L’absence de justification de l’engagement du sous-traitant du soumissionnaire ne caractérise pas l’irrégularité de son offre

L’absence de justification de l’engagement du sous-traitant du soumissionnaire ne caractérise pas l’irrégularité de son offre

CE, 22 novembre 2022, Société Epureau, n° 454480

Par un arrêt du 22 novembre 2022, le Conseil d’Etat a été amené, d’une part, à rappeler les règles de recevabilité des recours indemnitaires et, d’autre part, à se prononcer sur le bien-fondé de la condamnation d’une commune à verser à une société des indemnités à la suite de son éviction irrégulière de la procédure d’attribution d’une délégation de service public.

En fait, la société Epureau a adressé à la commune de Dumbéa une réclamation préalable, reçue le 26 octobre 2016, tendant au paiement d’une indemnité de 37 979 768 francs CFP en réparation du préjudice estimé subi du fait de son éviction irrégulière de l’attribution de la délégation de service public relative au traitement des eaux usées et à laquelle il n’a pas été répondu. La société a adressé une seconde demande indemnitaire, reçue le 17 mai 2018, tendant au paiement d’une indemnité d’un montant de 67 625 184 francs CFP au titre du même préjudice. Cette demande a fait l’objet d’une décision implicite de rejet née le 17 juillet 2018.

Saisi par la société Epureau, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a condamné la commune de Dumbéa à lui verser la somme de 35 000 000 francs CFP, par jugement du 14 mars 2019. La cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel de la commune tendant à l’annulation de ce jugement et, sur appel incident de l’intimé, l’a condamné à lui verser une somme de 53 000 000 francs CFP. La commune de Dumbéa s’est pourvue en cassation contre cet arrêt du 9 avril 2021.

Concernant la recevabilité de la demande, le Conseil d’Etat relève que la Cour a apprécié le délai de recours au regard du délai raisonnable d’un an pour juger que la requête n’était pas tardive. La Haute juridiction procède à une substitution de motifs en rappelant « qu’en l’absence d’opposabilité du délai de recours contentieux de deux mois prévu par l’article R. 421-1 du code de justice administrative, le recours indemnitaire de la société Epureau était seulement soumis aux règles de prescription quadriennale prévues par la loi du 31 décembre 1968 ».

Concernant le bien-fondé de la condamnation prononcée par la Cour, le Conseil d’Etat, au visa de l’article L. 2152-2 du code de la commande publique, a d’abord rappelé qu’un candidat évincé de la procédure de passation d’un contrat de commande publique, dont l’offre était irrégulière ne peut, de ce seul fait, être regardé comme ayant été privé d’une chance sérieuse d’obtenir le contrat, y compris lorsque l’offre retenue était tout aussi irrégulière, et n’est pas fondé, par suite, à demander réparation du préjudice en résultant.

La commune faisait valoir devant le tribunal administratif, comme devant la Cour, que l’offre initiale de la société Epureau était irrégulière car elle ne justifiait pas de l’engagement de la société Nantaise des Eaux, dont elle se prévalait, pour intervenir à ses côtés comme sous-traitant ou cotraitant.

Le Conseil d’Etat estime au contraire et en premier lieu que « l’examen des moyens techniques et humains qu’un opérateur économique entend consacrer à l’exécution d’un contrat de la commande publique relève de l’appréciation de la valeur technique de l’offre et la circonstance invoquée par la commune ne suffisait pas à caractériser une irrégularité de l’offre au sens des dispositions précitées de l’article L. 2152-2 précité ». Il en conclut que « le moyen tiré de l’irrégularité de l’offre initiale de la société Epureau était inopérant et que la Cour administrative d’appel de Paris n’a pas entaché son arrêt, ni d’erreur de droit en ne le retenant pas, ni d’insuffisance de motivation en n’y répondant pas ».


Il précise, en second lieu, que, si la commune contestait le caractère probant des extraits du compte prévisionnel d’exploitation figurant dans l’offre de la société Epureau, produits pour justifier de son manque à gagner, au motif que ces documents avaient été établis par la société elle-même, elle n’en discutait aucun des montants, alors qu’il lui aurait été loisible de le faire, au regard notamment des taux de marge nette habituellement constatés dans ce secteur d’activité ou encore des résultats de l’ancien titulaire de la délégation.  Le Conseil d’Etat juge que, sur ce point, « la Cour n’a pas dénaturé les pièces soumises en considérant que les chiffres du tableau intitulé « Estimation du manque à gagner relatif à la perte du marché » produit par la société n’étaient pas sérieusement discutés par la commune et en retenant leur caractère probant ».

Par voie de conséquence, la Conseil d’Etat rejette le pourvoi de la commune de Dumbéa.

CE, 22 novembre 2022, Société Epureau, n° 454480