Référé pré-contractuel : le juge peut, dans certains cas, fonder sa décision sur des pièces communiquées en violation du secret des affaires

Référé pré-contractuel : le juge peut, dans certains cas, fonder sa décision sur des pièces communiquées en violation du secret des affaires

Dès lors qu’elles ont fait l’objet d’un débat contradictoire entre l’ensemble des parties, les pièces communiquées en violation du secret des affaires peuvent fonder la décision du juge

Dans un arrêt du 9 juin 2021, le Conseil d’Etat est venu préciser que le juge du référé précontractuel peut, à bon droit, se fonder sur des pièces produites en méconnaissance du secret des affaires lorsque ces pièces ont pu être discutées contradictoirement par les parties.

En l’espèce, le Grand port maritime du Havre a lancé un avis d’appel à la concurrence en vue de l’attribution d’un contrat de concession portant sur la réalisation et l’exploitation d’un terminal de vracs solides dans le port du Havre.

A la suite de cet avis d’appel à la concurrence, l’offre de la société Lorany Conseils a été retenue. C’est dans ce contexte que la société Gimarco, candidat évincé, a saisi le tribunal administratif de Rouen d’une demande tendant à l’annulation de l’ensemble de la procédure de passation litigieuse.

Dans une ordonnance du 28 janvier 2021, le tribunal administratif de Rouen a fait droit à la demande de la société Gimarco en se fondant notamment sur des pièces communiquées par la société requérante, et ce en violation du secret des affaires.

Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat a dû se prononcer sur le point de savoir si le juge du référé pré-contractuel peut légalement fonder sa décision sur des pièces produites par l’une des parties à l’instance, et ce en violation du secret des affaires

Sur ce point, le troisième considérant du jugement commenté est particulièrement explicite puisque le Conseil d’Etat a considéré que : « Si la société Lorany Conseils soutient en premier lieu que le juge des référés du tribunal administratif de Rouen s’est à tort fondé sur des pièces communiquées par la société Gimarco en violation du secret des affaires, cette circonstance n’est pas de nature à entacher d’irrégularité ni d’erreur de droit son ordonnance, dès lors que ces pièces ont pu être discutées contradictoirement par les parties. ».

Partant, de deux choses l’une :

  • Soit, les pièces communiquées en méconnaissance du secret des affaires ont été discutées contradictoirement par l’ensemble des parties et, dans ce cas, le juge peut fonder sa décision sur ces pièces alors même qu’elles méconnaissent le secret des affaires ;
  • Soit, les pièces communiquées en méconnaissance du secret des affaires n’ont pas été discutées contradictoirement par l’ensemble des partis et, dans ce cas, sauf à entacher la régularité ou le bien-fondé de sa décision, le juge ne peut fonder sa décision sur ces pièces.

Sauf à entacher la régularité ou le bien-fondé de sa décision, le juge ne peut fonder sa décision sur des pièces communiquées en méconnaissance du secret des affaires que si celles-ci ont été débattues par l’ensemble des parties

Notons que le raisonnement adopté par le Conseil d’Etat dans cet arrêt n’est pas nouveau puisque dans un arrêt du 2 octobre 2017 ce dernier avait jugé que la circonstance selon laquelle un établissement de santé ait produit des pièces de sa propre initiative en méconnaissance du secret médical n’est pas de nature à elle seule à affecter la régularité ou le bien-fondé de la décision dès lors que ces pièces ont été soumises au débat contradictoire.

CE, 9 juin 2021, Société Lorany Conseils c/ Société Gimarco, Req. n° 449643, à paraître aux tables du Recueil Lebon