En matière de commande publique, les marchés passés dans le domaine de la défense ou de la sécurité par l’Etat ou ses établissements publics font l’objet d’un régime aménagé qui permet, eu égard à leur objet, davantage de souplesse que les règles de droit commun à de nombreux égards.
La définition en est aujourd’hui donnée à l’article L. 1113-1 du code de la commande publique (CCP) qui vise, pour le résumer, les marchés portant sur des équipements de guerre (1°), ceux destinés à la sécurité (2°), les prestations de services, fournitures et travaux liés à ces deux catégories d’équipements (3°), ou encore les travaux et services ayant des fins spécifiquement militaires ou destinés à la sécurité et qui font intervenir, nécessitent ou comportent des supports ou informations protégés ou classifiés dans l’intérêt de la sécurité nationale (4°).
Au titre des aménagements du régime de passation de ces marchés, l’obligation d’allotissement prévue à l’article L. 2113-10 du CCP revêt un caractère simplement facultatif pour les marchés de défense et de sécurité, en vertu de l’article L. 2313-5 du CCP.
Compte tenu de ce régime plus souple, la tentation peut exister pour les pouvoirs adjudicateurs concernés de retenir une acception large de la définition contenue à l’article L. 1113-1 du CCP.
Saisi d’un pourvoi formé contre une ordonnance rendue en référé précontractuel par le tribunal administratif de la Réunion, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de rappeler que, comme tout régime permettant de déroger aux règles de droit commun du CCP, le champ d’application de la notion de marchés de défense et de sécurité s’interprète strictement.
En l’espèce, il s’agissait d’un marché relatif à des prestations de gardiennage, d’accueil et de filtrage de trois sites militaires de la Réunion, distants de 10 kilomètres les uns des autres, passé par la direction du commissariat d’outre-mer des forces armées dans la zone sud de l’océan indien. L’acheteur avait considéré qu’il s’agissait d’un marché de défense et de sécurité, au titre du 4° de l’article L. 1113-1 du CCP (travaux et services ayant des fins spécifiquement militaires ou destinés à la sécurité et qui font intervenir, nécessitent ou comportent des supports ou informations protégés ou classifiés dans l’intérêt de la sécurité nationale), et s’était dispensé d’allotir les prestations.
Le débat contentieux portait essentiellement sur le point de savoir si le fait que les salariés chargés de l’exécution du marché auraient accès à des informations faisant l’objet d’une « diffusion restreinte » permettait de considérer qu’ils auraient de ce fait accès à des informations protégées ou classifiées dans l’intérêt de la sécurité nationale.
Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 4 février 2021, confirme l’analyse du premier juge, en considérant que la « sensibilité » des informations auxquelles peut accéder le titulaire du marché ne suffit pas à caractériser l’existence d’informations protégées dans l’intérêt de la sécurité nationale au sens du 4° de l’article L. 1113-1 du CCP. Il relève qu’aucun élément du dossier ne permettait de conclure que les informations en cause étaient « protégées » au sens de ces mêmes dispositions, et qu’à l’inverse, les installations contenant de telles informations avaient vocation à demeurer surveillées par des personnels militaires.
Il relève encore que le fait que le contrat constitue un « contrat sensible » au sens de l’instruction générale interministérielle sur la protection du secret de la défense nationale n’était pas une circonstance opérante, par elle-même, pour conclure à la qualification de marché de défense et de sécurité au sens du CCP.
Il conclut ainsi que le marché en litige ne relevait pas de cette dernière catégorie et qu’il était, par principe, soumis à l’obligation d’allotissement.
Examinant enfin les caractéristiques des prestations, il relève que le marché porte sur trois sites, qui doivent faire l’objet de prestations qui diffèrent d’un site à l’autre, et que le précédent marché – qui avait le même objet – avait été alloti sur une base géographique.
Il conclut ainsi qu’aucune circonstance ne justifiait, en l’espèce, de déroger à l’obligation d’allotissement et confirme ainsi l’ordonnance rendue par le Tribunal administratif.
Conseil d’Etat, 4 février 2021, Ministre des armées, req. n° 445396