Les dispositions du règlement n° 1370/2007 relatives à l’attribution directe d’un contrat de service public de transport de voyageurs par chemin de fer n’imposent à l’autorité compétente ni la communication aux opérateurs économiques intéressés de l’ensemble des informations nécessaires à l’élaboration d’une offre, ni d’effectuer une analyse comparative des offres reçues

Conformément au règlement n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil relatif aux services publics de transport voyageurs par chemin de fer et par route, la Région de Sardaigne a publié, le 29 décembre 2015, un avis de préinformation concernant l’attribution directe des services publics de transport par chemin de fer.

A la suite de cette publication, la Région de Sardaigne a reçu des manifestations d’intérêt provenant de trois opérateurs économiques, en ce compris Trenitalia, opérateur historique. L’un des deux autres opérateurs a sollicité de la Région de Sardaigne l’indication du cadre formel dans lequel se déroulerait la mise en concurrence, ainsi que la communication d’informations plus détaillées.

La Région de Sardaigne, estimant ne pas devoir procéder à une mise en concurrence, a, après négociations, attribué directement à Trenitalia le contrat de service de transport public de voyageurs par chemin de fer régional pour la période allant du 1er novembre 2017 au 31 décembre 2025.

L’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercado (ci-après, « l’AGCM ») a formé un recours contre cette attribution directe devant le tribunal administratif régional pour la Sardaigne.

Devant cette juridiction, l’AGCM a soutenu que l’attribution directe d’un contrat de service public de transport de voyageurs devait s’inspirer des principes généraux d’égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence. Ainsi, selon l’AGCM, il appartient à l’autorité régionale de mettre à la disposition des opérateurs économiques intéressés toutes les informations nécessaires à la formulation d’une offre commerciale. L’AGCM prétendait également que cette même autorité devait effectuer une analyse comparative des offres déposées par les opérateurs économiques et motiver le choix de l’attribution.

De son côté, la Région de Sardaigne considérait que l’ensemble des exigences procédurales mises à sa charge avaient été respectées, et qu’une analyse comparative des offres se heurterait au principe même de l’attribution directe.

Le tribunal administratif a décidé de surseoir à statuer et de poser les questions préjudicielles suivantes à la Cour de justice de l’Union européenne :

« 1) L’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1370/2007 doit-il être interprété en ce sens qu’il impose à l’autorité compétente qui a l’intention de procéder à l’attribution directe d’un contrat de prendre les mesures nécessaires pour publier ou communiquer à tous les opérateurs éventuellement intéressés par la gestion du service les informations nécessaires pour élaborer une offre sérieuse et raisonnable ?

2) L’article 7, paragraphe 4, du règlement n° 1370/2007 doit-il être interprété en ce sens que l’autorité compétente doit, avant de procéder à l’attribution directe du contrat, effectuer une évaluation comparative de toutes les offres de gestion du service éventuellement reçues après la publication de l’avis de préinformation visé au même article 7, paragraphe 4 ? »

Il était donc demandé à la CJUE si les autorités nationales compétentes qui ont l’intention d’attribuer directement un contrat de service public de transport de voyageurs par chemin de fer étaient tenues, d’une part, de publier ou de communiquer aux opérateurs économiques intéressés l’ensemble des informations nécessaires, afin qu’ils soient en mesure d’élaborer une offre suffisamment détaillée et susceptible de faire l’objet d’une évaluation comparative, et, d’autre part, d’effectuer une analyse comparative des offres reçues.

Sur la base des dispositions de l’article 7 du règlement n° 1370/2007, la CJUE relève qu’au plus tard un an avant le lancement de la procédure de mise en concurrence ou un an avant l’attribution directe, l’autorité compétente doit publier au Journal officiel de l’Union Européenne certaines informations (parmi lesquelles le nom et les coordonnées de l’autorité compétente, le type d’attribution envisagé, les services et les territoires concernés par l’attribution).

La CJUE relève également que ce même article impose à l’autorité compétente de communiquer à tout intéressé, les motifs de sa décision relative à l’attribution directe d’un contrat de service public.

Le juge européen en conclut, contrairement à ce que prétendait l’AGCM, que ces dispositions n’imposent pas la publication ou la communication d’informations sur l’attribution qui permettent aux opérateurs économiques intéressés d’élaborer une offre susceptible de faire l’objet d’une évaluation comparative. De même, l’autorité compétente n’est pas tenue d’organiser une évaluation comparative des offres reçues.

En outre, il est précisé que le règlement n° 1370/2007 vise précisément l’attribution directe comme mode d’attribution d’un contrat de service public de transport de voyageurs par chemin de fer à un opérateur de service public.

Ainsi, l’attribution directe ne saurait être précédée d’aucune concurrence préalable.

La CJUE s’en explique d’ailleurs par trois séries d’arguments.

Premièrement, elle rappelle que le règlement n° 1370/2007 n’a pas pour objectif de poursuivre l’ouverture du marché des services ferroviaires, mais bien d’instaurer un cadre légal en matière d’octroi de compensation et/ou de droits exclusifs pour des contrats de service public.

Deuxièmement, elle constate que par les mesures de publicité imposées à l’autorité compétente, le règlement cherche à établir un plus grand degré de transparence pour les contrats de service public attribués directement. Cependant, l’effectivité de ce droit de contestation n’impose pas à l’autorité compétente de publier ou de communiquer aux opérateurs économiques intéressés l’ensemble des informations nécessaires pour que ceux-ci puissent déposer une offre sérieuse et raisonnable.

Troisièmement, le juge européen se réfère à la genèse de l’article 7 du règlement n° 1370/2007, laquelle confirme l’interprétation retenue. Lors des travaux préparatoires précédent l’adoption dudit règlement, une proposition émanant de la Commission allant dans le sens d’une plus grande ouverture à la concurrence n’avait pas été retenue par le législateur.

En conséquence, la CJUE conclut que l’article 7 du règlement n° 1370/2007 « doit être interprété en ce sens que les autorités nationales compétentes qui ont l’intention d’attribuer directement un contrat de service public de transport de voyageurs par chemin de fer ne sont pas tenues, d’une part, de publier ou de communiquer aux opérateurs économiques éventuellement intéressés toutes les informations nécessaires afin qu’ils soient en mesure d’élaborer une offre suffisamment détaillée et susceptible de faire l’objet d’une évaluation comparative et, d’autre part, d’effectuer une telle évaluation comparative de toutes les offres éventuellement reçues à la suite de la publication de ces informations ».

CJUE, 24 octobre 2019, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercado c/ Regione autonoma della Sardegna, aff. C-515/18