’amenée d’eau, en surplomb d’une voie communale dont l’effondrement, du fait des eaux rejetées par ce canal, avait entraîné la rupture d’une canalisation d’adduction d’eau installée par la régie des eaux du canal de Belletrud (RECB), intervenant en matière de production et distribution d’eau.
Tant le tribunal administratif de Nice que la cour administrative d’appel de Marseille avaient considéré que la RECB avait la qualité de tiers par rapport au canal d’amenée exploité par EDF, au motif qu’elle ne prélevait pas d’eau dans ce canal lorsque le dommage s’est produit.
Le Conseil d’Etat censure l’ordonnance d’appel pour erreur de droit, en ce que le juge d’appel avait irrégulièrement subordonné la qualité d’usager de la RECB à l’égard de l’ouvrage public constitué par le canal d’amenée d’eau à ce que la RECB ait utilisé l’ouvrage au moment de la survenance du dommage.
Il s’en déduit que, s’agissant d’un sujet de droit qui utilise effectivement un ouvrage public, la circonstance qu’il n’ait pas été en cours d’utilisation de cet ouvrage lors de la survenance du dommage est sans incidence sur sa qualification : il demeure un usager de l’ouvrage, y compris lorsqu’il ne l’utilise pas, et c’est donc en application du régime de responsabilité applicable aux usagers de l’ouvrage qu’il peut obtenir réparation du dommage subi. La généralité des termes employés par la décision peut surprendre, dans la mesure où elle pourrait recouvrir y compris les usagers très ponctuels d’un ouvrage public.
Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat relève, que les premiers juges avaient également inexactement qualifié les faits, observant que la RECB utilisait effectivement le canal d’amenée d’eau.
Toutefois, constatant qu’EDF n’apportait aucun élément permettant de démontrer que le dommage aurait eu une autre cause qu’un défaut d’entretien normal de l’ouvrage, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi et confirmé le caractère non sérieusement contestable de l’obligation d’EDF de réparer les préjudices causés à la RECB.