Services de transport ferroviaire librement organisés (SLO) : publication des premières décisions de l’ART sur l’incidence financière des SLO sur les contrats de service public en cours

A compter de l’horaire de service 2021, les entreprises ferroviaires disposeront d’un droit d’accès à l’infrastructure ferroviaire en vue d’y exploiter des services de transport intérieurs de voyageurs.

La libéralisation de ces services est susceptible de porter atteinte à l’équilibre économique de conventions de service public existantes portant sur l’exploitation de services de transport organisés par les autorités publiques organisatrices de la mobilité.

La directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012 (art. 11, notamment) et le règlement d’exécution (UE) 2018/1795 du 20 novembre 2018 prévoient la possibilité de limiter les SLO dans l’hypothèse où il peut être démontré, en vertu d’un test d’équilibre économique conduit par l’autorité de contrôle (en France, l’Autorité de régulation des transports (ART)), que l’exploitation effective de ces services serait de nature à compromettre l’équilibre économique d’un contrat de service public qui porte sur la même liaison (ou à laquelle le SLO est substituable).

La procédure et les critères de ce test d’équilibre économique ont été définis par le règlement d’exécution susvisé, les articles L. 2121-12 et L. 2133-1 du code des transports, et les dispositions du décret n° 2018-1275 du 26 décembre 2018. Ils ont été précisés par les lignes directrices adoptées par l’ART le 6 juin 2019.

Ce test se décompose en cinq étapes :

  • vérification du champ d’application: l’autorité qui a saisi l’ART doit démontrer l’existence d’un contrat de service public couvrant un service correspondant à un trajet identique au trajet prévu par le SLO (ou un trajet de substitution) ;
  • vérification de la conformité du périmètre retenu par le saisissant: ce périmètre (et c’est un point important, on le verra) doit correspondre à l’ensemble du périmètre couvert par le contrat de service public et pas seulement à l’un (ou plusieurs) seulement des services qu’il couvre ;
  • analyse de la substituabilité entre le service conventionné et le SLO(comparaison des caractéristiques des services : horaires, temps de parcours, fréquences, capacité de l’offre, etc.) ;
  • évaluation chiffrée du risque d’incidence financière considérable: analyse de la variation des coûts et des recettes résultant de l’exploitation des services couverts par le contrat de service public après l’entrée en vigueur du SLO, en suivant deux approches successives :
    • une approche maximaliste, visant à apprécier l’incidence « maximale » (« toutes choses égales par ailleurs») du SLO sur l’économie du contrat de service public ;
    • en cas de conclusion à une risque d’incidence considérable, une seconde approche dite « complète », venant apprécier les éventuels effets positifs pour le contrat de service public engendrés par le SLO (induction de trafic, économies potentielles de coûts, réduction des investissements, etc.) ;

aux termes desquelles l’incidence est évaluée, sans qu’un seuil chiffré ait été déjà préétabli par l’ART, à partir duquel l’incidence serait réputée « considérable » ;

  • appréciation des bénéfices pour les usagers et des bénéfices sociaux: cette dernière étape peut permettre, même en cas d’incidence financière considérable, de s’opposer à toute restriction de l’exploitation du SLO, lorsque celui-ci présente, par ailleurs, des bénéfices que l’on pourrait qualifiés d’extérieurs.

Dans plusieurs avis en date du 9 janvier 2020, publiés le 24 février 2020, l’ART a fait effectivement application de cette procédure de test économique, au sujet de services notifiés par la société Flixtrain.

Les régions Hauts-de-France, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et – conjointement à celle-ci – Bourgogne-Franche-Comté, avaient saisi l’ART de demandes de test d’équilibre économique concernant plusieurs services notifiés par la société Flixtrain.

Les décisions rendues par l’ART livrent de premiers enseignements sur la mise en œuvre de cette procédure de test économique.

L’on précisera que l’une des demandes – celle de la région Hauts-de-France, portant sur une liaison Paris-Bruxelles, passant par Saint-Quentin – a été rejetée faute de contrat de service public en vigueur au titre duquel le test pourrait être conduit (décision n° 2020-004).

Les demandes présentées respectivement par la région Occitanie (liaison Paris-Toulouse – décision n° 2020-001) et les régions Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes (liaison Paris-Lyon – décision n° 2020-003) ont conduit l’ART à conclure à l’absence d’incidence financière considérable et, par conséquent, à ne pas restreindre l’accès à l’infrastructure ferroviaire à la société Flixtrain pour l’exploitation des services considérés.

Le premier enseignement à retirer de ces deux décisions est que, conformément à la lettre des textes, l’incidence financière du SLO est appréciée au regard de l’intégralité du contrat de service public existant, ce qui limite encore – en comparaison avec l’examen qui était conduit s’agissant des SLO de transport routier de voyageurs – la probabilité que cette incidence soit regardée comme « considérable » au sens des textes. L’on rappellera, en effet, qu’à l’heure actuelle, les conventions TER conclues par les régions portent, en règle générale, sur l’ensemble de leur ressort territorial. Ces contrats portent ainsi sur des enjeux financiers très substantiels (plusieurs centaines de millions d’euros, en règle générale) peu exposés à une perturbation considérable par l’organisation d’un SLO déterminé, qui ne viendra concurrencer qu’une part limitée des services couverts par le contrat de service public.

Cette première circonstance pourrait conduire les autorités organisatrices à réfléchir à un allotissement contractuel des services. Il s’agit, aussi bien, de protéger l’exploitation actuelle des lots considérés que de préserver l’attractivité des lots qui pourraient être mis en concurrence à l’avenir : l’existence de SLO pourra, en effet, peser notablement sur la rentabilité des services conventionnés, ce qui pourra se traduire en un renchérissement, pour les autorités organisatrices, de ces services, voire en un désintérêt des opérateurs pour leur exploitation à l’occasion de mises en concurrence.

Le second enseignement est donné par les ratios d’incidence financière qui ont conduit l’ART à dénier l’existence d’une incidence financière « considérable » au sens des textes. Il convient évidemment d’être prudents s’agissant du caractère réplicable de ces ratios, mais ces premières illustrations donnent un premier ton.

S’agissant de la liaison Paris-Toulouse, l’ART a constaté, au terme de l’approche maximaliste susvisée, une incidence financière de 0,15 % (pour l’ensemble du périmètre et de la durée de la convention considérée).

S’agissant de la liaison Paris-Lyon, le caractère « non considérable » de l’incidence financière a été retenu :

  • 4,1 % pour la Région Bourgogne-Franche-Comté ;
  • 0,1 % pour la Région Auvergne-Rhône-Alpes.

En conséquence de ces estimations, l’analyse sur le quatrième critère n’a pas dépassé le stade de l’approche maximaliste :  au terme de celle-ci, l’ART a conclu à l’absence d’incidence financière considérable.

Il y a fort à parier – ou à craindre, pour les autorités organisatrices – qu’au regard de la structuration actuelle des conventions TER, ces deux décisions augurent d’une particulière difficulté, pour les AOM, à faire reconnaître l’existence d’une incidence financière considérable et, donc, à parvenir à restreindre les SLO notifiés par des entreprises ferroviaires.

Décision n° 2020-002 du 9 janvier 2020

Décision n° 2020-003 du 9 janvier 2020

Décision n° 2020-004 du 9 janvier 2020