En matière indemnitaire, le montant présenté dans la demande « préalable » effectuée postérieurement à l’introduction du recours contentieux ne lie pour autant pas le juge administratif

En matière indemnitaire, le montant présenté dans la demande « préalable » effectuée postérieurement à l’introduction du recours contentieux ne lie pour autant pas le juge administratif

Le Conseil d’Etat précise que si la demande indemnitaire est présentée à l’Administration après l’introduction du recours contentieux a pour effet de lier le contentieux, le juge reste lié par le montant figurant dans la requête.

Pour mémoire, le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative communément appelé « décret JADE » avait modifié les dispositions prévues par l’article R. 421-1 de ce code, dont la rédaction prévoit désormais que :

« La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.

Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle.

Le délai prévu au premier alinéa n’est pas applicable à la contestation des mesures prises pour l’exécution d’un contrat ».

Cette nouvelle rédaction mettait a priori fin à la jurisprudence Etablissement français du sang (CE, 11 avril 2008, Etablissement français du sang, req. n° 281374), qui permettait au requérant d’introduire directement devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n’avait présenté aucune demande en ce sens devant l’Administration, puis postérieurement à l’introduction de ce recours, de présenter une demande auprès de l’Administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci fait naître une décision implicite de rejet.

Cependant, par un avis rendu le 27 mars 2019, le Conseil d’Etat avait précisé les conditions d’application de l’article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa rédaction issue du décret JADE.

Il avait alors considéré que « les termes du second alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative n’impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l’existence d’une décision de l’administration s’apprécie à la date de son introduction. Cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l’administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle. Par suite, l’intervention d’une telle décision en cours d’instance régularise la requête, sans qu’il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l’administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l’absence de décision » (CE, Sect., avis, 27 mars 2019, n° 426472).

Ainsi, en 2019, le Conseil d’Etat avait fait « renaître » sa jurisprudence Etablissement français du sang : dans la mesure où la recevabilité de la requête indemnitaire s’apprécie non pas à la date de l’introduction du recours contentieux, mais bien à la date à laquelle le juge statue, il est toujours loisible au requérant de lier le contentieux en obtenant en cours d’instance une décision de refus de la part de l’Administration sur sa demande indemnitaire.

Le Conseil d’Etat fait une nouvelle fois montre de souplesse en la matière, s’intéressant cette fois au montant demandé par le requérant à l’Administration et au juge administratif

En l’espèce, le requérant, qui exerçait la profession d’agent technique territorial titulaire de la commune de Montigny-lès-Metz, avait été placé en disponibilité pour convenances personnelles du 1er janvier 1990 au 31 décembre 1998. Il avait sollicité, le 28 octobre 1998, sa réintégration à compter du 1er janvier 1999 sur un poste de menuisier.

Toutefois, en l’absence de poste vacant, la commune l’avait maintenu, par arrêté du 13 août 1999, en disponibilité à compter du 1er janvier 1999. Ce n’est qu’en réponse à une ultime demande de réintégration présentée par le requérant le 27 janvier 2014 – qui faisait suite à plusieurs demandes successives qu’il avait présentées depuis le 28 juillet 2000 –, que par arrêté du 25 avril 2014, la commune de Montigny-lès-Metz l’a réintégré à un poste dans le service « maintenance des espaces publics – voirie – propreté » à compter du 1er mai 2014 et jusqu’à son admission à la retraite le 24 janvier 2017.

C’est dans ces conditions que le requérant a introduit une requête devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à obtenir la condamnation de la commune en raison de la faute qu’elle avait commise en ne le réintégrant pas à l’issue d’un délai raisonnable à l’issue de sa mise en disponibilité.

Faisant partiellement droit aux prétentions du requérant, le tribunal administratif a condamné la commune de Montigny-lès-Metz à lui verser la somme de 3.000 euros en réparation du préjudice moral résultant pour lui de cette faute, tout en rejetant le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Saisie de ce contentieux, la cour administrative d’appel de Nancy a réformé ce jugement en portant la condamnation de la commune à la somme de 61.461,27 euros.

Néanmoins, s’estimant tous deux lésés par cet arrêt, tant le requérant que la commune se sont pourvus en cassation.

Après avoir rappelé les termes prévus par le premier alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat confirme que la demande indemnitaire peut être postérieure à l’introduction du contentieux et que la décision rendue en cours d’instruction par l’Administration sur cette demande lie le contentieux :

« Lorsqu’un requérant a introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n’avait présenté aucune demande en ce sens devant l’administration et qu’il forme, postérieurement à l’introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l’administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, cette décision lie le contentieux ».

 

Mais, le Conseil d’Etat va plus loin, posant le principe selon lequel la demande indemnitaire est « déconnectée » du recours contentieux. En effet, le contentieux procède du contenu de la requête et non de celui de la demande préalable, quand bien même celle-ci lui serait postérieure

« La demande indemnitaire est recevable, que le requérant ait ou non présenté des conclusions additionnelles explicites contre cette décision, et alors même que le mémoire en défense de l’administration aurait opposé à titre principal l’irrecevabilité faute de décision préalable, cette dernière circonstance faisant seulement obstacle à ce que la décision liant le contentieux naisse de ce mémoire lui-même ».

En l’occurrence, sans qu’il soit établi qu’une demande indemnitaire aurait été préalablement soumise à la commune de Montigny-lès-Metz, le requérant a saisi le tribunal administratif de conclusions indemnitaires pour obtenir la réparation de cinq chefs de préjudices.

En vue de la régularisation de son recours contentieux – autrement dit, au cours de la première instance –, il a adressé à la commune une demande indemnitaire dans laquelle il n’invoquait que trois chefs de préjudice sur les cinq dont il avait saisi le juge administratif.

Pour autant, le Conseil d’Etat juge que le silence gardé par la commune sur cette demande préalable a eu pour effet de faire naître une décision implicite de rejet qui a lié le contentieux indemnitaire à l’égard du demandeur pour l’ensemble des dommages causés par le fait générateur qui y était invoqué, dans la limite du montant total figurant dans les conclusions de la demande contentieuse.

Partant, le Conseil d’Etat considère que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en écartant la fin de non-recevoir opposée par la commune à la demande de première instance.

En conséquence, quand bien même la somme annoncée dans la demande indemnitaire présentée à l’Administration après l’introduction du recours contentieux serait moindre que celle figurant dans la requête, c’est cette dernière qui sera retenue par le juge administratif

CE, 21 juin 2021, Commune de Montigny-lès-Metz, req. n° 437744

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