Le détenteur de bonne foi d’un bien relevant du domaine public dont la restitution est ordonnée peut prétendre à la réparation du préjudice lié à la perte d’un intérêt patrimonial à jouir de ce bien

Le détenteur de bonne foi d’un bien relevant du domaine public dont la restitution est ordonnée peut prétendre à la réparation du préjudice lié à la perte d’un intérêt patrimonial à jouir de ce bien

CE, 22 juillet 2022, Ministre de la culture, req. n°458590

Dans cette affaire, un manuscrit ecclésiastique de la fin du XVème siècle avait été acquis par l’aïeul de M. A lors d’une vente aux enchères publiques en 1901. Conservé depuis lors dans sa famille, il a été mis en dépôt aux archives départementales de Maine-et-Loire en 1991 avant d’être restitué en 2016, à la demande de M. A, en vue de sa vente.

Conformément à l’article L. 111-2 du code du patrimoine, la délivrance du certificat requis pour l’exportation hors du territoire national des biens culturels, autres que les trésors nationaux, présentant un intérêt notamment historique ou artistique a été sollicité le 26 mars 2018.

Par une décision du 18 mai 2018, le ministre de la Culture a refusé de délivrer ce certificat et demandé la restitution du manuscrit comme appartenant au domaine public de l’Etat.

Le tribunal administratif de Paris a été saisi par M. A. d’une demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser une indemnité de 300 000 euros en réparation des préjudices moral et financier subis du fait de la restitution du manuscrit.

Par un jugement du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Par un arrêt en date du 21 septembre 2021, la cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement et condamné l’Etat à verser à l’appelant une indemnité de 25 000 euros en réparation de la perte de son intérêt patrimonial à jouir du manuscrit. Le ministre de la Culture s’est alors pourvu en cassation tandis que M. A, par la voie du pourvoi incident, a demandé l’annulation de l’arrêt en tant qu’il n’a pas fait intégralement droit à sa demande.

Dans sa décision, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt de la cour et rappelle, au visa de l’article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du principe de l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, que le détenteur de bonne foi d’un bien appartenant au domaine public dont la restitution est ordonnée peut prétendre à la réparation du préjudice lié à la perte d’un intérêt patrimonial à jouir de ce bien, lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances dans lesquelles cette restitution a été ordonnée que cette personne supporterait, de ce fait, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi. Le Conseil d’Etat indique également qu’alors même que le détenteur de bonne foi tenu à l’obligation de restitution ne justifierait pas d’une telle charge spéciale et exorbitante, ce dernier peut prétendre, le cas échéant, à l’indemnisation des dépenses nécessaires à la conservation du bien ainsi que, en cas de faute de l’administration, à l’indemnisation de tout préjudice directement causé par cette faute.

Le Conseil d’Etat juge ainsi que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en reconnaissant, sur le fondement de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, eu égard notamment à la durée de détention par la famille de M. A du manuscrit en cause, que celui-ci disposait d’un intérêt patrimonial à en jouir suffisamment reconnu et important pour constituer un bien au sens de ces stipulations et que l’intérêt public majeur qui s’attachait à la restitution à l’Etat de cette œuvre d’art n’excluait pas, par principe, le versement à son détenteur d’une indemnité en réparation du préjudice résultant de cette perte de jouissance.

Concernant l’indemnisation de M. A du fait de la perte de l’intérêt patrimonial à jouir du manuscrit, le Conseil d’Etat estime que, si la privation de ce manuscrit constituait une charge spéciale et « excessive », et non une charge spéciale et « exorbitante », la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit, eu égard à l’équivalence des deux termes.

Le Conseil d’Etat considère également que, la cour administrative d’appel n’a pas entaché son arrêt d’erreur de qualification juridique en jugeant, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, et notamment de la durée et des conditions de détention de bonne foi du manuscrit par la famille, ainsi que de l’attitude des pouvoirs publics qui n’en ont jamais revendiqué la propriété avant 2018, alors qu’ils en avaient eu la possibilité au moins depuis 1991, que la privation de l’intérêt patrimonial à jouir de ce manuscrit constituait pour M. A une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi. Enfin, le Conseil d’Etat indique que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la réparation de cette charge spéciale et exorbitante incluait nécessairement l’indemnisation d’un préjudice moral.

Le Conseil d’Etat en conclut que la ministre de la Culture n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué. La Haute juridiction rejette également le pourvoi incident du requérant au motif que c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que la réparation du préjudice devait nécessairement être inférieure à la valeur vénale du manuscrit, et confirme ainsi l’évaluation de l’indemnisation de l’ensemble des préjudices à la somme de 25 000 euros.

CE, 22 juillet 2022, Ministre de la culture, req. n°458590

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