Interruption du délai de prescription en matière contractuelle en cas de demande en justice : la Cour de Cassation confirme qu’elle ne bénéficie qu’au créancier de l’obligation qui introduit la demande

Par un arrêt en date du 19 mars 2020, la Cour de Cassation est venue confirmer sa jurisprudence antérieure selon laquelle l’interruption d’un délai de prescription par l’introduction d’une demande en justice ne joue qu’au bénéfice du créancier de l’obligation concernée par le délai de prescription et qui a formé la demande en justice.

En l’espèce, la société Bouygues avait confié, en tant que maitre d’ouvrage d’une réalisation située sur les terrains de particuliers, des travaux de voirie à la société STPCL. Les particuliers ont assigné en référé les deux opérateurs, pour retard et désordres dans la réalisation des travaux. Ils avaient obtenu la désignation d’un expert, par ordonnance du 31 mars 2010, qui a rendu son rapport le 25 octobre 2011.

Ils ont ensuite conclu une transaction avec le groupe Bouygues, qui a, par la suite, assigné pour les mêmes faits la société STPCL le 14 décembre 2015.

La société STCPL avait été condamnée par le juge du fond à verser diverses indemnités à Bouygues à ce titre.

Dans le cadre de son pourvoi en cassation, la société STCPL se prévalait du caractère prescrit des faits, prescription que Bouygues considérait comme interrompue au titre de l’article 2241 du code civil. La question posée par le litige était ainsi la suivante : la demande en justice formée par les particuliers à l’encontre de la société Bouygues et de la société STCPL avait-elle eu pour effet d’interrompre la prescription de l’action en responsabilité contractuelle qu’aurait pu introduire la société Bouygues à l’endroit de la société STCPL ?

La Cour d’appel avait jugé que oui, et qu’ainsi l’action de la société Bouygues à l’encontre de la société STCPL n’était pas prescrite, le cours de la prescription ayant été suspendu entre la demande en justice formée par les particuliers et la remise de son rapport par l’expert.

L’article 2241 du code civil, on le rappelle, dispose qu’une demande en justice interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. La notion de demande en justice est entendue largement, puisqu’elle recouvre y compris les actions en référé, ou celles intentées devant une juridiction incompétente, ou affectées par un vice de procédure.

En préalable, la Cour rappelle que le délai de prescription applicable en l’espèce était celui de l’article L. 2224 du code civil relatif aux actions personnelles et mobilières. Ce délai est de 5 ans. Elle écarte ainsi du régime spécifique relatif à la responsabilité des constructeurs (articles 1792 et suivants du code civil), en l’absence, en l’espèce, de réception des travaux.

La Cour de Cassation rappelle, ensuite, que l’interruption du cours d’une prescription, en vertu de l’article 2241 du code civil ne peut bénéficier qu’à la partie créancière de l’obligation ayant intenté une action en justice, dans la lignée de sa jurisprudence classique (Cass. Com., 9 janvier 1990 n° 88-15354) antérieure à la réforme de la prescription civile, dont l’article 2241 du code Civil est issu.

Le second moyen soulevé par STCPL permet à la Cour de rappeler que ce principe s’applique également à la suspension de prescription ouverte par l’article 2239 du code Civil applicable aux demandes de mesure d’instruction, visant sa jurisprudence récente en la matière (Cass. Civ. 2ème, 31 janvier 2019, n° 18-10.011).

Faisant application de ces principes au cas d’espèce, la Cour estime que la société Bouygues n’avait pu bénéficier de l’interruption de la prescription causée par la demande en référé introduite par les particuliers, dans la mesure où la société Bouygues n’était pas demanderesse dans le cadre de cette procédure.

La Cour de Cassation casse ainsi l’arrêt d’appel qui avait fait droit aux demandes de Bouygues, au motif que les requérants initiaux étaient seuls créanciers de l’obligation litigieuse.

La Cour, reconnaissant par suite le caractère prescrit des faits en cause, n’a pas renvoyé aux juges du fond l’affaire.

Cassation, civile 3ème 19 mars 2020, n°19-13459