Projets de décrets approuvant les statuts des sociétés du groupe public ferroviaire unifié : l’Autorité de régulation des transports très critique dans la perspective de l’ouverture à la concurrence

Par l’effet de la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire et de plusieurs textes qui l’ont suivi, en particulier l’ordonnance n° 2019-552 du 3 juin 2019 portant diverses dispositions relatives au groupe SNCF, le secteur ferroviaire a connu une réorganisation institutionnelle vouée, notamment, à anticiper les contraintes qui accompagnent l’ouverture à la concurrence du marché du transport ferroviaire intérieur de voyageurs.

Au résultat de cette réorganisation, le législateur a fait le choix de maintenir un groupe verticalement intégré, où le gestionnaire d’infrastructure et l’opérateur historique demeurent au sein d’un même ensemble, dans la lignée du régime qui avait été introduit par la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire.

Au 1er janvier 2020 succèderont ainsi aux trois établissements publics industriels et commerciaux existant trois sociétés anonymes (SNCF, SNCF Réseau et SNCF Voyageurs) à capitaux exclusivement publics. Une filiale de la société SNCF Réseau sera instituée pour la gestion des gares, qui relevait jusqu’ici du giron de SNCF Mobilités (via Gares & Connexions).

Conformément au II de l’article 1er de la loi du 27 juin 2018, des décrets en Conseil d’Etat doivent intervenir d’ici le 1er janvier 2020 pour fixer les statuts de ces quatre sociétés. Ce sont les projets de décrets établis par le gouvernement qui étaient soumis à l’examen de l’ART.

Dans l’avis n° 2019-083 qu’elle a rendu le 9 décembre 2019 sur ces projets de décrets, l’ART a relevé de nombreuses difficultés, en particulier dans la perspective de l’ouverture à la concurrence.

Ce sont, en premier lieu, des difficultés liées à l’intégration verticale du groupe public unifié qui ont été soulignées, notamment le périmètre des fonctions mutualisées et des missions transversales de la société nationale de « tête », la société nationale SNCF, dont le principe même, l’imprécision et le caractère non limitatif peuvent compromettre l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure.

C’est, ensuite, le maintien de la gestion de certaines installations de services (centres de maintenance et stations de combustible) dans le giron de SNCF Voyageurs, opérateur historique, dont l’ART relève qu’il devra s’accompagner de garanties pour les nouveaux entrants. Ces installations constituent un enjeu important pour ces derniers : ils devront pouvoir y accéder selon des conditions transparentes et non discriminatoires. Alors que l’ART avait préconisé d’en confier la gestion à une filiale spécifique, le projet de décret relatif à la société SNCF Voyageurs prévoit uniquement des obligations de séparation comptable, dont l’ART considère qu’elles seraient insuffisantes à garantir l’indépendance organisationnelle et décisionnelle de l’activité de gestion de ces installations et qu’elles devraient ainsi être doublées de mesures organisationnelles.

S’agissant de la société SNCF Réseau, l’ART relève que le projet de décret statutaire ne garantit pas son indépendance financière, dans la mesure où la société nationale SNCF assurera seule la fonction d’émetteur d’obligations du groupe public unifié sur les marchés financiers, privant SNCF Réseau de la capacité à se financer de manière autonome sur ces marchés. Cela se traduira, en effet, par le fait que la société nationale SNCF empruntera sur les marchés notamment pour le compte de SNCF Réseau et lui accordera des prêts intra-groupe pour couvrir ses éventuels besoins de financement.

L’ART relève, encore, des incertitudes s’agissant de la filiale de SNCF Réseau en charge de la gestion des gares de voyageurs et de l’indépendance avec laquelle elle pourra exercer ses activités. L’avis relève, en effet, des interrogations en suspens sur le dispositif envisagé s’agissant des personnels de SNCF Voyageurs qui agiront, pour une part de leurs activités, sous l’autorité du directeur de cette filiale, de même qu’un recul sur plusieurs contraintes existantes (suppression du code de déontologie applicable au sein de la filiale et de l’obligation de saisine pour avis de l’ART sur la nomination, le renouvellement et la révocation des dirigeants de la filiale).

L’ART relève, enfin, des difficultés liées à l’absence de séparation comptable claire entre les activités de gestionnaire d’infrastructure et de gestionnaire d’installations de service de SNCF Réseau.

Avis n° 2019-083 du 9 décembre 2019