Un recours pour excès de pouvoir peut désormais inclure des conclusions subsidiaires tendant à l’abrogation de l’acte.

Un recours pour excès de pouvoir peut désormais inclure des conclusions subsidiaires tendant à l’abrogation de l’acte.

Le Conseil d’Etat vient de poser un nouveau principe en matière de contentieux administratif : saisi de conclusions à fin d’annulation d’un acte réglementaire recevables, le juge peut également l’être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu’il prononce l’abrogation du même acte au motif d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, afin que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales qu’un acte réglementaire est susceptible de porter à l’ordre juridique.

Un acte administratif réglementaire peut traditionnellement être attaqué par deux voies contentieuses :

  1. Il peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir pour en obtenir son annulation : l’annulation ayant un effet rétroactif, l’acte annulé pour illégalité est censé n’avoir jamais existé.
  2. Il peut faire l’objet d’une demande d’abrogation par le biais d’un recours contre la décision refusant de l’abroger : l’abrogation obtenue, soit parce que l’acte était illégal dès son édiction, soit parce que l’acte est devenu illégal à la suite d’un changement de fait ou de droit, produit ses effets uniquement pour l’avenir.

Récemment, le Conseil d’Etat a jugé que ces deux voies peuvent être cumulativement empruntées, l’autorité de chose jugée qui s’attache à la décision rejetant un recours pour excès de pouvoir contre un acte réglementaire ne faisant pas obstacle, à ce qu’il soit statué sur le recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation du refus d’abroger cet acte (CE, 17 mars 2021, M. B… req. n°440208, publié au Lebon).

Et par un arrêt du 28 février 2020, la Haute juridiction a considéré que lorsqu’il est saisi d’un recours tendant à l’annulation d’une mesure de suspension provisoire, prise à titre conservatoire sur le fondement de l‘article L. 232-23-4 du code du sport, le juge de l’excès de pouvoir apprécie, non seulement, la légalité de cette décision à la date de son édiction, mais également, eu égard à l’effet utile d’un tel recours, la légalité de la décision à la date où il statue, s’il est saisi de conclusions en ce sens (CE, 28 février 2020, S…, req. n°433886, publié au Lebon).

Par son arrêt du 19 novembre 2021, à paraître au recueil Lebon, le Conseil d’Etat complète son évolution jurisprudentielle en jugeant que, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte réglementaire, les conclusions subsidiaires tendant à l’abrogation de cet acte sont recevables.

Les deux recours peuvent donc désormais être regroupés dans une seule et même requête.

Ainsi, le Conseil d’Etat a précisé l’office du juge de l’excès de pouvoir :

Saisi de conclusions recevables tendant à l’annulation d’un acte réglementaire, le juge de l’excès de pouvoir juge peut également l’être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu’il prononce l’abrogation du même acte au motif d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction.

Le juge statue alors prioritairement sur les conclusions à fin d’annulation et apprécie la légalité de l’acte à la date de son édiction. S’il le juge illégal, il en prononce l’annulation.

  1. Dans l’hypothèse où il ne ferait pas droit aux conclusions à fin d’annulation et où l’acte n’aurait pas été abrogé par l’autorité compétente depuis l’introduction de la requête, il appartient au juge, dès lors que l’acte continue de produire des effets, de se prononcer sur les conclusions subsidiaires.
  2. Le juge statue alors au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.
  3. S’il constate, au vu des échanges entre les parties, un changement de circonstances tel que l’acte est devenu illégal, le juge en prononce l’abrogation.
  4. Il peut, eu égard à l’objet de l’acte et à sa portée, aux conditions de son élaboration ainsi qu’aux intérêts en présence, prévoir dans sa décision que l’abrogation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine.

Enfin, il doit être précisé que les conclusions d’abrogation à titre subsidiaire peuvent être formulées en cours d’instruction de la requête pour excès de pouvoir après l’expiration du recours contentieux courant à l’encontre de l’acte concerné.

Dans ses conclusions sous l’arrête du 19 novembre 2021, Mme Sophie Roussel, rapporteure publique, a d’ailleurs indiqué que de telles conclusions subsidiaires devraient pouvoir être présentées pour la première fois en appel dès lors que ces conclusions ne sont pas d’une nature différente des conclusions d’annulation principales : portant matériellement sur le même acte, elles poursuivent le même objectif qui consiste à rétablir la légalité méconnue en faisant disparaître de l’ordonnancement juridique l’acte jugé illégal.

CE, 19 novembre 2021, Association des avocats Elena France et autres, req. n°s 437141 et 437142, publié au Lebon.