Réforme de la procédure civile : le Conseil d’Etat considère que son entrée en vigueur aurait dû être différée de 3 mois

Réforme de la procédure civile : le Conseil d’Etat considère que son entrée en vigueur aurait dû être différée de 3 mois

CE, 22 septembre 2022, Conseil national des barreaux et autres, req. n° 436939

Par un arrêt rendu le 17 septembre 2022, mentionné dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la légalité de la réforme de la procédure civile, et plus précisément du décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile.

Sans qu’il soit besoin de revenir sur les nombreux moyens présentés par les requérants, portant sur différentes dispositions dudit décret ou du code de procédure civile telles que modifiées par le décret, le Conseil d’Etat a été amené à statuer sur les modalités d’entrée en vigueur de cette réforme.

A cet égard, deux moyens dirigés contre l’article 55 du décret attaqué ont été présentés par les requérants, à savoir la méconnaissance de l’article 109 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018 -2022 et de réforme pour la justice d’une part, et la méconnaissance du principe de sécurité juridique d’autre part.

S’agissant du premier moyen, il doit être souligné que l’article 5 de la loi du 23 mars 2019 avait prévu qu’un décret en Conseil d’Etat préciserait les critères qui dispensent de la représentation obligatoire par ministère d’avocat. Il était également prévu par l’article 109 de cette même loi que l’article 5 s’appliquerait aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, à l’exception du II qui s’est appliqué aux instances introduites à compter du lendemain de la publication de la loi di 23 mars 2019.

Ainsi, en application de l’article 5 de la loi du 23 mars 2019, l’article 4 du décret attaqué a modifié les articles 760 à 768 du code de procédure civile portant sur le champ et les modalités de la représentation obligatoire par ministère d’avocat devant le tribunal judiciaire.

Toutefois, le Conseil d’Etat censure le II de l’article 55 du décret, en tant qu’il méconnait les dispositions de l’article 109 de la loi du 23 mars 2019 : « en prévoyant, au I de son article 55, que ces dispositions entraient en vigueur le 1er janvier 2020 et étaient applicables aux instances en cours et non aux seules instances introduites à compter de cette date, le décret attaqué a méconnu les dispositions de l’article 109 de la loi du 23 mars 2019 précitée. Il suit de là que les requérants sont fondés à demander l’annulation du II de l’article 55 du décret attaqué en tant qu’il ne mentionne pas les articles 760 à 768 du code de procédure civile parmi les dispositions faisant l’objet d’une application aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020 ».

S’agissant du second moyen, qui nous intéresse davantage, le Conseil d’Etat rappelle son considérant de principe relatif à l’entrée en vigueur d’une réglementation introduite par le pouvoir réglementaire :

« L’exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu’il définit, sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante. En principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à s’appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs. Toutefois, il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s’imposent à elle, d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, cette réglementation nouvelle. Il en va ainsi lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. Ces mesures transitoires peuvent résider dans le report de l’entrée en vigueur de cette réglementation nouvelle ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat censure les dispositions du I de l’article 55 du décret du 11 décembre 2019, en tant qu’elles méconnaissent le principe de sécurité juridique, dès lors qu’elles n’ont pas prévu un report de 3 mois pour l’entrée en vigueur de la réforme de la procédure civile, qui était d’une ampleur certaine :

« Les dispositions du I de l’article 55 du décret attaqué ont eu pour effet de rendre applicables, selon les cas, aux instances en cours ou aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, soit moins de vingt jours après sa publication, l’essentiel des nouvelles dispositions du code de procédure civile issues du décret attaqué. Or, eu égard à l’ampleur de la réforme opérée et à son caractère systémique, au nombre et à l’envergure des modifications apportées aux procédures applicables, mais également aux conséquences susceptibles de s’attacher à la méconnaissance d’un certain nombre de formalités introduites, sanctionnées par l’irrecevabilité, voire la nullité, des actes de procédure concernés pour les justiciables ou leurs représentants, il incombait au pouvoir réglementaire, pour des motifs de sécurité juridique, de leur permettre de disposer d’un délai raisonnable pour être à même de se conformer à ces dispositions nouvelles. Par suite, en ne prévoyant pas le report, de trois mois au moins, de l’entrée en vigueur des dispositions qui n’étaient pas directement rendues nécessaires par l’instauration des tribunaux judiciaires au 1er janvier 2020 en vertu du XXIII de l’article 109 de la loi du 23 mars 2019 précitée, le pouvoir réglementaire a méconnu le principe de sécurité juridique. Les requérants sont dès lors fondés à demander l’annulation du I de l’article 55 du décret attaqué ».

Néanmoins, considérant que les conséquences d’une annulation rétroactive seraient « manifestement excessives » sur le « service public de la justice », le Conseil d’Etat prononce une annulation avec effet différé :

« Eu égard aux conséquences manifestement excessives sur le fonctionnement du service public de la justice qui résulteraient de l’annulation rétroactive, d’une part, de l’article 750-1 du code de procédure civile dans sa rédaction issue de l’article 4 du décret attaqué dans la mesure précisée au point 43, d’autre part, du I de l’article 55 du décret attaqué, il y a lieu, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision, de déroger au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses. Par suite, il y a lieu de regarder comme définitifs les effets produits par l’article 750-1 avant son annulation et par les procédures et décisions affectées, entre le 13 décembre 2019 et le 1er janvier 2020, par l’annulation du I de l’article 55 du décret attaqué ».

CE, 22 septembre 2022, Conseil national des barreaux et autres, req. n° 436939

 

 

 

 

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