En matière de régulation du secteur ferroviaire, les prérogatives de l’Autorité de régulation des transports (ART) relèvent soit (i) de la régulation dite « ex ante », qui consiste à subordonner à son avis – conforme dans la plupart des hypothèses – la prise d’effet des actes du gestionnaire de l’infrastructure ou des exploitants d’installations de services qui déterminent les conditions d’accès à ces équipements, soit (ii) de la régulation dite « ex post », qui correspond pour l’essentiel au pouvoir de règlement des différends qui lui a été confié par le législateur.
En vertu des articles L. 1263-1 et suivants du code des transports, l’ART peut ainsi être saisie de tout différend relatif, notamment, à l’accès au réseau ferroviaire ou aux installations de services et « à la mise en œuvre » des redevances d’infrastructure ou de la tarification des services de base fournis dans ces installations.
Dans l’exercice de ces prérogatives, l’ART avait rendu plusieurs décisions importantes, où elle avait enjoint à SNCF Mobilités de modifier rétroactivement la tarification des services de base dans les gares de voyageurs (n° 2015-002 du 3 février 2015 et n° 2017-008 du 1er février 2017). Dans cette dernière décision, elle avait considéré que « l’avis conforme sur la tarification des prestations rendues dans les gares de voyageurs (…) ne saurait remettre en cause la compétence que l’Autorité tire de l’article L. 1263-2 dès lors qu’elle n’est pas exclusive de toute autre procédure devant l’Autorité et n’a, en tout état de cause, pas le même objet qu’une procédure de règlement de différend ».
C’est donc assez légitimement que la Région Nouvelle-Aquitaine s’est, à nouveau, tournée vers le régulateur pour solliciter une modification de la méthodologie de tarification de l’accès à la gare de Bordeaux-Saint-Jean et des prestations régulées qui y sont fournies.
Il s’agissait, ainsi, d’une demande d’injonction à SNCF Gares & Connexions de modifier les redevances relatives à l’accès aux gares de voyageurs, sur lesquelles l’ART émet, en vertu de l’article L. 2133-5 du code des transports, un avis conforme.
Dans une importante décision n° 2021-016 du 11 février 2021, l’ART s’est déclarée incompétente pour se prononcer sur un différend portant sur la fixation des tarifs rendus exécutoires par son propre avis conforme.
Elle s’est fondée, en ce sens, sur l’évolution des textes qui définissent son pouvoir de règlement de différend s’agissant de la tarification de l’accès aux gares. Elle relève, dans sa décision, que l’article L. 1263-2 distingue, au paragraphe I, un 1° relatif à l’accès au réseau ferroviaire, et un 2° relatif à l’accès aux installations de service, « y compris la fourniture et la mise en œuvre de la tarification », ce qui résulte d’une évolution introduite par la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire (et qui était, donc, déjà en vigueur lorsque l’ART s’était prononcée différemment en 2017). Elle en déduit que « le législateur a entendu soustraire du champ matériel de la compétence de l’Autorité, quand elle est saisie sur le fondement du paragraphe I de l’article L. 1263-2 du code des transports, les différends portant sur la fixation des redevances relatives à l’accès aux gares de voyageurs et aux prestations régulées qui y sont fournies ».
En l’espèce, l’objet du différend portait sur la modification des principes sur lesquels repose la construction tarifaire du document de référence des gares, qui avaient été validés par l’ART dans des avis conformes rendus depuis l’horaire de service 2016, et qu’elle ne pouvait donc que se déclarer incompétente pour en connaître.
Si l’on peut comprendre la gêne du régulateur, notamment en termes d’impartialité, à connaître de différends portant sur la validité de mesures tarifaires qu’il a lui-même validées, la motivation fondée sur l’évolution de la rédaction du texte peine à emporter totalement la conviction.
Plus fondamentalement, l’article 56 de la directive 2012/34/UE (en conformité avec lequel doivent être interprétées les dispositions de droit interne) dispose qu’un candidat peut saisir l’organisme de contrôle dès lors qu’il estime être victime d’un traitement inéquitable, d’une discrimination ou tout autre préjudice, d’un recours contre les décisions prises par le gestionnaire de l’infrastructure ou l’exploitant d’une installation de service en ce qui concerne, notamment, le système de tarification ou le niveau ou la structure des redevances d’utilisation de l’infrastructure. L’on peut se demander si l’interprétation retenue par l’ART n’est pas de nature à restreindre les possibilités ouvertes aux candidats par le texte européen.