Nuisances sonores et aéroports : le refus né de la demande d’un tiers tendant à ce que l’administration donne instruction à ses subordonnés d’appliquer les règles de droit à une situation déterminée est un acte insusceptible de recours pour excès de pouvoir

Nuisances sonores et aéroports : le refus né de la demande d’un tiers tendant à ce que l’administration donne instruction à ses subordonnés d’appliquer les règles de droit à une situation déterminée est un acte insusceptible de recours pour excès de pouvoir

CE, 5 avril 2022, Associations « Union Française Contre les Nuisances des Aéronefs » (UFCNA) et autres, req. n°454440

La règlementation relative à l’évaluation et la gestion des nuisances sonores engendrées par les aéroports est organisée, à l’échelle européenne, par la directive du 25 juin 2002 n° 2002/49/CE relative à l’évaluation et la gestion du bruit dans l’environnement et par le règlement n° 598/2014/UE du 16 avril 2014 relatif à l’établissement de règles et de procédures concernant l’introduction de restrictions d’exploitation liées au bruit dans les aéroports de l’Union. Si la directive de 2002 a fait l’objet d’une transposition en droit interne aux articles L572-1 à L572-11 du Code de l’environnement et, pour les aéroports, à l’article R112-5 du Code de l’urbanisme créant les cartes de bruit et le plan de prévention du bruit dans l’environnement, le second texte n’a fait l’objet d’aucune mesure de mise en œuvre en droit national du fait de son applicabilité directe.

Estimant que l’application de la règlementation européenne était insuffisante, des d’associations de défense contre les nuisances sonores aériennes et de lutte pour l’environnement ont formulé, le 9 mars 2021, auprès du président de la République et du Premier ministre plusieurs demandes. Les deux premières tendant à ce qu’il soit ordonné aux préfets compétents de faire réaliser et publier ces études d’approches équilibrées pouvant conduire à l’établissement de restrictions d’exploitation conformément à l’article 5 du Règlement susvisé et à l’article 7 de la Directive, et une troisième, tendant à la désignation d’autorités administratives indépendantes en charge de la conduite des études d’approche équilibrée sur le fondement de l’article 3 du Règlement.

Saisi d’un pourvoi, relatif à l’annulation de la décision de refus implicite opposée aux associations, le Conseil d’Etat se prononce préalablement sur les deux premières demandes relatives à la publication d’une étude d’approche équilibrée et au réexamen de la pertinence des cartes stratégique de bruit et relève que : « S’il est loisible à une autorité publique d’adresser à ses subordonnés des instructions visant à faire connaître l’interprétation qu’elle retient de l’état du droit, elle n’est jamais tenue de le faire. Saisie par un tiers, elle n’est pas davantage tenue de répondre à la demande dont l’objet est de faire donner instruction aux autorités subordonnées d’appliquer les règles de droit à une situation déterminée, obligation à laquelle ces autorités sont en tout état de cause tenues » et refuse de se prononcer en considérant : « que les refus nés des demandes dont les associations requérantes ont saisi le Président de la République et le Premier ministre ne constituent pas des décisions susceptibles d’être déférées au juge de l’excès de pouvoir. Par suite leurs conclusions à fin d’annulation de ces refus, irrecevables, ne peuvent qu’être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d’injonction. »

Puis, le Conseil d’Etat se prononce sur la troisième demande en ce que : « la France a désigné, par une note transmise en mars 2017 à la Commission européenne, la direction du transport aérien (sous-direction du développement durable) de la direction générale de l’aviation civile comme autorité responsable », faisant état du droit de l’Union, la haute juridiction observe que : « les dispositions du règlement (UE) n° 598/2014 […] ne prévoient pas que les États membres doivent constituer l’autorité chargée de la procédure à suivre lors de l’adoption des restrictions d’exploitation sous une forme juridique particulière et n’interdisent pas, par principe, que ses fonctions soient assumées par une direction relevant d’un ministère, elles imposent en revanche que des garanties soient apportées quant à l’indépendance de cette autorité, notamment vis-à-vis de toute organisation qui interviendrait dans l’exploitation de l’aéroport, le transport aérien ou la fourniture de services de navigation aérienne, ou qui représenterait les intérêts de ces branches d’activités ainsi que ceux des riverains de l’aéroport.»

Examinant les faits de l’espèce, la Haute juridiction estime que : « de telles garanties ne ressortent, s’agissant de la direction du transport aérien (sous-direction du développement durable) de la direction générale de l’aviation civile […] Au contraire, […] la tutelle de l’établissement public international Aéroport de Bâle-Mulhouse est assurée, pour la France, par cette direction. Par suite, la désignation de la direction du transport aérien comme autorité chargée de la procédure à suivre lors de l’adoption des restrictions d’exploitation méconnaît les dispositions de l’article 3 du règlement (UE) n° 598/2014 »

Ainsi, les décisions implicites du Président de la République et du Premier ministre refusant d’abroger la décision par laquelle la direction du transport aérien de la direction générale de l’aviation civile a été désignée comme autorité au titre de l’article 3 du règlement (UE) n° 598/2014 sont annulées et il est enjoint au Premier ministre de prendre les dispositions règlementaires nécessaires en vue de la désignation d’une autorité bénéficiant d’un degré d’indépendance suffisant.

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000045521642?init=true&page=1&query=&searchField=ALL&tab_selection=cetat