Le Conseil d’Etat est venu préciser que l’utilisation d’un même élément d’appréciation pour deux critères de jugement distincts est possible dès lors que le recours à cet élément d’appréciation n’est pas sans lien avec le critère en cause, ce critère devant lui-même être lié à l’objet du marché.
En l’espèce, le centre communal d’action sociale (CCAS) de Saint-Malo a initié, le 16 juin 2015, une consultation, dans le cadre d’une procédure adaptée, la conclusion d’un marché relatif à la réservation, pendant quatre ans maximum, de vingt places en crèche pour l’accueil collectif d’enfants âgés de dix semaines à six ans.
Le marché a été attribué à la société L. M. B. La société E., classée deuxième de la procédure, a introduit une demande devant le Tribunal administratif de Rennes afin d’obtenir la censure du marché conclu entre la CCAS et la société L.M.B. Le Tribunal administratif de Rennes a, par un jugement du 23 novembre 2017, prononcé la résiliation du marché litigieux à compter du 1er juillet 2018 tout en rejetant la demande indemnitaire de la société requérante.
La CCAS de Saint-Malo et la société L.M.B ont toutefois interjeté appel de ce jugement. Par un arrêt du 7 décembre 2018, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé l’article 1er du jugement du tribunal administratif de Rennes. La société E. s’est, logiquement, pourvue en cassation.
Le Conseil d’Etat rappelle, tout d’abord, le principe tiré de la décision Commune de Belleville-sur-Loire (CE, 3 novembre 2014, req. n°373362) qui avait énoncé le principe selon lequel l’acheteur dispose d’une liberté dans le cadre de la définition de la méthode de notation des offres, cette liberté étant toutefois encadrée par l’exigence de respect des principes fondamentaux de la commande publique :
« Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu’il a définis et rendus publics. Il peut ainsi déterminer tant les éléments d’appréciation pris en compte pour l’élaboration de la note des critères que les modalités de détermination de cette note par combinaison de ces éléments d’appréciation. Une méthode de notation est toutefois entachée d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d’appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l’évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en oeuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l’ensemble des critères pondérés, à ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n’y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l’avis d’appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation ».
En l’occurrence, le règlement de la consultation du marché litigieux définissait deux critères de jugement des offres à savoir, d’une part, celui tiré du prix unitaire à la place de crèche et, d’autre part, la valeur technique de l’offre.
Le critère de la valeur technique était évalué au regard de quatre sous-critères et, notamment, le sous-critère tiré de la qualité du projet d’établissement pour lequel l’acheteur avait défini deux éléments d’appréciation portant, d’une part, sur les moyens humains mis en œuvre et, d’autre part, sur le projet d’établissement lui-même.
L’analyse du rapport d’analyse des offres a permis de relever que l’élément d’appréciation tenant au projet d’établissement était lui-même décomposé selon deux éléments d’appréciation tenant, d’une part, aux conditions d’organisation de la structure et, d’autre part, les projets complémentaires. Et, pour l’appréciation des projets complémentaires, l’acheteur a pris là également en compte plusieurs éléments d’appréciation et, plus spécifiquement, le budget alimentaire annuel.
Aussi, s’agissant de cet élément d’appréciation, le Conseil d’Etat relève que le montant du budget consacré à l’alimentation des enfants était un élément permettant d’apprécier la qualité des repas servis aux enfants accueillis dans la crèche, de sorte qu’il n’est pas sans lien avec le sous-critère de la qualité du projet d’établissement du critère de la valeur technique des offres.
Le Conseil d’Etat relève en outre que le fait que le montant du budget consacré à l’alimentation puisse également servir à l’appréciation du critère financier tiré du prix unitaire à la place de crèche n’empêche pas que celui-ci soit également retenu pour apprécier la valeur technique des offres.
Les juges du Palais Royal, reprenant le raisonnement retenu par les juges d’appel, conclut ainsi que le budget consacré à l’alimentation qui n’était pas sans lien avec l’objet du marché et qui ne constituait qu’un élément d’appréciation parmi d’autres, même si à lui seul il ne reflétait pas la qualité des repas, n’entachait pas d’irrégularité la méthode de notation.
Le Conseil d’Etat rejette ainsi la requête de la société E.