Requalification d’une concession d’aménagement en marché public en l’absence de risque supporté par le concessionnaire de l’opération d’aménagement

Requalification d’une concession d’aménagement en marché public en l’absence de risque supporté par le concessionnaire de l’opération d’aménagement

Le Conseil d’Etat est venu requalifier une concession d’aménagement en marché public dès lors que la rémunération du concessionnaire n’était pas substantiellement liée aux résultats de l’opération d’aménagement.

En l’espèce, par un contrat conclu le 12 août 1991, la commune de Liévin avait confié l’aménagement de la friche Sabès à Liévin à la société immobilière de construction de Liévin. Il convient toutefois de préciser que, par la suite, ce contrat a été repris tant par la communauté d’agglomération de Liévin venant aux droits de la commune de Liévin que par la société Territoires 62 venant aux droits de la société immobilière de construction de Liévin.

Par une délibération du 17 mars 2006, la communauté d’agglomération de Lens-Liévin a clôturé l’opération d’aménagement en arrêtant notamment le déficit à la somme de 857.664,64 euros.

Aussi, par une délibération du 1er juin 2015, le conseil communautaire de la communauté d’agglomération a autorisé son président à signer un contrat de transaction avec la société Territoires 62 en vue de lui régler une somme égale à ce déficit en contrepartie notamment de la renonciation de la société à réclamer des intérêts moratoires – qui s’élevaient ici à la somme de 158.746 euros. Cette transaction a ainsi été signée le 13 août 2015.

Plusieurs élus au sein du conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin ont alors contesté devant le tribunal administratif de Lille la validité de la transaction. Aussi, par jugement du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé ce protocole transactionnel sauf à ce que le conseil communautaire de la communauté d’agglomération adopte, dans un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement, une nouvelle délibération autorisant la signature de ce contrat.

Un des élus communautaires a interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Douai. Par un arrêt du 27 février 2020, la cour administrative d’appel de Douai a annulé le jugement attaqué, annulé le protocole transactionnel et rejeté le surplus de ses demandes. La communauté d’agglomération Lens-Liévin et la société Territoires 62 se sont pourvues en cassation contre cet arrêt en vue de solliciter l’annulation de ses articles 1er, 2, 4 et 5.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle l’interdiction de la renonciation aux intérêts moratoires

En effet, après avoir énoncé les termes de l’article 67 de la loi du 8 août 1994 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier applicable à la transaction conclue, le Conseil d’Etat en déduit l’interdiction, de façon absolue, à renoncer aux intérêts moratoires en raison de retard dans le règlement d’un marché public : 

« Ces dispositions interdisent de façon absolue toute renonciation aux intérêts moratoires dus en raison de retards dans le règlement des marchés publics, que cette renonciation intervienne lors de la passation du marché ou postérieurement »

Dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la qualification de la concession d’aménagement de la friche Sabès à Liévin.

Aussi, après avoir notamment énoncé les dispositions de l’article L. 300-4 du code de l’urbanisme dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce – dispositions qui définissent la notion même de concession d’aménagement –, le Conseil d’Etat estime qu’elles n’ont pas pour effet de soustraire ces conventions des règles régissant les marchés publics :

« ces dispositions n’ont toutefois pas pour effet de soustraire au respect des règles régissant les marchés publics les contrats confiant à un tiers l’étude et la réalisation d’opérations d’aménagement prévues par le code de l’urbanisme dans sa version alors applicable, s’ils entrent dans le champ de l’article 1er du code des marchés publics alors applicable ».

En l’occurrence, après avoir analysé les termes des stipulations contractuelles, le Conseil d’Etat relève que le concessionnaire de la présente opération d’aménagement n’avait pris aucun risque financier dans le cadre de cette opération dès lors qu’il apparaissait que la collectivité concédante supportait seule ce risque.

Dès lors, le Conseil d’Etat juge que la Cour administrative d’appel de Douai n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur de qualification juridique en considérant que la convention litigieuse, bien que conclu formellement en vertu de l’article L. 300-4 du code de l’urbanisme, constituait un marché public dès lors que la rémunération du cocontractant n’était pas substantiellement liée aux résultats de l’opération d’aménagement.

En dernier lieu, après avoir rappelé la règle selon laquelle il incombait au juge administratif d’apprécier l’importance et les conséquences des vices entachant la validité d’un contrat, le Conseil d’Etat estime que la méconnaissance de la règle prohibant la renonciation aux intérêts moratoires est de nature à justifier l’annulation du protocole litigieux dès lors qu’elle entache la licéité du contenu de ce dernier.

CE, 18 mai 2021, M. A… B…, req. n°443153

 

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