Le Conseil d’Etat redéfinit les critères de recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les circulaires et autres documents de portée générale produits par l’administration pour ses propres besoins

Depuis le bien connu arrêt Duvignères rendu par la section du contentieux du Conseil d’Etat le 18 décembre 2002 (n° 233618), la jurisprudence était bien fixée s’agissant du critère de recevabilité du recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’une circulaire ou d’une instruction administrative, tenant à la présence, au sein de tels actes, de « dispositions impératives à caractère général ».

Ce critère avait notamment conduit à exclure la recevabilité d’un tel recours contre les lignes directrices fixées par l’autorité administrative (CE, 3 mai 2004, Comité anti-amiante Jussieu, req. n° 245961).

L’unité de l’édifice jurisprudentiel avait, toutefois, commencé à se fissurer avec l’assouplissement des conditions de recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre des actes dits de « droit souple » des autorités de régulation, eu égard à la nature du pouvoir normatif (ou quasi-normatif) de ces autorités et des effets – notamment économiques – importants susceptibles d’être produits par de tels actes.

Ainsi, le Conseil d’Etat avait ainsi admis la recevabilité d’un tel recours à l’encontre des actes des seules autorités de régulation, qui « sont de nature à produire des effets notables, ou qui ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent » (CE Ass., 21 mars 2016, Fairvesta, req. n° 368082).

Par une décision rendue le 12 juin 2020 (Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s, req. n° 418142), la section du contentieux du Conseil d’Etat a étendu à l’ensemble des « documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif », le critère de recevabilité tenant aux effets susceptibles d’être produits par de tels « documents » (l’on aura relevé ce glissement terminologique vers la catégorie des « documents »).

Peuvent ainsi désormais être déférés au juge de l’excès de pouvoir ces « documents » « lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre », le fil n’étant néanmoins pas totalement rompu avec la jurisprudence antérieure, puisque la décision précise qu’ont notamment « de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou [et il s’agit là d’une nouveauté] présentent le caractère de lignes directrices ».

La décision précise également les conditions du contrôle du juge administratif sur ces actes. Il lui appartient ainsi d’en apprécier la légalité « en tenant compte de la nature et des caractéristiques [du document déféré] ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité dont il émane ». Ainsi, devra être censuré par exemple un document qui « fixe une règle nouvelle entachée d’incompétence », ou « si l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée », ou encore « s’il est pris en vue de la mise en œuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure ».

Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat était saisi d’une « note d’actualité » émanant d’un service de la police aux frontières, relative à l’existence d’une « fraude documentaire généralisée en Guinée (Conakry) sur les actes d’état civil et les jugements supplétifs », préconisant aux agents devant apprécier des actes d’état civil émis par des états étrangers de formuler un avis défavorable sur tout acte de naissance guinéen.

Le Conseil d’Etat estime, eu égard aux effets notables potentiels de cette note sur la situation des ressortissants guinées dans leurs relations avec l’administration française, qu’elle était bien « justiciable » au regard des nouveaux critères de recevabilité désormais retenus.

Sur le fond, il rejette néanmoins le moyen tenant aux vices de forme et de compétence invoqués, de même que celui tenant à la contrariété de l’acte à l’article 47 du code civil, dans la mesure où cette note n’interdit pas aux agents concernés, ni aux autres administratives compétentes en matière d’état civil de procéder, comme elles y sont tenus, à un examen au cas par cas des demandes présentées par les ressortissants guinéens.