Dans cette affaire, le Conseil d’Etat est venu, d’une part, rappeler que la mise en œuvre d’un sous-critère ayant pour effet d’avantager une entreprise candidate méconnaissait le principe d’égalité de traitement des candidats et, d’autre part, préciser le champ d’intervention d’un contrôleur technique, membre d’un groupement d’entreprises candidat à l’attribution d’un accord-cadre.
En l’espèce, la ville de Paris a initié, sous la forme d’un appel d’offres ouvert, la passation de plusieurs accords-cadres à bons de commande ayant pour objet des prestations de diagnostics et préconisations structures pour la ville de Paris et l’établissement public Paris musées. Cette procédure était divisée en trois lots.
La société S.E a présenté une offre pour les lots 1 et 2. Le lot n°1 a été attribué à cinq soumissionnaires dont la société Ginger CEBTP et le groupement constitué des sociétés 2 CPI France et Dekra industrial.
Aussi, par un courrier daté du 8 octobre 2020, l’acheteur a informé la société SE du rejet de son offre au titre des lots 1 et 2. Son offre avait en effet été classée en sixième position pour le lot n° 1.
La société S.E a introduit une requête en référé précontractuel en vue d’obtenir l’annulation de la procédure de passation du lot n°1. Aussi, par une ordonnance en date du 19 novembre 2020, le juge des référés du Tribunal administratif de Paris a annulé la procédure de passation du lot attaqué portant l’accord-cadre multi-attributaires.
En effet, d’une part, en vue d’annuler la procédure de passation du lot 1, le juge du référé a considéré que la ville de Paris avait méconnu le principe de l’égalité de traitement entre candidats en retenant l’offre de la société Ginger CEBTP alors que cette dernière avait réalisé, dans le passé, la prestation pour un bâtiment municipal correspondant à l’une des « études de cas » que devaient rédiger les candidats aux fins de l’appréciation de leurs capacités en matière de « méthodologie d’exécution ».
D’autre part, le juge du référé a considéré que la ville avait méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en retenant l’offre des sociétés 2 CPI France et Dekra industrial en méconnaissance des dispositions de l’article L. 111-25 du code de la construction et de l’habitation.
Le Conseil d’Etat relève d’emblée que le juge des référés a méconnu son office et commis une erreur de droit dès lors qu’il n’avait pas recherché si les manquements relevés étaient susceptibles d’avoir lésé la société requérante. Dès lors, le Conseil d’Etat en déduit que la Ville de Paris est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée.
Statuant au fond, le Conseil d’Etat relève, dans un premier temps, que dans le cadre de la procédure attaquée, la ville de Paris a, en vue d’apprécier le sous-critère n° 1 du critère n° 2, intitulé « méthodologie d’exécution », pondéré à hauteur de 15% de la note globale, soumis aux candidats une étude de cas portant sur un bâtiment municipal.
La société Ginger CEBTP, candidate et attributaire du lot en question, avait déjà réalisé cette étude en qualité d’attributaire d’un précédent marché de la ville de Paris. Plus encore, le Conseil d’Etat relève qu’elle avait obtenu la meilleure note au titre de ce sous-critère (9,5 sur 10 points possibles). Le candidat qui s’est classé en deuxième position sur ce sous-critère avait, quant à lui, seulement obtenu la note de 8 sur 10.
Aussi, dans ce contexte, les juges du Palais Royal relève que manquement est bel et bien susceptible d’avoir lésé la société requérante qui n’avait obtenu qu’une note de 6,5 sur 10 sur ce sous-critère et dont la note globale n’était inférieure que de 0,06 point sur 10 à celle du dernier attributaire.
Dans un second temps, le Conseil d’Etat, après avoir rappelé les dispositions de l’article L. 111-23 du code de la construction et de l’habitation, énonce que ce texte prohibe toute participation à des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage des personnes agrées au titre du contrôle technique d’un ouvrage :
« Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu prohiber toute participation à des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage des personnes physiques ou morales agréées au titre du contrôle technique d’un ouvrage. La circonstance que le marché en litige ne s’analyse pas, en lui-même, comme un marché de construction faisant appel à l’intervention d’un contrôleur technique est sans incidence sur l’applicabilité de cette règle ».
Puis, après avoir cité les dispositions de l’article R. 111-31 du code de la construction et de l’habitation, le Conseil d’Etat énonce que ce texte, en prohibant tout lien de nature à porter atteinte à leur indépendance, fait obstacle « à la participation des personnes agréées au titre du contrôle technique à un groupement d’entreprises se livrant à des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage, alors même que la répartition des missions entre les membres du groupement prévoirait qu’elle ne réalisent pas elles-mêmes des missions relevant du champ de l’incompatibilité prévue par l’article L. 111-25 du même code ».
En l’occurrence, l’analyse des stipulations du CCTP du lot attaqué permettait de vérifier que l’accord-cadre en question prévoyait la réalisation par les titulaires de missions relevant des activités de conception et d’expertise d’un ouvrage au sens de l’article L. 111-25 du code de la construction et de l’habitation.
En l’occurrence, la société Dekra industrial, membre du groupement attributaire du lot 1, est une société de contrôle technique agréée, soumise aux dispositions des articles L. 111-25 et R. 111-31 du code de la construction et de l’habitation.
En attribuant l’accord-cadre litigieux à un tel groupement, l’acheteur a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence, étant relevé que ce manquement a nécessairement lésé la société requérante.
Partant, le Conseil d’Etat juge que la société requérante était fondée à demander l’annulation de la procédure de passation de l’accord-cadre querellé.
CE, 27 avril 2021, société Sixense engineering, req. n°447221