Le maître d’ouvrage public est fondé à rechercher la responsabilité contractuelle du mandataire solidaire du groupement de maîtrise d’œuvre après la réception des travaux, quand bien même la mission dudit groupement est terminée
CE, 10 octobre 2022, Communauté d’agglomération du Grand Angoulême, req. n° 455188
Par un arrêt du 10 octobre 2022 mentionné dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur la possibilité pour le maître d’ouvrage public de rechercher la responsabilité contractuelle du mandataire solidaire d’un groupement de maîtrise d’œuvre, après réalisation des travaux et après l’achèvement de sa mission.
En l’occurrence, la communauté d’agglomération du Grand Angoulême avait conclu un marché de maîtrise d’œuvre relatif à la construction d’une médiathèque avec un groupement conjoint dont le mandataire solidaire était la société FRA Architectes.
Deux titres exécutoires ont été émis par le maître d’ouvrage, étant précisé que le premier a été retiré et remplacé par le second, du même montant.
La société FRA Architectes a d’abord saisi le Tribunal administratif de Poitiers, puis la Cour administrative d’appel de Bordeaux d’une demande tendant à l’annulation de ces titres. Les juges d’appel ont fait droit à cette demande et ont, en conséquence, déchargé la société FRA Architectes de l’obligation de payer la somme demandée.
Saisi de ce contentieux par pourvoi formé par la communauté d’agglomération du Grand Angoulême, le Conseil d’Etat précise, à la lecture de l’article 3.1 du CCAG-PI dans sa version issue du décret du 26 décembre 1978 et de l’article 20 du CCAP du marché de maîtrise d’œuvre en cause, que le mandataire d’un groupement de maîtrise d’œuvre est solidaire de chacun de ses cotraitants dans les obligations de ces derniers envers le maître d’ouvrage jusqu’à l’achèvement de la mission de maîtrise d’œuvre, à savoir :
- Soit, à la fin du délai de garantie de parfait achèvement, d’une durée d’un an ;
- Soit, après la levée des réserves signalées lors de la réception des ouvrages, si cette levée est plus tardive. En telle hypothèse, l’achèvement de la mission intervient lors de la levée de la dernière réserve.
Le Conseil d’Etat rappelle ensuite son considérant de principe relatif à la réception des travaux :
« La réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage. Si elle interdit, par conséquent, au maître de l’ouvrage d’invoquer, après qu’elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l’ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure. Ainsi, la réception demeure, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l’établissement du solde du décompte définitif. Seule l’intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d’interdire au maître de l’ouvrage toute réclamation à cet égard ».
Ainsi, si la réception de l’ouvrage met fin aux rapports contractuels en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage, elle demeure néanmoins sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, lesquels sont traités au stade de l’établissement du décompte général et définitif.
En l’espèce, pour annuler le titre exécutoire querellé, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a considéré, en application de l’article 3.1 du CCAG-PI, que la responsabilité contractuelle de la société FRA Architectes ne pouvait plus être recherchée en sa qualité de mandataire solidaire du groupement de maîtrise d’œuvre à compter de la date à laquelle la mission du groupement de maîtrise d’œuvre s’était achevée.
Or, ce faisant, les juges d’appel ont commis une erreur de droit, dans la mesure où si l’achèvement de la mission du maître d’œuvre marque la fin des relations contractuelles, elle demeure sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, qui lient le mandataire au titre de l’engagement solidaire qu’il a contracté.
Partant, le Conseil d’Etat annule l’arrêt attaqué et renvoie l’affaire à la Cour administrative d’appel de Bordeaux.
CE, 10 octobre 2022, Communauté d’agglomération du Grand Angoulême, req. n° 455188