Par une décision rendue le 12 juin 2020 (Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s, req. n° 418142), la section du contentieux du Conseil d’Etat a, on le rappelle, étendu à l’ensemble des « documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif », le critère de recevabilité du recours pour excès de pouvoir tenant aux effets susceptibles d’être produits par de tels « documents ».
Peuvent ainsi désormais être déférés au juge de l’excès de pouvoir ces « documents » « lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre », le fil n’étant néanmoins pas totalement rompu avec la jurisprudence antérieure, puisque la décision précisait qu’ont notamment « de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou [et il s’agissait là d’une nouveauté] présentent le caractère de lignes directrices ».
Le Conseil d’Etat a eu l’occasion, dans une décision du 16 octobre 2020 (n° 429283) de faire application de cette jurisprudence au cas d’une décision adoptée par l’autorité de supervision indépendantes (ASI) des redevances aéroportuaires, dont les attributions sont désormais exercées par l’autorité de régulation des transports.
Par sa décision, l’ASI avait essentiellement entendu préciser, en vertu des dispositions de l’article R. 224-3-4 du code de l’aviation civile – dans sa rédaction alors applicable –, les éléments documentaires qu’elle entendait voir produire par les exploitants en vue de l’homologation de leurs tarifs, en sus des informations d’ores et déjà listées au IV de l’article R. 224-3 du même code. L’article R. 224-3-4 du code lui conférait, en effet, la possibilité de « demander à l’exploitant d’aérodrome de lui transmettre tout élément permettant de justifier sa proposition tarifaire ».
L’Union des aéroports français et francophones associés contestait la légalité de la décision en tant qu’elle incluait, parmi les informations devant être systématiquement produites par les exploitants, des éléments excédant les prescriptions de l’article R. 223-4 du code de l’aviation civile, considérant qu’elle n’était pas compétente pour ce faire.
Comme relevé par le rapporteur public, M. Guillaume Odinet, dans ses conclusions sur cette décision, l’ASI ne disposait pas d’un pouvoir réglementaire délégué spécifique pour procéder à ces précisions. Toutefois, deux fondements alternatifs pouvaient permettre de regarder comme légale l’intervention de l’ASI : l’exercice de son pouvoir réglementaire lié à l’organisation et au fonctionnement du service (qui peut notamment viser les usagers du service), ou l’exercice de la prérogative tenue de l’article R. 224-3-4 du code de l’aviation civile permettant à l’ASI de demander tout élément complémentaire aux exploitants et, selon le rapporteur public, lui permettant également de « rendre publics, de façon préalable, les éléments dont elle estime devoir systématiquement disposer pour instruire les notifications ».
C’est cette dernière interprétation qu’a retenu le Conseil d’Etat, jugeant que l’ASI avait, dans l’exercice de cette dernière prérogative, établi des « lignes directrices » visant à définir « la liste des documents qui lui apparaissent nécessaires afin d’assurer la mission qui est la sienne ».
Au regard de cette qualification, il lui appartenait ainsi, conformément à la ligne jurisprudentielle tracée par la décision du 12 juin 2020, d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité de ce « document », en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité dont il émane.
La Haute-juridiction a considéré, en l’espèce, que l’ASI pouvait valablement déterminer et faire connaître à l’avance les éléments complémentaires dont elle jugeait avoir besoin pour procéder à l’examen des demandes d’homologation. Elle a ainsi, à bon droit, inclus dans cette liste fixée par lignes directrices des éléments excédant les prescriptions minimales contenues par le code de l’aviation civile – et c’est sur ce point que la décision fait l’objet d’un fichage –, notamment inclure des éléments relatifs aux activités hors périmètre régulé, dans la mesure où cela peut être pertinent pour s’assurer de la « juste rémunération des capitaux investis » perçue par l’exploitant, et qu’en toute hypothèse, il n’était pas démontré par l’organisation requérante que ces exigences auraient « fait peser une charge excessive sur les exploitants d’aérodrome ».
CE, 16 octobre 2020, Union des aéroports français et francophones, req. n° 429283, T.