Précisions sur l’office du juge de l’excès de pouvoir

Par une décision du 21 décembre 2018, publiée au recueil Lebon, le Conseil d’Etat a fait œuvre de pédagogie pour expliquer l’office du juge de l’excès de pouvoir, lorsque ce dernier est saisi de plusieurs moyens pouvant justifier l’annulation d’une décision administrative, ainsi que de conclusions à fin d’injonction.

La Haute juridiction commence par rappeler que le juge de l’excès de pouvoir annule la décision contestée dès lors que l’un des moyens soulevés par le requérant ou relevé d’office par lui-même :

« 6. Le motif par lequel le juge de l’excès de pouvoir juge fondé l’un quelconque des moyens de légalité soulevés devant lui ou des moyens d’ordre public qu’il relève d’office suffit à justifier l’annulation de la décision administrative contestée. Il s’ensuit que, sauf dispositions législatives contraires, le juge de l’excès de pouvoir n’est en principe pas tenu, pour faire droit aux conclusions à fin d’annulation dont il est saisi, de se prononcer sur d’autres moyens que celui qu’il retient explicitement comme étant fondé ».

Aussi, selon le Conseil d’Etat, la substance du motif retenu pour l’annulation a une incidence directe sur la portée de la chose jugée et sur les conséquences de l’annulation prononcée, en particulier lorsque le juge de l’excès de pouvoir est également saisi de conclusion à fin d’injonction sur le fondement des articles L.911-1 et L.911-2 du code de justice administrative :

« 7. La portée de la chose jugée et les conséquences qui s’attachent à l’annulation prononcée par le juge de l’excès de pouvoir diffèrent toutefois selon la substance du motif qui est le support nécessaire de l’annulation. C’est en particulier le cas selon que le motif retenu implique ou non que l’autorité administrative prenne, en exécution de la chose jugée et sous réserve d’un changement des circonstances, une décision dans un sens déterminé. Il est, à cet égard, loisible au requérant d’assortir ses conclusions à fin d’annulation de conclusions à fin d’injonction, tendant à ce que le juge enjoigne à l’autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, ou à ce qu’il lui enjoigne de reprendre une décision dans un délai déterminé, sur le fondement de l’article L. 911-2 du même code. »

Du reste, dans l’hypothèse où il serait saisi de plusieurs moyens d’annulation, le juge de l’excès de pouvoir retient le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige selon les circonstances du cas d’espèce. Néanmoins, lorsque le requérant assortit son recours en annulation de conclusions à fin d’injonction, le juge de l’excès de pouvoir doit apprécier en priorité les moyens qui seraient de nature à justifier le prononcé de l’injonction :

« 8. Lorsque le juge de l’excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l’annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l’annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l’ensemble des circonstances de l’affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d’annulation, des conclusions à fin d’injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l’autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l’excès de pouvoir d’examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l’injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d’injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l’article L. 911-2. »

Dans ses conclusions d’annulation, si le requérant hiérarchise ses différents moyens selon la cause juridique sur laquelle ils reposent, le juge de l’excès de pouvoir est tenu de respecter cet ordre, en statuant en priorité sur les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant :

« 9. De même, lorsque le requérant choisit de hiérarchiser, avant l’expiration du délai de recours, les prétentions qu’il soumet au juge de l’excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d’annulation, il incombe au juge de l’excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c’est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant. »

Ainsi, dans le cas où le juge de l’excès de pouvoir ne juge fondé aucun des moyens présentés à titre principal par le requérant, mais retiendrait un moyen de sa demande subsidiaire, il a la faculté de se prononcer uniquement sur le moyen qu’il retient pour annuler la décision administrative, rejetant de fait les moyens de la demande principale :

« 10. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais qu’il retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l’excès de pouvoir n’est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu’il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale. »

Dans ces conditions, et dans l’hypothèse où le jugement est susceptible d’appel, le requérant dont la demande principale n’aurait pas été satisfaite peut interjeter appel :

« 11. Si le jugement est susceptible d’appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n’a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d’appel, statuant dans le cadre de l’effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale. »

Pour en venir au cas d’espèce, la Cour administrative d’appel de Marseille avait rejeté l’appel formé par la société requérante, laquelle avait déjà été déboutée par le Tribunal administratif de Toulon. En effet, le juge de première instance avait refusé de faire droit à ses conclusions d’injonction tenant à la délivrance de l’agrément d’établissement de formation à la conduite des navires de plaisance à moteur présentées à titre principal, alors qu’il avait annulé la décision administrative pour insuffisance de motivation.

Au Conseil d’Etat de relever que la Cour administrative d’appel n’avait commis aucune erreur de droit en considérant que « le tribunal administratif avait retenu le motif le mieux à même de régler le litige, qu’il n’était pas tenu de se prononcer sur les autres moyens de la requête et qu’il avait à bon droit rejeté les conclusions à fin d’injonction dont il était saisi à titre principal ».

CE, Section, 21 décembre 2018, Société Eden, req. n° 409678

 

 

 

 

 

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