Illustration de l’application de la théorie des vices cachés par le juge administratif dans le cadre d’un litige portant sur l’exécution d’un marché public de fournitures

Par un contrat de gré à gré conclu le 27 juin 2014, la commune de Saales a acquis un véhicule de type Berlingo de marque Citroën auprès de la société Citroën BSA Automobiles. Cette société a également adressé une facture complémentaire à la commune correspondant à la transformation de ce véhicule en 4×4 par la société Dangel.

Néanmoins, à compter de l’année 2017, la boîte de vitesses du véhicule a présenté des dysfonctionnements. N’ayant pu obtenir la prise en charge de la réparation intégrale du véhicule par la société Citroën BSA Automobiles postérieurement à une expertise diligentée par son assurance, la commune a sollicité du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg la condamnation de la société Citroën BSA Automobiles à lui verser une provision au titre de la réparation de ses préjudices.

Le juge des référés de première instance ayant fait droit à cette demande par une ordonnance en date du 3 avril 2020, la société Citroën BSA Automobiles a interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Nancy.

S’agissant d’abord de l’exception d’incompétence soulevée par l’appelante, la cour rappelle, en application des articles 1 et 2 du code des marchés publics alors en vigueur, que la commune de Saales est un pouvoir adjudicateur. De telle manière, le contrat de fournitures conclu par la commune de Saales avec la société Citroën BSA Automobiles en vue de l’acquisition d’un véhicule de type Berlingo pour les besoins du service communal d’eau potable est bien un marché public, dont le litige relatif à son exécution relève de la compétence du juge administratif.

S’agissant ensuite de l’exception de nullité du contrat alléguée par la société Citroën BSA Automobiles reposant sur la circonstance que la commune n’aurait pas respecté la procédure de passation applicable à un marché public de fournitures, les juges d’appel considèrent qu’un tel vice, si tant est qu’il aurait affecté les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, ne saurait être regardé, du fait de l’exigence de loyauté des relations contractuelles, comme d’une gravité telle que le juge doive écarter le contrat et que le litige qui oppose les parties ne doive pas être tranché sur le terrain contractuel.

Ainsi, après avoir écarté ces deux moyens, la cour administrative d’appel de Nancy en vient à l’analyse de la demande de provision formée par la commune de Saales.

Aux visas des articles 1641, 1645 et 1648 du code civil formant la théorie des vices cachés, la cour rappelle non seulement que les règles prévues par ces dispositions sont applicables à un marché de fournitures, mais de surcroît que le délai institué par l’article 1648 du code civil pour exercer une action en garantie court à compter de la découverte du vice par l’acheteur.

Or, en l’espèce, la cour relève que si le véhicule objet du litige a été acquis par la commune en juin 2014, celle-ci n’a eu connaissance des vices affectant la boîte de vitesse qu’au mois de décembre 2017, lors du contrôle qu’elle a fait effectuer par la société Citroën BSA Automobiles, et des causes et de l’ampleur de ces vices qu’au mois d’avril 2018, lors de la remise du rapport d’expertise diligentée à la demande de son assureur.

Il est également relevé que la commune a introduit sa demande de provision le 4 janvier 2019 auprès du tribunal administratif de Strasbourg.

Dans ces conditions, la cour conclu que la société Citroën BSA Automobiles n’est pas fondée à soutenir que l’action en garantie des vices cachés envisagée par la commune, qui emporte une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, serait intentée hors du délai prescrit par l’article 1648 du code civil ou se heurterait à une clause contractuelle ayant prévu une garantie spécifique se substituant au régime légal de garantie, dont l’existence n’est d’ailleurs pas formellement démontrée.

En l’occurrence, le véhicule acquis par la commune, qui a subi une transformation en 4×4 réalisée par la société Dangel sous l’égide de la société Citroën BSA Automobiles, est affecté d’un vice tenant à des désordres internes de la boite de vitesse empêchant le passage du second rapport, dont l’origine ne peut être liée à une mauvaise utilisation du véhicule par l’acquéreur ou à un défaut d’entretien. En effet, ce vice était inconnu de l’acheteur, non professionnel, lors de la conclusion de la vente, et ne pouvait être décelé par celui-ci.

Dès lors, remplissant les conditions d’engagement de la garantie par l’acheteur de vices cachés de la chose vendue, la commune de Saales est fondée à solliciter le versement d’une provision au titre de l’indemnisation des préjudices subis.

Enfin, un dernier moyen est soulevé par la société Citroën BSA Automobiles, portant sur l’appel en garantie formé à l’encontre de la société Dangel, qui a procédé à la transformation du véhicule en 4×4. La cour constate que la commune a passé directement commande auprès de la société Citroën BSA Automobiles, sans avoir contracté avec la société Dangel. Ainsi, il ne revenait pas à la commune de se retourner contre la société Dangel.

Les juges d’appel précisent, pour finir, que les conclusions de la société Citroën BSA Automobiles tendant à être garantie des condamnations prononcées à son encontre par la société Dangel ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative, dès lors que ces deux entreprises sont liées par un contrat de droit privé.

 

CAA Nancy, 5 août 2020, Société Citroën BSA Automobiles, req. n° 20NC00939