Inconventionnalité des dispositions du code de la commande publique en matière d’exclusion d’opérateurs économiques à la passation d’un contrat de concession

Le Conseil d’Etat est venu préciser que les dispositions du code de la commande publique, concernant plus précisément les exclusions de plein droit des opérateurs économiques à la passation d’une convention de concession, sont inconventionnelles.

Dans cette espèce, la société Vert Marine avait saisi le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la décision de refus du Premier ministre d’abroger les articles 19 et 23 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession.

La société Vert Marine soutenait en effet que les articles 19 et 23 du décret n°2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession étaient illégaux en ce qu’ils font application de l’article 39 de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 et qui serait incompatible avec les objectifs de l’article 38 de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession.

Plus précisément, on rappellera que l’article 39 de l’ordonnance précité a pour objet de lister l’ensemble des cas d’interdiction de soumissionner à une procédure de passation d’un contrat de concession.

Le Conseil d’Etat a, par une décision du 14 juin dernier, estimé que la question posée soulevait deux difficultés d’interprétation et décidé de sursoir à statuer sur la requête de la société Vert Marine jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne se soit prononcée (CE, 14 juin 2020, req. n°419146).

Une des interrogations posées par le Conseil d’Etat portait, notamment, sur la question de savoir si l’article 38 de la directive précitée doit être entendue comme laissant la possibilité de permettre aux opérateurs d’apporter des preuves afin d’attester de leur fiabilité malgré l’existence d’un motif d’exclusion ou si à l’inverse les États membres doivent laisser cette faculté aux opérateurs.

La Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur ces questions, dans une décision en date du 11 juin 2020, en estimant que l’article 38 de la directive 2014/23/UE devait être interprété comme « s’opposant à une réglementation nationale qui n’accorde pas à un opérateur économique condamné de manière définitive pour l’une des infractions visées à l’article 38, paragraphe 4, de cette directive et faisant l’objet, pour cette raison, d’une interdiction de plein droit de participer aux procédures de passation de contrats de concession la possibilité d’apporter la preuve qu’il a pris des mesures correctrices susceptibles de démontrer le rétablissement de sa fiabilité » (CJUE, 11 juin 2020, aff. C-472/19).

A la suite des réponses apportées par la Cour de justice de l’Union Européenne, le Conseil d’Etat est venu préciser qu’en application des règles de la directive du 26 février 2014, le droit français devait prévoir un dispositif permettant à un opérateur économique, ayant fait l’objet d’une condamnation pénale, d’apporter la preuve qu’il a pris des mesures correctrices susceptibles de démontrer le rétablissement de sa fiabilité :

« Il résulte de l’interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l’Union européenne que, pour ne pas méconnaître les objectifs de la directive du 26 février 2014, le droit français doit prévoir la possibilité pour un opérateur économique, lorsqu’il est condamné par un jugement définitif prononcé par une juridiction judiciaire pour une des infractions pénales énumérées à l’article 39 de l’ordonnance du 29 janvier 2016, repris à l’article L. 3123-1 du code de la commande publique, et que, pour cette raison, il se trouve en principe exclu des procédures d’attribution des contrats de concession pour une durée de cinq ans, d’apporter la preuve qu’il a pris des mesures correctrices susceptibles de démontrer le rétablissement de sa fiabilité. Toutefois, la faculté de faire preuve de sa fiabilité ne saurait être ouverte lorsque l’opérateur a été expressément exclu par un jugement définitif de la participation à des procédures de passation de marché ou d’attribution de concession, pendant la période fixée par ce jugement ».

Le Conseil d’Etat considère ainsi que les dispositions de l’article 39 de l’ordonnance n°2016-69, codifié à l’article L. 3123-1 du code de la commande publique sont incompatibles avec les objectifs de l’article 38 de la directive 2014/23 du 26 février 2014 en tant qu’elles ne prévoient pas de dispositif de mise en conformité permettant à un opérateur économique candidat à l’attribution d’un contrat de concession d’échapper aux interdictions de soumissionner prévues en cas.

De surcroit, le Conseil d’Etat conclut à ce que les dispositions de l’article 19 et 23 du décret n°2016-86, codifiés aux articles R. 3123-16 à R. 3123-21, s’avèrent également incompatibles avec les règles issues de la directive 2014/23/UE.

Toutefois, dans l’attente de la modification du code de la commande publique, le Conseil d’Etat considère que l’exclusion prévue par l’article L. 3123-1 du code de la commande publique ne sera pas applicable à l’opérateur économique parvenant à démontrer avoir pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements correspondants aux infractions pour lesquelles il a été condamné :

«  l’exclusion de la procédure de passation des contrats de concession prévue à l’article L. 3123-1 du code de la commande publique n’est pas applicable à la personne qui, après avoir été mise à même de présenter ses observations, établit dans un délai raisonnable et par tout moyen auprès de l’autorité concédante, qu’elle a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements correspondant aux infractions mentionnées au même article pour lesquelles elle a été définitivement condamnée et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du contrat de concession n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement ».

Partant, le code de la commande publique devra donc être modifiée, étant précisé que cette modification concernera vraisemblablement également les règles applicables à la passation des marchés publics dès lors qu’aucun dispositif de mise en conformité n’est là non plus prévu.

CE, 12 octobre 2020, Société Vert Marine, req. n°419146

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